Berlinale 2024 : Architecton

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Architecton

Allemagne, France, États-Unis, 2024
Titre original : Architecton
Réalisateur : Victor Kossakovsky
Scénario : Victor Kossakovsky
Intervenants : Michele De Lucchi, Mauro Mella, Davide Alioli et Nick Steur
Distributeur : Dean Medias
Genre : Documentaire
Durée : 1h38
Date de sortie : 27 novembre 2024

2,5/5

Une chose sur laquelle il n’y a pas à tergiverser au sujet de Architecton : c’est un documentaire d’une beauté visuelle à couper le souffle. Son esthétique créée à grands renforts de prises aériennes, de ralentis et autres agrandissements vous fascinera certainement. Car le film de Victor Kossakovsky, présenté en compétition au Festival de Berlin, se veut avant tout un voyage contemplatif à travers des siècles de constructions humaines et la date de péremption plus ou moins proche de ces dernières. Depuis les immeubles éventrés par les bombes russes en Ukraine jusqu’aux ruines de temples anciens, en passant par l’éternel pillage de l’espace naturel à cause des matériaux indispensables pour le maintien de notre style de vie, tout ou presque y est passé en revue, grâce à un formidable album photo en mouvement.

Le hic, c’est que, aussi envoûtantes ces images soient-elles, la mise en scène peine à leur imprégner une quelconque valeur dramatique. Ce n’est que tout à la fin que le réalisateur en personne passe devant la caméra, afin de faire dire à l’architecte italien Michele De Lucchi que le recours systématique au béton relève de la folie humaine à l’état pur. Auparavant, la construction d’un cercle de pierres dans le jardin de son interlocuteur servait de seul fil rouge vaguement structurant dans cet enchaînement abstrait de plans virtuoses.

En somme, la forme est des plus réussies ici, à tel point qu’on rêverait de regarder cet hymne à la pierre en 3D et sur un écran encore plus géant que celui du Berlinale Palast. Mais le fond reste bien trop embrouillé et opaque pour nous faire prendre activement part à ce pamphlet environnemental. Celui-ci reste donc pris au piège, entre son raisonnement théorique timidement suggéré d’un côté et la puissance de ses multiples contours plastiques de l’autre.

© 2024 Ma.ja.de Filmproduktion / Point du jour / Les Films du Balibari / Hailstone Films / A24 / Neue Visionen Filmverleih
Tous droits réservés

Synopsis : Des immeubles en ruines sur la scène du théâtre de guerre en Ukraine. Les monolithes de pierre gigantesques à Baalbek au Liban. Une carrière de laquelle des rochers sont extraits. Un célèbre architecte qui laisse construire un cercle de pierres dans son jardin un jour d’hiver. Un artiste qui tente de faire tenir en équilibre des installations de pierres pour les photographier.

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Il existe deux ou trois sous-genres documentaires auxquels nous éprouvons une difficulté indécrottable d’accrocher. Celui des belles images qui défilent sans que la mise en scène ne nous fournisse au préalable un minimum de contexte pour leur compréhension peut parfois en faire partie. Que les choses soient bien claires, nous n’adorons rien plus au cinéma que de nous laisser emporter par une vision singulière du monde, de préférence différente de la nôtre ! Car quel intérêt de se voir réconforter paresseusement dans ses convictions par un film ou un documentaire qui s’efforce à brosser son public dans le sens du poil ? Aucun, bien sûr. Cependant, partir sur la voie épineuse de l’abstraction nécessite dans le meilleur des cas que celle-ci nous amène vers une conclusion elle aussi empreinte de cette liberté du regard, née d’une rupture radicale avec nos formes de perception familières.

Dans le cas de Architecton, c’est le message final qui met fortement en doute l’impact presque spirituel des compositions visuelles qui lui ont précédé. D’accord, le béton est un matériel de construction de facilité qui déshumanise notre monde et de surcroît coûte cher en ressources. Et après ? Un propos aussi basique introduit une dissonance déplaisante avec le ballet de pierres, propulsées dans tous les sens et à toutes les vitesses de projection imaginables depuis plus d’une heure de film. Cette tentative de conférer tardivement un sens militant à ce que nous avions vu jusque là, les yeux émerveillés grands ouverts, constitue un fâcheux pas en arrière sur le chemin de l’abstraction cinématographique.

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Reste alors le motif récurrent et passablement déroutant de Michele De Lucchi, qui a commandé deux ouvriers dans son jardin afin d’y creuser un cercle de pierres. Le pourquoi du comment de cette œuvre, elle aussi habitée par une étrange absence de justification, ne devient jamais clair. Pas plus que sa vocation d’espace à mettre à l’abri de toute influence humaine. Comme si ces quelques modestes mètres carrés désormais laissés en friche pourraient racheter la faute initiale des architectes travaillant avec la matière morte par excellence, le béton. Sans oublier que les échanges entre le commanditaire et ses subalternes se démarquent par une banalité répétitive ne nous rendant point plus intéressant ce chantier par temps de neige.

Une neige qui ne reste pas, d’ailleurs. Contrairement à ces chorégraphies de danses de cailloux prêts à être broyés, parfaitement calées sur la musique de Evgueni Galperine. Celles-là, elles sont désormais gravées dans notre mémoire de spectateur enchanté. Dommage alors que ce fond sonore plus ou moins mélodieux et invasif se montre aussi variable que le fil narratif du documentaire dans son ensemble. Les moments excessifs alternent ainsi avec de rares moments de grâce filmique. Dont peut-être le plus parlant – infiniment plus que la discussion finale à bâtons rompus entre le réalisateur et l’architecte en tout cas – serait celui où la colonne interminable de camions déverse des tonnes de déchets de démolition à quelques mètres à peine de leur lieu d’origine, la carrière à ciel ouvert qui a irrémédiablement défiguré l’aspect de la montagne.

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Conclusion

Il y a quelques considérations pas sans intérêt sur le temps à tirer de Architecton. Le temps des hommes qui n’est pas celui des édifices construits par eux, le plus souvent appelés à les survivre. Et sa maestria visuelle n’est nullement à mettre en question. Pourtant, la méthode du réalisateur Victor Kossakovsky, de laisser couler ce flot d’images sans ligne directive au moins vaguement apparente, finit par nous inspirer une certaine indifférence à l’égard de son documentaire. Un doute qui se mue presque en agacement, quand le vaste espace imaginaire suscité malgré tout par le film se voit contraint de rentrer in extremis dans la petite boîte de la mise en garde contre l’abus du recours au béton.

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