Critique : Joker – Folie à Deux

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Joker : Folie à Deux

États-Unis : 2024
Réalisateur : Todd Phillips
Scénaristes : Todd Phillips, Scott Silver
Casting : Joaquin Phoenix, Lady Gaga, Brendan Gleeson
Distributeur : Warner Bros. France
Genre : Comédie musicale, Thriller
Durée : 2h18
Date de sortie (FR) : 2 octobre 2024

5/5

Ce n’est peut-être pas si étonnant qu’une proposition aussi radicale que ce Joker Folie à Deux ne parvienne à convaincre ni la presse, ni le public. J’ai déjà eu l’occasion de l’écrire, mais l’histoire autour des films (leur budget, les conditions plus ou moins communiquées de leur fabrication, le merchandising qui les accompagne, leur filiation avec une mythologie, un genre, etc…) prend beaucoup de place, parfois toute la place, étouffant, du moins en partie, l’histoire des films eux-mêmes. Je crois y sentir parfois comme un embrumement de l’esprit, comme s’il devenait de plus en plus facile de s’accrocher au discours qui séduit le plus, sans prendre le temps de fabriquer le sien. C’est la raison pour laquelle, j’écrirai juste mon ressenti, sans aucune objectivité, avec l’espoir qu’il active le vôtre et l’envie de vous faire votre propre avis.

À quelques jours de son procès pour les crimes commis sous les traits du Joker, Arthur Fleck rencontre le grand amour et se trouve entraîné dans une folie à deux.

Ce qui m’a frappé à la vision du film, c’est à quel point sa forme, de première approche bancale, semble exprimer très vite une grande détresse. Les couloirs  sinistres de l’hôpital psychiatrique où nous retrouvons Arthur Fleck semblent étouffer la couleur. Cet esprit de tristesse contamine même les gardes qui en viennent à supplier Arthur de leur raconter une blague pour éclairer un peu le quotidien.

C’est vrai qu’il n’y a ici justement aucune fantaisie mais surtout aucun imaginaire. On n’est pas dans un conte de fée, pas plus que dans une chanson ou dans un film de super-héros. C’est l’horrible quotidien de cette maison de fous, rappelant le “titicut folies” de Wiseman. Et puis au détour d’un couloir, par hasard, Arthur aperçoit Lee et le film va alors se transformer lentement. C’est que Lee est pour Arthur un semblant d’espoir. L’occasion de renaître pour elle est aussi l’occasion de ressusciter cette révolution qu’il croît avoir allumé par ce Joker que ces fans lui réclame.

Arthur n’a en fait rien d’un héros ou d’un super méchant et c’est dans une tentative de confession qu’il finira par l’avouer. Là encore, le juge de le couper dans son élan glorieux: “Mr Fleck, je vous prééiens, on n’est pas au spectacle”. Là encore, c’est un échec pour Arthur, illustrés par ces “moments” chantés qui sonnent faux, ratés et ternes.

J’ai la sensation que ces changements de tons veulent proposer une forme qui vient en écho avec la psychologie de ce personnage malade, cabossé, hystérique un instant, avant de retomber dans la tristesse la plus noire. En ce sens, le film était peut-être voué à rater son effet, certes; mais j’ai trouvé très efficace cette esthétique de l’échec, du raté.

Que ce soit dans ses comédies ou ses drames, Todd Philipps trace une drôle de ligne et fait naître des sentiments ambigus dans des registres très marqués. Plutôt que de réussir une transition de la comédie au drame, il me semble qu’il prend chacun de ces genres à contrepied et ce jamais aussi efficacement qu’avec ce Joker: Folie à deux.

Peut-être a-t-il enfin réussi à adresser un peu de ce sentiment de dépression profonde. L’avenir dira si le public accordera au film une deuxième vision.

Les produits culturels ont toujours cette capacité d’être, dans leur réception, les baromètres d’un certain goût, d’une tendance. Il me semble que le besoin de stabilité et de cohérence condamnent, en quelque sorte, les ambitions les plus baroques à ne pas toucher leur cible. C’est qu’il s’agirait aujourd’hui de fixer des repères dans la nuit, de se protéger des ténèbres. Je pense que c’est demander au cinéma de jouer un rôle impossible.

Le cinéma est une attraction de foire, qui veut surprendre, tromper et amuser. Ce n’est pas au cinéma que l’on trouvera de vraies idées politiques ou qu’on créera des icônes. Il n’y a ici que le reflet rêvé du monde, une traduction toujours biaisée d’un éternel questionnement sur la vérité.

Alors évidemment, je comprends que le film puisse ne pas fonctionner sur son audience. Mais je remarque à quel point beaucoup des critiques qui lui sont adressées semblent déconnectées du film en lui- même. Mais plutôt d’une trahison par rapport à ce que le film aurait “dû être”. C’est à méditer. C’est peut-être vraiment un nouveau paradoxe sociétal qui se dessine, où l’opinion se frustre d’une éternelle reprise des mêmes représentations, tout en leurs reprochant leur manque de fidélité. Trahir oui demandera-t-on, mais trahir mieux.

Conclusion

Une très belle réussite et en même temps un aveu d’échec. Arthur Fleck ne sera jamais une icône. Je crois qu’il y a, derrière beaucoup des opinions sur le film, l’attente de faire peser sur ses épaules une dette par rapport à son aîné. Pourtant, son décalage formel qui renforce celui de son personnage principal m’a semblé réjouissant. Je ne peux que vous encourager à le constater par vous-mêmes. 

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