La Roche-sur-Yon 2024 : Made in England Les Films de Powell et Pressburger

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Made in England Les Films de Powell et Pressburger

Royaume-Uni, 2024
Titre original : Made in England The Films of Powell and Pressburger
Réalisateur : David Hinton
Intervenant : Martin Scorsese
Distributeur : Mubi
Genre : Documentaire de cinéma
Durée : 2h13
Date de sortie : 28 juin 2024 (vidéo)

3/5

La passion cinéphile peut parfois naître de façon inattendue. Dans notre cas, ce fut la drôle de conjoncture entre la volonté d’imiter le coup de cœur passager de notre sœur aînée pour l’acteur Cary Grant et un cadeau de Noël bien opportun sous forme d’un magnétoscope. Toute proportion gardée, pour Martin Scorsese, le point de départ d’une cinéphilie qui perdure depuis près de 80 ans et qui inspire sans discontinuer des générations d’amateurs de cinéma, c’était la découverte des films du duo Powell et Pressburger à la télévision américaine. Dans des conditions techniques qu’on jugerait certainement inacceptables de nos jours, c’est-à-dire en noir et blanc et dans des versions plus ou moins tronquées, voire probablement entrecoupées de spots publicitaires.

Et pourtant, rien qu’à travers cet aperçu partiel de la maestria du duo légendaire du cinéma britannique, l’obsession du jeune Martin Scorsese était d’ores et déjà fermement enracinée. Sauf que, comme le montre ce documentaire présenté au Festival de La Roche-sur-Yon, il aura fallu un temps considérable avant que les films tournés de concert par Michael Powell et Emeric Pressburger ne soient reconnus à leur juste valeur.

Car la qualité principale de Made in England Les Films de Powell et Pressburger est de remettre dans leur contexte historique des œuvres aussi intemporelles que Le Narcisse noir et Les Chaussons rouges. C’est à leur admirateur inconditionnel Martin Scorsese – et rien qu’à lui – que revient la tâche de guider le public à travers une filmographie partagée ayant connu presque autant de haut que de bas. Et c’est peut-être cette exhaustivité voulue par le réalisateur David Hinton qui rend son documentaire certes fort instructif, mais en même temps trop didactique pour réellement nous transmettre l’engouement durable pour ce pan du cinéma britannique éprouvé par Scorsese et plein d’autres cinéastes.

© 2024 BBC Film / Ice Cream Films / Screen Scotland / Ten Thousand 86 / Mubi France Tous droits réservés

Synopsis : Après avoir fait ses armes dans le cinéma britannique des films à quota des années 1930, le réalisateur anglais Michael Powell fait la connaissance du scénariste d’origine hongroise Emeric Pressburger au début des années ’40. Sous la bannière de leur maison de production The Archers, ils signeront responsables de quelques uns des films les plus marquants de la décennie, dont Colonel Blimp et Une question de vie ou de mort. Tombé en disgrâce à partir des années ’50 et poursuivant dès lors des chemins séparés, le duo de réalisateurs est redécouvert tardivement par Martin Scorsese et d’autres jeunes cinéastes de sa génération, qui s’inspirent grandement de leurs expériences visuelles et narratives, ainsi que de leur emploi révolutionnaire de la couleur.

© 2024 BBC Film / Ice Cream Films / Screen Scotland / Ten Thousand 86 / Mubi France Tous droits réservés

La réputation de Martin Scorsese en tant que cinéphile suprême n’est plus à faire. Personne avant, ni après lui – même pas Quentin Tarantino – n’aura fait plus pour la redécouverte des trésors du cinéma d’antan, ni pour leur préservation par le biais de sa Film Foundation. Qui de mieux que lui, par conséquent, pour relayer la folle aventure artistique et commerciale de Powell et Pressburger, d’autant plus que le premier était devenu une sorte de confident de Scorsese pendant les dix, quinze dernières années de sa vie ?

Le seul petit hic dans cette démarche valeureuse est que le réalisateur de Taxi Driver et de Raging Bull assure exclusivement la narration pendant les plus de deux heures de ce documentaire solide. Alors que la veuve de Powell, la fidèle monteuse de Scorsese Thelma Schoonmaker, aurait sans doute pu apporter un point de vue complémentaire, en plus d’être simplement productrice ici.

De même, nous avons déjà connu Scorsese plus volubile que dans le cas présent, où nous ne pouvons pas nous défaire complètement de l’impression que le maître vieillissant du cinéma américain se contente parfois de lire un texte pré-écrit sur un écran, au lieu de laisser librement parler sa passion du cinéma. L’âge avancé de l’octogénaire y est sans doute pour quelque chose, tout comme la propension à l’exhaustivité du documentaire, qui entreprend sans cesse le grand écart entre l’approche historique, artistique, biographique et commerciale. Dans tous ces domaines, Scorsese est évidemment un expert hors pair et un passeur plutôt passionnant. Mais la somme considérable d’informations transmises tend à rendre le propos du documentaire plus fouillis, que participant activement en tant que relai à la postérité de la magie du cinéma de Powell et Pressburger.

© 2024 BBC Film / Ice Cream Films / Screen Scotland / Ten Thousand 86 / Mubi France Tous droits réservés

Car de la magie, il y en avait sans l’ombre d’un doute dans les quatre chefs-d’œuvre cités plus haut, ainsi que dans des films aussi mémorables que 49ème parallèle, Je sais où je vais, La Renarde et Les Contes d’Hoffman. Sans oublier le temps judicieusement consacré ici à des titres moins connus comme La Mort apprivoisée et à la dernière partie de cette collaboration exceptionnelle. Comme c’est souvent le cas dans l’évocation de ce premier tandem marquant de réalisateurs de l’Histoire du cinéma, Michael Powell a droit à un traitement plus approfondi dans Made in England Les Films de Powell et Pressburger. À la fois en raison de l’amitié profonde qui le liait à Scorsese et parce qu’il a su créer à titre individuel un dernier classique injustement méprisé au moment de sa sortie, Le Voyeur, qui l’avait alors durablement condamné à l’obscurité et au désœuvrement.

Néanmoins, l’esprit collaboratif y est largement mis en avant, notamment à travers des prises d’archives qui montrent les deux anciens collaborateurs parfaitement à l’aise pour parler ensemble de leur travail, au moment de leur consécration très tardive à l’occasion d’un BAFTA d’honneur en 1981. De même, la mise en abîme dans le temps et l’espace filmiques nous paraît la plus pertinente, lorsque Martin Scorsese évoque directement l’influence de Powell et Pressburger sur ses propres films, tels que Taxi Driver, Raging Bull et Le Temps de l’innocence. En effet, quel plus beau compliment y a-t-il à faire à des monuments du passé tombés temporairement dans l’oubli, que de montrer, extraits à l’appui, que leurs expérimentations formelles ont su engendrer une toute nouvelle conception du cinéma vingt, trente et même quarante ans après leur dernier film majeur ?

© 2024 BBC Film / Ice Cream Films / Screen Scotland / Ten Thousand 86 / Mubi France Tous droits réservés

Conclusion

Si vous n’êtes pas encore trop familiers de l’univers imaginé par Michael Powell et Emeric Pressburger, ce documentaire sobre et instructif est fait pour vous, tant Made in England Les Films de Powell et Pressburger constitue une véritable mine d’informations, présentées avec l’autorité qui lui revient de plein droit par Martin Scorsese. Cependant, il manque à la mise en scène de David Hinton cette étincelle visionnaire qui avait justement fait d’une partie conséquente des films de Powell et Pressburger une source inépuisable d’inspiration cinématographique, à la fois pour des millions de spectateurs et des centaines de cinéastes en herbe. Bref, ce documentaire solide donne tout à fait envie de redécouvrir la filmographie commune de Powell et Pressburger, sans pour autant aspirer à égaler leur expertise formelle. Ce que l’on peut considérer soit comme une qualité, soit comme un défaut …

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