Test DVD : L’Homme d’argile

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1983

L’Homme d’argile

France : 2024
Titre original : –
Réalisation : Anaïs Tellenne
Scénario : Anaïs Tellenne
Acteurs : Raphaël Thiéry, Emmanuelle Devos, Mireille Pitot
Éditeur : Blaq Out
Durée : 1h31
Genre : Drame, Comédie
Date de sortie cinéma : 24 janvier 2024
Date de sortie DVD : 16 juillet 2024

Raphaël n’a qu’un œil. Il est le gardien d’un manoir dans lequel plus personne ne vit. À presque 60 ans, il habite avec sa mère un petit pavillon situé à l’entrée du grand domaine bourgeois. Entre la chasse aux taupes, la cornemuse et les tours dans la Kangoo de la postière, les jours se suivent et se ressemblent. Par une nuit d’orage, Garance, l’héritière, revient dans la demeure familiale. Plus rien ne sera plus jamais pareil…

Le film

[3,5/5]

Avec L’Homme d’argile, la scénariste / réalisatrice Anaïs Tellenne (qui est, à la ville, la fille de Karl Zéro et Daisy d’Errata) prend soin, dès les premières minutes, d’installer le spectateur dans une réalité « différente ». Le film s’ouvre sur l’image d’un tableau : un château peint de façon naïve, qui rappelle les illustrations des histoires de contes de fées pour enfants ; l’image est de plus proposée en 1.50, format proche du fameux « carré » (1.38) des films de la première moitié du vingtième siècle. D’entrée de jeu, le spectateur ressent donc de façon diffuse que la réalité qui nous est présentée ici n’est pas naturaliste, mais va plutôt chercher du côté d’un certain imaginaire « à l’ancienne ».

Dans les moments qui suivent, le spectateur est amené à faire la connaissance de Raphaël (Raphaël Thiéry), un géant au visage extrêmement marqué et portant un bandeau sur l’œil droit. Vivant avec sa mère Lucienne (Mireille Pitot) dans un immense manoir quasi-abandonné dont il est le gardien, Raphaël est un homme singulier, qui joue de la cornemuse et entretient une liaison avec la factrice (Marie-Christine Orry), qui à l’occasion de leurs jeux sexuels lui demande de lui faire peur avant de la boucaner dans les bois. L’Homme d’argile, évidemment, c’est lui, cet homme qui ressemble au petit Golem qu’a reçu sa mère de Prague et qui trône sur une étagère.

Par nature, Raphaël semble être un homme physiquement morcelé. C’est peut-être cet aspect de sa personnalité qu’il retrouvera – et qui le fascinera – dans le personnage de Garance (Emmanuelle Devos), l’héritière du manoir, qui fait son apparition à l’issue de la présentation en règle de Raphaël, et dont on découvrira au détour d’une séquence le corps tatoué / divisé à la façon des schémas de découpe de bœufs que l’on admirait tous, enfants, derrière l’étal du boucher. Quasi-muette durant le premier acte de L’Homme d’argile, on découvrira par la suite que Garance est une artiste réputée, dont l’œuvre pourra évoquer celle de l’artiste serbe Marina Abramović.

Raphaël est immédiatement intrigué par elle, perdant de fait sa libido pour la postière. Pourtant, tout sur le papier semble les opposer : lui, l’homme du concret, du manuel, et elle, qui tire vers l’abstraction et fait de sa vie une œuvre d’Art. Au fil des séquences cependant, une étrange relation s’installera entre les deux personnages. Garance voit dans le corps de Raphaël quelque chose de puissant, qu’elle veut « débloquer » ; elle lui propose alors de le sculpter. De façon amusante, L’Homme d’argile reprend donc une partie du postulat de départ de La Belle Noiseuse (Jacques Rivette, 1991), en inversant les rôles de façon radicale (femme/homme, beauté/laideur). On retrouvera cela dit la même relation profonde d’amour/haine qui se noue entre l’artiste et sa muse, et on notera que leurs interactions sont dénuées de toute dynamique sexuelle, érotique ou même romantique au sens où on l’entend habituellement, même s’il devient clair au fil du récit que les sentiments de Raphaël pour l’artiste sont très forts.

Pour autant, au fur et à mesure du récit, Anaïs Tellenne développe une atmosphère lente mais empreinte de tendresse et en tant que spectateur, on a vraiment le sentiment assez émouvant que ce qui émeut finalement Raphaël dans la relation qui le lie à Garance, c’est que personne ne l’a jamais regardé de cette façon avant elle. Et si au début, la sculpture affiche les bords abîmés et la tête étrange d’un Golem, au fil du temps, elle devient de plus en plus belle, capturant l’essence du personnage, et invitant à toujours porter son regard au-delà des apparences. Néanmoins, L’Homme d’argile parvient à éviter la niaiserie et les bons sentiments grâce au soin apporté à la psychologie des personnages, et notamment à celle de l’insaisissable Garance. Ainsi, le récit imaginé et mis en images par Anaïs Tellenne laisse dans le flou la véritable nature de l’intérêt qu’elle porte à Raphaël : s’agit-il d’un véritable amour pour le gardien ou l’utilise-t-elle simplement dans le but de se voir acclamée par ses pairs et par la critique ? Sortez les copies, vous avez deux heures.

Le DVD

[4/5]

Après une courte carrière en salles ayant attiré 38.000 curieux fin janvier, L’Homme d’argile arrive enfin en DVD et sous les couleurs de Blaq Out. Le DVD que nous propose aujourd’hui l’éditeur est en tous points excellent : le film est proposé au format 1.50 respecté, et la définition est exemplaire, sans le moindre problème de compression ou autre pétouille technique – un bel hommage rendu au travail du directeur photo Pierre W. Mazoyer, qui est parvenu à créer de beaux tableaux du manoir où prend place l’action. Côté son, la VF est naturellement proposée en Dolby Digital 5.1, et bénéficie d’un mixage dynamique et très immersif, particulièrement remarquable durant les séquences durant lesquelles s’exprime la mystérieuse musique du film signée Amaury Chabauty. Comme d’habitude, Blaq Out nous propose également de découvrir le film dans un mixage Dolby Digital 2.0, qui s’avérera probablement plus clair et cohérent si vous n’utilisez pas de système de spatialisation sonore.

Du côté de la section suppléments, l’éditeur nous propose tout d’abord un court-métrage d’Anaïs Tellenne et Zoran Boukherma, intitulé Le Mal bleu (16 minutes). Cet amusant petit film met en scène Sylvie Leclanche et Raphaël Thiéry dans la peau de Marie-Pierre et Jean-Louis, un couple de chasseurs de palombes. D’une jalousie maladive, Marie-Pierre mène la vie dure à son mari, jusqu’à ce que ce dernier l’enferme un matin dans la volière. Cet événement sera le déclencheur d’un retour de flamme inattendu… On continuera ensuite avec un sujet consacré une session d’enregistrement de la musique originale d’Amaury Chabauty par l’Orchestre Symphonique de Budapest (15 minutes), et on terminera par deux scènes inédites commentées par la réalisatrice Anaïs Tellenne (6 minutes), la première nous montrant une visite de Raphaël à sa mère à l’hôpital, et la deuxième revenant sur la tradition du « Mai », qui consiste pour un homme à aller couper du bois afin de le placer devant la porte de leur bien aimée. Les raisons pour lesquelles ont été écartées du montage final sont explicitées par la réalisatrice, et paraissent tout à fait judicieuses.

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