Critique : Un cœur en hiver

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Un cœur en hiver

France, 1992
Titre original : –
Réalisateur : Claude Sautet
Scénario : Claude Sautet, Jacques Fieschi et Jérôme Tonnerre
Acteurs : Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart, André Dussollier et Elizabeth Bourgine
Distributeur : Studiocanal
Genre : Drame romantique
Durée : 1h44
Date de sortie : 2 septembre 1992

3,5/5

Il est quand même fort regrettable que le cinéma français du XXIème siècle ait largement abandonné le genre de films dont Claude Sautet détenait le secret ! Vous savez, ces œuvres hautement sophistiquées et aux thèmes adultes qui ont hélas disparu des salles obscures en même temps que leur créateur, au tournant du siècle. Un cœur en hiver, son pénultième film, en est l’exemple parfait avec son histoire d’amour qui n’en est pas vraiment une. A moins qu’il ne s’agisse avant tout d’une histoire d’amitié, mais là aussi Sautet sait brillamment brouiller les pistes. A tel point que cette valse des sentiments contenus s’apparente à un thriller, où le véritable enjeu serait de ne pas trop s’exposer.

C’est un film passionnant sur la complexité des rapports humains, qui réussit l’exploit de captiver entièrement notre attention, rien qu’à partir de séquences en intérieur, aux conversations ténues sur un ton feutré.

Sous forme de mélodrames tendancieux et grandiloquents, le genre du drame romantique a certes continué à exister, quoique piteusement, dans le paysage cinématographique français actuel. Or, la qualité immense de l’approche de Claude Sautet consistait justement à éviter tous les écueils habituellement associés au genre – y compris la fin heureuse ou, au contraire, triste à en mourir –, afin de mieux sonder la psychologie imprévisible et pourtant crédible de ses personnages.

Ainsi, le faux ménage à trois composé de Daniel Auteuil et André Dussollier, qui se disputent en demi-teinte les faveurs d’Emmanuelle Béart, opère de nombreuses bifurcations scénaristiques. Celles-ci nous auraient fait crier à l’imposture auprès d’autres cinéastes, moins adroits et mesurés dans leur propos moral. Sauf que, justement, Sautet ne s’enorgueillit à aucun moment de juger les actions contradictoires de ses personnages, ni l’absence, à première vue préjudiciable, de choix clairement tranchés de leur part.

© 1992 Benoît Barbier / Film par Film / Cinéa / Orly Films / Sédif Productions / Paravision International / D.A. Films /
France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Synopsis : Stéphane est un luthier hors pair. Au service de son associé et homme d’affaires avisé Maxime depuis longtemps, il réussit à remettre en état les instruments des plus grands musiciens européens. Le prix de cette excellence dans son travail est un style de vie réduit au strict minimum, tandis que Maxime continue à avoir régulièrement des aventures extra-conjugales. Sa dernière se transforme en relation suivie avec la jeune violoniste ambitieuse Camille, dont il fait part à Stéphane au bout de deux mois. D’abord plutôt indifférent à cette conquête, l’artisan d’exception finit lui aussi par vouloir séduire la jeune femme réservée.

© 1992 Benoît Barbier / Film par Film / Cinéa / Orly Films / Sédif Productions / Paravision International / D.A. Films /
France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Le cadre d’Un cœur en hiver est des plus élitistes. Et Stéphane, et Maxime évoluent dans un microcosme des plus privilégiés : le petit monde clos des mélomanes pointus et doués, qui passent leur temps à s’extasier sur des interprétations magistrales ou de trouver la petite faille des instruments négociés à prix d’or. Pourtant, Claude Sautet ne leur intente jamais un procès en injustice sociale. Il préfère laisser le soin au personnage de Jean-Luc Bideau, lors de son passage éclair, de prononcer un bref discours sur le déclin de la culture, jadis l’exclusivité de quelques esprits instruits. Face à cette prise de position réactionnaire, la levée de boucliers de la part de Camille, très vite relativisée par Stéphane, nous rappelle alors que cet environnement huppé n’est que la coquille au fond interchangeable de préoccupations infiniment plus universelles.

En effet, le jeu sournois de l’attirance, suivi ou non de manœuvres de séduction plus ou moins larvées, se met en place d’une manière étonnamment fluide ici, comme si le cinéma s’employait depuis toujours à représenter la palette des troubles du cœur selon ce cahier de charges incroyablement nuancé. Beaucoup d’émotions y passent par le regard. Celui, magnétique, d’Auteuil ou bien par le doute qui voile petit à petit celui de Dussollier, voire par les yeux effarouchés de Béart.

Le tout sans avoir recours aux coups de théâtre tonitruants, puisque même la seule séquence d’engueulade dans le restaurant se solde par des excuses, puis un regain du statu quo quelque peu fragile. La solitude béante des personnages n’y fournit guère le prétexte à une mise au pilori de tout ce qui n’allait pas dans la société française des années 1990. Pour cela, Sautet œuvre bien trop dans la singularité saisissante de ses personnages, au détriment des gros traits d’un commentaire social sommaire.

© 1992 Benoît Barbier / Film par Film / Cinéa / Orly Films / Sédif Productions / Paravision International / D.A. Films /
France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Néanmoins, dans ce chaos des sentiments, où personne ne sait réellement où il en est avec ses coups de cœur réels, imaginés et parfois même simulés, quelles sont les instances régulatrices, susceptibles d’y mettre un semblant d’ordre ? Elles ont beau exister dans une répartition paritaire entre les deux substituts parentaux que sont Maurice Garrel en figure paternelle moribonde d’un côté et Brigitte Catillon dans le rôle de la meilleure amie et agente de Camille, appelée à la rescousse au moindre revers affectif, de l’autre. Cela ne signifie pas que ces personnages secondaires à la richesse appréciable parviennent à infléchir le cours chahuté d’une intrigue parfaitement millimétrée.

Pire encore, ils ont tendance à enfermer le trio de protagonistes davantage dans l’étau de leurs propres contradictions. Stéphane en tête, qui franchit avec une cruauté impassible le pas vers l’irréparable.

Et pourtant, le mécanisme impeccable du récit sait préserver en continu une tension à fleur de peau particulièrement subtile. Le caractère en apparence anodin des situations, des lieux et des rencontres ne fait dès lors que renforcer notre admiration envers la maestria de Claude Sautet pour rendre si uniques des personnages, tout droit sortis du catalogue des stéréotypes du mélodrame romantique. Ils existent, en toute autonomie et en pleine conscience de leurs failles, aussi grâce au jeu nullement affecté de leurs comédiens. Peu importe que ce soit Daniel Auteuil, Emmanuelle Béart ou André Dussollier, ça bouillonne considérablement chez chacun d’entre eux sous la surface des apparences de la bienséance. Peu de réalisateurs ont su fissurer cette dernière avec une telle élégance filmique et simultanément un tel regard impartial que Claude Sautet !

© 1992 Benoît Barbier / Film par Film / Cinéa / Orly Films / Sédif Productions / Paravision International / D.A. Films /
France 3 Cinéma / Studiocanal Tous droits réservés

Conclusion

Un cœur en hiver, c’est la symbiose prodigieuse entre une gravité omniprésente et la distance précise qu’il convient d’observer afin de rendre ces personnages torturés magnifiquement humains ! Devenu un maître incontestable de son art vers la fin de sa carrière, Claude Sautet s’acquitte haut la main de cette tâche délicate. De surcroît, il nous rappelle, plus de trente ans après la sortie, à quel point ses comédiens – désormais abonnés à répéter toujours les mêmes rôles dépourvus d’originalité – pouvaient s’investir corps et âme dans leurs personnages respectifs, jusqu’à trouver une certaine vulnérabilité touchante dans leurs traits de caractère passablement antipathiques.

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