La Roche-sur-Yon 2024 : Pierce

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Pierce

Singapour, Taiwan, Pologne, 2024
Titre original : Pierce
Réalisatrice : Nelicia Low
Scénario : Nelicia Low
Acteurs : Liu Hsiu-Fu, Tsao Yu-Ning, Ding Ning et Lin Tsu-Heng
Distributeur : –
Genre : Drame
Durée : 1h46
Date de sortie : –

3/5

Une grande sensibilité se dégage de ce premier film, présenté en compétition au Festival de La Roche-sur-Yon. Grâce à une ambiguïté considérable accordée aux personnages, Pierce sème admirablement le doute, jusqu’à une conclusion sur laquelle nous gardons toutefois quelques réserves. Mais auparavant, il y est question d’une manière étonnamment sereine des liens de fraternité, certes durement éprouvés, quoique jamais complètement rompus.

Plutôt que d’opter pour les extrêmes manichéens du grand frère foncièrement toxique, la réalisatrice Nelicia Low laisse longtemps planer une subtilité sans faille sur ces retrouvailles placées sous une mauvaise étoile. La richesse de ce personnage mi-ange, mi-démon vit de l’interprétation remarquable de Tsao Yu-Ning. Celui-ci sait parfaitement traduire le dilemme existentiel dont souffre ce manipulateur né, pourtant sincèrement attaché à remplir enfin son rôle de grand frère protecteur.

Car au cœur du récit raisonnablement complexe de ce film touchant se situe son frère cadet Zijie, à qui Liu Hsiu-Fu confère toute la candeur de l’adolescent tiraillé entre des choix de vie diamétralement opposés. C’est à travers lui que transite une multitude de troubles, jamais traités d’une manière expéditive, mais au contraire appelés à sortir intacts de ces quelques semaines de mise en question du statu quo familial. Les personnages secondaires qui gravitent autour de cette relation fraternelle ombrageuse se distinguent, eux aussi, par une acuité du regard filmique des plus réussis. La contribution adulte à ce beau mélodrame des états d’âme y brille de même par des nuances et des contradictions, qu’un trait narratif plus sommaire aurait aisément pu gommer.

© 2024 Potocol / Flash Forward Entertainment / Harine Films / Elysiüm Ciné / Magnify Tous droits réservés

Synopsis : Quand le lycéen et escrimeur amateur Zijie apprend que son frère aîné Zihan sera bientôt libéré de prison, il est rempli d’appréhension. Tandis que sa mère essaie de garder son fils jugé pour meurtre loin de Taipei, Zijie va jusqu’à l’attendre devant la grille de la prison le jour de sa libération, avant de se raviser au dernier moment. Néanmoins, Zihan s’installe près des siens et cherche le contact avec son frère à qui il souhaite transmettre ses capacités sportives. Sans rien dire à sa mère, Zijie commence donc à fréquenter Zihan en secret, tout en se posant des questions brûlantes sur la véritable culpabilité de son grand frère, lors d’un incident d’escrime survenu des années plus tôt.

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Après un début légèrement rugueux au cours duquel les trois premières séquences ne font pas encore immédiatement sens entre elles, Pierce ne tarde pas à adopter sa vitesse de croisière. A savoir un type de narration joliment ouvert à l’interprétation que le spectateur voudrait bien tirer des faits qui lui sont présentés à l’écran de façon équivoque. Ainsi, le premier piège du thriller sur un psychopathe, qui viendrait hanter ce qui reste de sa famille profondément traumatisée par ses méfaits du passé est d’emblée savamment contourné. Et le fait qu’il ne refait surface qu’in extremis, à la fin d’une intrigue jusque là truffée de trouvailles ingénieuses, compte parmi les rares défauts de ce premier film prometteur !

Car Nelicia Low ose ancrer le trouble de ce retour au bercail inopportun à un niveau sensiblement plus sophistiqué que des coups de théâtre et autres sursauts effrayants ne l’auraient fait.

Dès lors, ce grand frère vaguement inquiétant oscille constamment entre des avertissements proférés de l’extérieur sur sa nature intrinsèquement malveillante, associée avant tout à son passé, et un présent vécu de l’intérieur dans lequel il est dépeint davantage en tant que personne ostracisée par la société taiwanaise. Par conséquent, le rôle de la victime revêt de multiples facettes au sein d’un récit, qui recherche moins une vérité absolue que le positionnement sans cesse changeant des personnages entre eux. Le malaise omniprésent y agit plus comme le moteur astucieusement grippé d’une progression dramatique jamais à court d’idées, qu’en tant que source inépuisable de scandales et autres coups d’éclat divers et variés.

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Initialement incapable de trouver sa place dans cette situation familiale largement compromettante, Zijie mettra du temps avant d’apprendre à s’affirmer. Les occasions manquées se succèdent à un rythme élevé pour ce garçon marqué au fer rouge par la réputation néfaste de son frère tombé en disgrâce. A la fois concentrée sur quelques aspects de sa vie – on ne le voit par exemple jamais à l’école et guère plus souvent chez lui – et animée par une grande liberté et la confiance qu’elle lui accorde, la narration en fait un héros difficile à saisir.

Lui-même mettra notre patience à rude épreuve, lorsqu’il s’agit d’assumer son identité sexuelle et de franchir enfin le pas vers un avenir romantique qui s’annonce radieux. Par ailleurs, tout ce champ scénaristique est traité avec une délicatesse notable, en guise de revers d’une médaille qui alterne entre la résignation face à une situation inextricable et l’espoir de jours meilleurs.

Dommage alors que ce beau château de cartes cinématographiques risque de s’écrouler presque misérablement à la fin de Pierce ! Seul le renvoi à un événement lointain à l’origine du lien ambivalent entre les deux frères amortit tant soit peu cette descente fracassante, à l’image du retour en arrière là aussi essentiel à la fin du film coréen Peppermint Candy de Lee Chang-dong. Néanmoins, la question doit être posée, s’il n’y avait pas d’autre moyen pour boucler convenablement une intrigue, qui aurait très bien pu se terminer sur une note moins grandiloquente. Or, ce serait presque pinailler face à un premier film, qui se distingue sinon par un équilibre globalement très maîtrisé entre les tenants et les aboutissants d’une intrigue au potentiel hasardeux certain.

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Conclusion

Annoncé lors de sa présentation d’avant-séance au Festival de La Roche-sur-Yon comme le dernier fleuron du cinéma de Singapour, Pierce ne fait pas uniquement l’impasse sur les décors emblématiques de la cité-état de l’Asie du sud-est, son intrigue se déroulant à Taiwan. Le premier film de Nelicia Low adresse surtout des sujets éminemment universels que la jeune réalisatrice traite avec une assurance filmique d’ores et déjà impressionnante. Investi à chaque moment ou presque d’une sensibilité tenue à l’écart de quelconques manœuvres de manipulation du public, cette histoire sur deux frères s’affrontant ou s’aimant à armes inégales témoigne d’un regard dépourvu de préjugés sur la culpabilité et l’innocence supposées de ses personnages profondément humains.

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