Critique : Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde

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Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde

Roumanie : 2024
Titre original : Trei Kilometri Pana La Capatul Lumii
Réalisation : Emanuel Pârvu
Scénario : Emanuel Pârvu, Miruna Berescu
Interprètes : Bogdan Dumitrache, Ciprian Chiujdea, Laura Vasiliu
Distribution : Memento Distribution
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 23 octobre 2024

4/5

Synopsis : Adi, 17 ans, passe l’été dans son village natal niché dans le delta du Danube. Un soir, il est violemment agressé dans la rue. Le lendemain, son monde est entièrement bouleversé. Ses parents ne le regardent plus comme avant et l’apparente quiétude du village commence à se fissurer

La Roumanie, un pays que ses cinéastes ne ménagent pas

Un petit village niché au cœur du delta du Danube, à l’est de la Roumanie. C’est l’été, la nature est magnifique et c’est la saison durant laquelle le village, auquel on ne peut accéder qu’en bateau, voit passer quelques touristes. C’est aussi la période durant laquelle reviennent dans leur famille les enfants du village partis poursuivre leurs études dans des villes universitaires de Roumanie. C’est le cas d’Adrian, que tout le monde appelle Adi, 17 ans, qui est au lycée à Tulcea, la ville la plus proche du village. Ce qui aurait dû être pour lui un moment de félicité au sein de sa famille va tourner au drame et faire naître la zizanie au sein du village. Avec beaucoup d’intelligence de la part du réalisateur, le point de départ fait l’objet d’une ellipse : il s’agit du tabassage d’Adi à la sortie d’une soirée par 2 jeunes hommes, un tabassage dont tout porte à croire qu’il est à caractère homophobe, Adi ayant été vu en train d’embrasser un touriste de son âge après que ce dernier lui ait, en apparence, lécher la main, mais, dans la réalité, tout simplement enlever une écharde. Du tabassage lui-même, donc, on ne voit rien, mais, ce que voient les parents d’Adi le lendemain matin, le résultat de ce tabassage, le visage tuméfié d’Adi, ne laisse aucun doute sur la violence des coups portés.

Bien entendu, la famille va porter plainte et c’est là que l’on prend de plein fouet le fait que l’action du film se déroule en Roumanie, un pays dont le cinéma ne cesse de nous montrer que le corruption y est endémique : les soupçons concernant les agresseurs d’Adi se portant très vite sur les fils d’un notable local, la police va tout faire pour étouffer l’affaire, le dit notable va faire appel à son beau-frère devenu chef du comté et proposer au père d’Adi d’effacer une dette s’il consent à retirer la plainte et le beau-frère va faire pression sur le chef d’une enquêtrice des Services Sociaux venue pour enquêter sur l’affaire d’Adi et qui, au grand dam de la police, se montre très professionnelle et d’une grande intégrité, afin qu’il la transfère sur une autre affaire. Quant aux parents d’Adi et à l’église, leur comportement n’est guère plus reluisant, les parents livrant leur fils à un prêtre afin qu’il soit exorcisé. Exorcisé de façon officieuse car il aurait fallu l’accord de l’archevêché pour être un exorcisme en bonne et due forme. Pour eux, le mal trouve sa place chez la victime, beaucoup plus que chez les agresseurs. En fait, une amie d’enfance d’Adi reste la seule dans ce village où tout le monde surveille tout le monde à rester fidèle à son amitié pour Adi.

C’est comme comédien que Emanuel Pârvu a fait son entrée dans le monde du cinéma et on a pu le voir, en particulier, dans Contes de l’âge d’or, film à sketchs scénarisé et partiellement réalisé par Cristian Mungiu,  et dans Baccalauréat, film de ce même Cristian Mungiu. C’est en 2017 qu’il a bifurqué vers la  réalisation, avec Meda ou Le moins bon côté des choses, film sorti chez Netflix. Trois kilomètres jusqu’à la fin du monde est son 3ème long métrage en tant que réalisateur et, dans ce film retenu en compétition au dernier Festival de Cannes où il s’est vu accorder la Queer Palm,  il fait preuve d’un talent qui le place parmi les meilleurs réalisateurs du moment. C’est en véritable maître du sucré/salé ou, plutôt, d’un mélange de douceur et d’âpreté, qu’il nous dépeint un village situé  dans un endroit paradisiaque mais que le comportement de ses habitants arrive à transformer en véritable enfer.  En fait, les idées conservatrices qui animent les habitants de ce village du bout du monde n’évoluent guère depuis la nuit des temps, quand bien même ils ont l’habitude de recevoir des touristes, et quand leurs enfants poursuivant leurs études loin de leur famille  montrent ostensiblement à leur retour qu’ils ont suivi une évolution en rupture avec les idées conservatrices de leurs parents, le clash est souvent de rigueur. Pour les habitants de ce village, la fin du monde, c’est quand la terre finit et que commence la mer, la Mer Noire en l’occurrence, et c’est à 3 kilomètres du village. Pour le réalisateur, la fin du monde ce sont aussi, peut-être même surtout, l’absence de discussion, l’absence d’amour, le manque de compréhension de la majorité face à la minorité, des parents face à leurs enfants.

Fils de photographe, Emanuel Pârvu apporte une grande attention à la photo dans ses films. Habitué à tourner caméra à l’épaule, il a décidé cette fois ci de poser sa caméra, choix qui devait « permettre aux spectateurs d’avoir le temps d’observer tout ce qui se passe ». Tourné en plans séquence avec une belle photographie de Silviu Stavilã, film sans musique d’accompagnement et bénéficiant d’une excellente distribution, Trois kilomètres avant la fin du monde aurait mérité un prix prestigieux lors du Festival de Cannes 2024, d’autant plus que le niveau moyen de la compétition était plutôt faible cette année.

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