Depuis quelques années déjà, l’Académie du cinéma américain a pris l’habitude d’annoncer les lauréats des prochains Governors Awards, les Oscars d’honneur, dans la foulée du renouvellement de son conseil d’administration début juin. A ce sujet, nous n’avons jamais trop compris, si ce vote était l’ultime action du conseil sortant ou bien le cadeau d’accueil des nouveaux membres. Toujours est-il que nous connaissons depuis une semaine, depuis le mercredi 12 juin pour être exact, les noms des cinq individus qui seront honorés de la sorte lors de la quinzième soirée des Governors Awards, prévue le dimanche 17 novembre à la salle Ray Dolby à Hollywood. Pour rappel, cette même soirée avait été retardée l’année dernière jusqu’au mois de janvier, à cause de la double grève des scénaristes et des acteurs hollywoodiens.
Lors de cet événement qui sert traditionnellement et de façon tout à fait officieuse de coup d’envoi à la saison des prix de cinéma outre-Atlantique, un musicien et producteur de légende et la directrice de casting attitrée d’un réalisateur emblématique du cinéma de New York recevront un Oscar d’honneur pour l’ensemble de leur carrière, tandis qu’un duo de producteurs responsable de l’un des univers cinématographiques les plus rentables de l’Histoire du cinéma auront droit au prestigieux prix Irving G. Thalberg. Enfin, un scénariste et réalisateur étroitement associé au cinéma britannique sera récompensé par le prix humanitaire Jean Hersholt pour son engagement contre la pauvreté.
La 97ème cérémonie des Oscars aura lieu, quant à elle, le dimanche 2 mars 2025. Elle sera précédée de l’annonce des nominations six semaines plus tôt, le vendredi 17 janvier 2025.
Quincy Jones (* 1933), Oscar d’honneur
On ne présente plus le compositeur et producteur américain Quincy Jones. Ou peut-être si, puisque l’essentiel de son œuvre commence à remonter à plus d’un demi-siècle. D’abord un trompettiste de génie, il s’était tourné vers la composition de bandes originales de films dans les années 1960.
Ainsi, il a signé responsable des partitions souvent inspirées du jazz, voire de la musique expérimentale, pour des films aussi mémorables que Le Prêteur sur gages, M.15 demande protection et Le Gang Anderson de Sidney Lumet, Mirage de Edward Dmytryk, Trente minutes de sursis de Sydney Pollack, Rien ne sert de courir de Charles Walters, Dans la chaleur de la nuit de Norman Jewison – Oscar du Meilleur Film en 1968 –, De sang froid et Dollar$ de Richard Brooks, Maldonne pour un espion de Anthony Mann, Mon homme de Daniel Mann, L’Or de Mackenna de J. Lee Thompson, L’Or se barre de Peter Collinson, Bob et Carol et Ted et Alice de Paul Mazursky, John et Mary et Les Quatre malfrats de Peter Yates, Fleur de cactus de Gene Saks, Escapade à New York de Arthur Hiller, Appelez-moi Monsieur Tibbs de Gordon Douglas, Les Flics ne dorment pas la nuit de Richard Fleischer et Guet-apens de Sam Peckinpah.
Par la suite, à partir des années ’80, il s’était davantage tourné vers la production. De clips pour des artistes aussi populaires que Michael Jackson et Barbra Streisand, de téléfilms, mais également de longs-métrages de cinéma tels que La Couleur pourpre de Steven Spielberg et son remake de Blitz Bazawule sorti sur les écrans français en janvier dernier, ainsi que du documentaire Keep on keepin’ on de Alan Hicks.
Depuis très longtemps, Quincy Jones est un habitué des Oscars. Il y avait tenu à peu près tous les postes imaginables. De directeur musical à la 43ème cérémonie en 1971, lors de laquelle il avait brièvement quitté son orchestre pour accepter l’Oscar que les Beatles avaient gagné pour Let it be, jusqu’au producteur de la 68ème cérémonie en 1996, en passant par une demi-douzaine d’apparitions en tant que présentateur, la dernière fois en 2016 lorsqu’il avait présenté, aux côtés de Pharrell Williams, l’Oscar de la Meilleure musique originale à Ennio Morricone pour Les Huit salopards. Sans oublier ses sept nominations, entre autres pour la musique de De sang froid et La Couleur pourpre.
Surtout, Quincy Jones est d’ores et déjà le lauréat d’un prix honorifique de la part de l’Académie du cinéma américain. Ce fut il y a près de trente ans, en 1995, par voie du prix humanitaire Jean Hersholt remis par Oprah Winfrey. Alors qu’on pensait que pareil double sacre n’était plus possible, depuis un changement des règles des Oscars survenu il y a quelques années, il faut croire que le grand Quincy Jones mérite un trophée supplémentaire pour son illustre carrière.
Par conséquent, il rejoindra en novembre prochain le club exclusif de doubles lauréats du Hersholt et d’un autre trophée honorifique, auquel n’appartenaient jusqu’à présent que l’ancien patron de la Paramount Y. Frank Freeman, les acteurs Danny Kaye et Paul Newman, ainsi que le producteur Walter Mirisch. Toutefois, Jones ne sera que le deuxième après Freeman à obtenir un Oscar d’honneur après son prix humanitaire, puisque les trois autres lauréats l’avaient obtenu avant, sous forme du prix Irving G. Thalberg pour Mirisch en 1978 et d’un Oscar d’honneur pour Danny Kaye en 1955 et – quelque peu prématuré – pour Newman en 1986.
Juliet Taylor (* 194?), Oscar d’honneur
L’annonce n’avait pas fait grand bruit en février dernier. Il n’empêche que grâce au vote de l’ancien conseil d’administration de l’Académie du cinéma américain, il y aura bel et bien une nouvelle catégorie aux Oscars dans un an et demi, lors de la 98ème cérémonie. Il s’agit de celle dédiée aux directrices et directeurs de casting. Le deuxième Oscar d’honneur annoncé s’inscrit parfaitement dans cette logique, puisque l’essentiel de la carrière de l’Américaine Juliet Taylor est probablement derrière elle. D’autant plus que le réalisateur auquel elle était restée fidèle pendant plus de quarante films, Woody Allen, se trouve à présent dans une sorte de semi-retraite, aussi à cause des accusations morales qui restent en suspens à son égard.
Néanmoins, la très discrète Taylor, dont il nous a été impossible d’établir l’année de naissance, avait formé pendant plus de quarante ans un formidable tandem avec Woody Allen. Parmi les films majeurs qui avaient ponctué cette collaboration au long cours, on peut citer Annie Hall – Oscar du Meilleur Film en 1978 –, Intérieurs, Manhattan, Comédie érotique d’une nuit d’été, Zelig, Broadway Danny Rose, La Rose pourpre du Caire, Hannah et ses sœurs, Radio Days, Crimes et délits, Alice, Maris et femmes, Meurtre mystérieux à Manhattan, Coups de feu sur Broadway, Maudite Aphrodite, Tout le monde dit I love you, Accords et désaccords, Match Point, Vicky Cristina Barcelona, Minuit à Paris et Blue Jasmine.
Or, aussi exceptionnelle cette fidélité envers un réalisateur soit-elle, Taylor avait de même travaillé avec d’autres grands noms du cinéma américain, tels que William Friedkin (L’Exorciste), Bryan Forbes (Les Femmes de Stepford), Paul Mazursky (Next stop Greenwich Village et Tempête), Martin Scorsese (Taxi Driver), Martin Ritt (Le Prête-nom), Sidney Lumet (Network Main basse sur la TV), Fred Zinnemann (Julia), Herbert Ross (Le Tournant de la vie), Steven Spielberg (Rencontres du troisième type et La Liste de Schindler – Oscar du Meilleur Film en 1994), Louis Malle (La Petite, Crackers et Alamo Bay), Alan J. Pakula (Merci d’avoir été ma femme et Une femme d’affaires), Daniel Petrie (Le Policeman), Steve Gordon (Arthur), John Schlesinger (Honky Tonk Freeway), Alan Parker (L’Usure du temps, Birdy, Mississippi Burning, Aux bons soins du docteur Kellogg, Les Cendres d’Angela et La Vie de David Gale), Robert Benton (La Mort aux enchères), James L. Brooks (Tendres passions – Oscar du Meilleur Film en 1984), Jerry Schatzberg (Besoin d’amour), Roland Joffé (La Déchirure et Mission), Ulu Grosbard (Falling in Love), Mike Nichols (La Brûlure, Biloxi Blues, Working Girl, Bons baisers d’Hollywood, A propos d’Henry, Wolf, The Birdcage et Primary Colors), Penny Marshall (Big), Stephen Frears (Les Liaisons dangereuses, Les Arnaqueurs, Héros malgré lui et Mary Reilly), Bernardo Bertolucci (Un thé au Sahara), Nora Ephron (Nuits blanches à Seattle), Martha Coolidge (Angie), Neil Jordan (Entretien avec un vampire), Martin Brest (Rencontre avec Joe Black), Frank Oz (Et l’homme créa la femme) et Sydney Pollack (L’Interprète).
Juliet Taylor est la deuxième responsable du casting à recevoir un Oscar d’honneur, après le légendaire Lynn Stalmaster en 2016. En attendant son inclusion compétitive d’ici 2026, son métier est donc raisonnablement bien représenté parmi les lauréats honorifiques. Au même titre que les cascadeurs (Yakima Canutt et Hal Needham) et tout de même plus que les chef décorateurs (Robert Boyle) et les chef costumiers (Piero Tosi). Quoique pas autant que les scénaristes (Charles Brackett, Ernest Lehman et Jean-Claude Carrière), les monteuses (Margaret Booth, Anne V. Coates et Carol Littleton), les compositeurs (Alex North, Ennio Morricone, Lalo Schifrin et Diane Warren) et les chef opérateurs (Jack Cardiff, Gordon Willis et Owen Roizman).
Michael G. Wilson (* 1942) et Barbara Broccoli (* 1960), prix Irving G. Thalberg
Depuis la création de l’univers cinématographique de James Bond, ses films n’ont guère la cote auprès des Oscars. Certes, ces dernières années il y a eu pas moins de trois lauréats du côté de la Meilleure chanson. Et dans les années ’60, il y a eu un coup double technique de la part de Goldfinger (Meilleurs effets sonores) et de Opération Tonnerre (Meilleurs effets visuels). Mais sinon, le prestige commercial du personnage créé par Ian Fleming n’a jamais trouvé un écho sérieux auprès de l’Académie du cinéma américain.
Le fait d’honorer le duo de producteurs Barbara Broccoli et Michael G. Wilson avec le prestigieux prix Irving G. Thalberg – pour la première fois remis sous forme d’une statuette d’Oscar – peut donc être compris comme une opération de rattrapage attendue depuis longtemps. Sauf que le producteur historique de l’univers Albert R. Broccoli, le père de Barbara et le beau-père de Michael, avait déjà reçu ce même prix en 1982 des mains du Bond de l’époque Roger Moore.
Le premier à reprendre le flambeau pour ainsi dire fut Michael G. Wilson, qui avait occupé le poste de producteur exécutif sur Moonraker de Lewis Gilbert, puis Rien que pour vos yeux et Octopussy de John Glen, avant de devenir un producteur à part entière de la série sur Dangereusement vôtre, Tuer n’est pas jouer et Permis de tuer de John Glen. Avec l’arrivée du nouveau James Bond sous les traits de Pierce Brosnan sur GoldenEye de Martin Campbell en 1995, la demi-sœur de Wilson Barbara Broccoli avait rejoint ce tandem, qui allait faire des prouesses au box-office en neuf films et pendant plus d’un quart de siècle.
Que ce soient les trois autres aventures d’espion avec Brosnan (Demain ne meurt jamais de Roger Spottiswoode, Le Monde ne suffit pas de Michael Apted et Meurs un autre jour de Lee Tamahori) ou bien le redémarrage tonitruant grâce à Daniel Craig à travers Casino Royale de Martin Campbell, Quantum of Solace de Marc Forster, Skyfall et 007 Spectre de Sam Mendes, ainsi que Mourir peut attendre de Cary Joji Fukunaga, le duo de producteurs a globalement su se montrer digne de l’héritage James Bond.
Or, l’univers de l’agent secret le plus connu de la planète ne constitue pas leur seul accomplissement en tant que producteurs. Ils étaient également associés à des films aussi variés que Film stars don’t die in Liverpool de Paul McGuigan et Emmett Till de Chinonye Chukwu.
Sur les quarante fois que le prix Irving G. Thalberg a été attribué depuis 1937, c’est la troisième fois qu’un duo de producteurs est honoré de la sorte. Après David Brown et Richard D. Zanuck (Les Dents de la mer) en 1991 et Kathleen Kennedy et Frank Marshall (La Couleur pourpre) en 2019, Wilson et Broccoli sont les premiers à partager un lien de sang, alors que Kennedy et Marshall sont mariés depuis 37 ans. Ils sont de même les premiers à continuer une tradition familiale, après donc le sacre de Albert R. Broccoli en 1982.
Richard Curtis (* 1956), prix humanitaire Jean Hersholt
En fonction du public à qui vous demandez, il se peut que les films du lauréat humanitaire de cette année soient plus populaires, c’est-à-dire appréciés et globalement connus, que ceux des autres professionnels du cinéma honorés lors des prochains Governors Awards. Considéré longtemps comme le roi de la comédie romantique, le scénariste et réalisateur anglais Richard Curtis peut se prévaloir de titres aussi indémodables que Quatre mariages et un enterrement de Mike Newell, Coup de foudre à Notting Hill de Roger Michell, Le Journal de Bridget Jones de Sharon Maguire et, bien sûr, Love Actually réalisé par lui-même. Sans oublier ses débuts à la télévision anglaise avec « La Vipère noire », « Spitting Image », « Blackadder » et Mister Bean, ainsi que ses autres scénarios pour Mel Smith (The Tall Guy), Steven Spielberg (Cheval de guerre), Stephen Daldry (Favelas) et Danny Boyle (Yesterday). En tant que réalisateur, il a également été responsable de Good Morning England et Il était temps.
Richard Curtis avait reçu sa seule nomination aux Oscars pour le Meilleur scénario original de Quatre mariages et un enterrement en 1995. Cependant, l’Académie du cinéma américain le récompensera pour ses nombreuses activités humanitaires. En effet, depuis qu’il a participé activement au Comic Relief à la télévision britannique en 1988, Richard Curtis ne s’est plus arrêté dans son engagement pour l’éradication de la pauvreté à travers le monde. Par exemple, il a été à l’origine d’organismes et de campagnes caritatifs aussi reconnus que Make Poverty History et le concert Live 8 en 2005, ainsi que plus récemment Project Everyone pour soutenir les dix-sept objectifs des Nations Unies en termes de développement durable et Make My Money Matter pour l’investissement écologiquement vertueux des fonds de pension britanniques.