Sarlat 2024 : Black Dog

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Black Dog

Chine, 2024
Titre original : Gouzhen
Réalisateur : Guan Hu
Scénario : Guan Hu, Ge Rui et Wu Bing
Acteurs : Eddie Peng, Tong Liya, Jia Zhang Ke et Zhang Yi
Distributeur : Memento Distribution
Genre : Drame
Durée : 1h50
Date de sortie : 5 mars 2025

3,5/5

Partout où il passe, ce film chinois enthousiasme les jurys et le public. Que ce soit au Festival de Cannes ou bien auprès du comité des Gotham Awards, Black Dog remporte le genre d’adhésion unanime, qui nous laisse généralement circonspects. Or, après l’avoir découvert au Festival de Sarlat, nous ne pouvons que partager pareil engouement. Car le film de Guan Hu réussit haut la main à faire converger un style visuel soigneusement ciselé, voire à couper le souffle, avec une intrigue qui donne au contraire sa préférence à ces petites failles humaines et sociales qui rendent l’existence si imprévisible. A commencer par son personnage principal, aussi taciturne et borné que l’étaient dans le temps les héros incarnés par Clint Eastwood, mais dont les interactions avec la Chine crépusculaire de l’année 2008 produisent justement des étincelles finement exécutées.

D’ailleurs, la référence à la vedette de la trilogie du dollar de Sergio Leone ne vient pas de nulle part. A l’image de cette brute – qui ne l’est qu’en apparence – venue de nulle part, Eddie Peng occupe ici un terrain laissé volontairement en friche. Alors que les grands espaces monochromes du désert de Gobi ont remplacé dans ce film-ci les canyons du western américain, le lien avec ce genre reconnaissable d’entre tous reste néanmoins évident. Un hors-la-loi vaguement repenti, Lang n’en fait qu’à sa tête, quitte à laisser filer quelques clébards aussi exclus d’une société dysfonctionnelle que lui et à se faire justice lui-même selon un code d’honneur qui reste agréablement flou.

Car en dehors de ses qualités plastiques manifestes, c’est l’autre point fort du nouveau long-métrage de Guan Hu, un réalisateur établi depuis trente ans dans le cinéma chinois, mais largement méconnu en France : d’orchestrer à travers un dédale d’ellipses la quête minimaliste d’un homme qui demeure joliment énigmatique.

© 2024 Huay Brothers / Momo Pictures / The Seventh Art Pictures / Memento Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Dix ans après avoir été condamné à une peine de prison pour homicide, Lang revient dans sa ville natale aux portes du désert de Gobi. Alors que de gros projets immobiliers visent à démolir une partie de la cité, infestée par des dizaines de chiens errants, Lang doit se racheter une conduite en participant à la brigade locale de capture de ces animaux invasifs. C’est notamment un chien noir susceptible d’avoir la rage qui sème la panique parmi la population. Or, malgré quelques morsures initiales, Lang finit par se lier d’amitié avec ce chien aussi solitaire que lui.

© 2024 Huay Brothers / Momo Pictures / The Seventh Art Pictures / Memento Distribution Tous droits réservés

Un car traverse un paysage désert, la caméra précède légèrement sa trajectoire, en attente d’un probable obstacle sur sa route. Cet obstacle-là ne sera ni une bande de brigands, ni un événement cataclysmique d’ordre naturel, mais tout simplement une meute de chiens errants qui croisent son chemin. Une menace diffuse, désorganisée, multiple donc, dépourvue d’une volonté manifeste de nuire et pourtant à l’origine du premier des nombreux accidents de parcours qui émailleront le récit. Dans Black Dog, cet état des choses constamment sur le point de basculer, de partir en vrille vers un incident atypique, donne le ton dès la première séquence. Y compris du côté du rôle que le protagoniste, un anti-héros par excellence, aura à y tenir, qu’il le veuille ou pas.

Dans toute sa passivité, Lang demeure immuable en termes de choses qu’il désire. Qui ne sont guère nombreuses, admettons-le. Son mouvement de fuite est permanent. Il pratique l’esquive stoïque avec une inventivité prodigieuse. Bien que cette dernière ne soit pas toujours couronnée de succès, comme lorsque l’officier de police qui veille sur lui l’oblige à s’asseoir à côté de lui. On pourrait arguer que ce ne sont là que des détails, de petites trouvailles visuelles ou narratives censées épicer une histoire à première vue si simple. Dès lors, il appartient à la mise en scène d’en faire un tout cohérent et au mieux engageant. Ce que Guan Hu accomplit avec une maestria cinématographique jamais pompeuse.

© 2024 Huay Brothers / Momo Pictures / The Seventh Art Pictures / Memento Distribution Tous droits réservés

Bien au contraire, puisque Black Dog opère au moins autant comme le conte touchant d’un paria qui se sent exclusivement compris par son compagnon canin – un Umberto D. chinois des temps modernes en quelque sorte – qu’en tant qu’observation lucide sur le fonctionnement parfois absurde de la société. Cet homme solitaire et son chien aussi peu avenant agissent de concert pour révéler quelques tendances destructrices de la Chine du début du siècle. Une Chine en partie à l’image de celle décrite dans Les Feux sauvages de Jia Zhang Ke, c’est-à-dire en pleine euphorie des jeux olympiques à venir et en même temps sur le déclin des valeurs et des édifices. Que le réalisateur emblématique du cinéma chinois fait une apparition ici comme acteur dans le rôle d’un représentant de la vieille garde, revenu de tout et soucieux de ne pas faire de vagues, n’est certainement pas un hasard.

Car la Chine décrite dans le film de Guan Hu s’avère aussi chaotique et sans direction concrète à suivre que le duo humain-canin sur sa moto avec side-car. Elle a beau traverser des catastrophes plus ou moins importantes (des invasions de chiens errants, une tempête de sable, la désertification des villes et des campagnes, voire une éclipse solaire), rien n’y fait, le statu quo demeure tel qu’il a toujours été. De la même façon, Lang et son ami fidèle reviennent encore et encore aux mêmes endroits sous les mêmes auspices, sans que leur mouvement vaguement circulaire n’aboutisse à une quelconque finalité dramatique.

Ce qui fait également la richesse de Black Dog, ainsi que son autonomie absolue par rapport aux modes. Tout ceci afin d’aboutir au stade rare d’une œuvre parfaitement cohérente dans la symbiose inouïe entre son propos dépouillé et sa forme d’une beauté très travaillée, mais à aucun moment dépourvue de sens.

© 2024 Huay Brothers / Momo Pictures / The Seventh Art Pictures / Memento Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Entre des productions tournées en catimini par la diaspora politique et des épopées à forte valeur nationaliste destinées au marché intérieur, le cinéma chinois dispose au moins d’un troisième type de films à forte valeur ajoutée : ceux qui, comme Black Dog, font preuve d’un savoir-faire technique sans faille, tout en mettant subtilement en question la doxa officielle du parti unique. Et c’est sans doute de ce côté-là qu’il convient de chercher à présent et à l’avenir, si l’on souhaite dénicher de telles perles filmiques, nous tenant astucieusement en haleine à tous les niveaux ! Pari amplement réussi pour le film de Guan Hu, qui, espérons-le, saura ravir un public français plus large, lors de sa sortie prévue pour l’année prochaine.

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