Berlinale 2024 : Another End

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Another End

Italie, France, Royaume-Uni, 2024
Titre original : Another End
Réalisateur : Piero Messina
Scénario : Piero Messina, Giacomo Bendotti, Valentina Gaddi et Sebastiano Melloni
Acteurs : Gael Garcia Bernal, Renate Reinsve, Bérénice Bejo et Olivia Williams
Distributeur : –
Genre : Science-fiction
Durée : 2h10
Date de sortie : –

3/5

La gestion du deuil est peut-être la tâche la plus difficile qui attend tôt ou tard chaque être humain, au fur et à mesure que le nombre de ses années de vie augmente. Comment prendre congé de l’être aimé ? Comment trouver la force d’avancer sans elle ou lui ? Et quelle importance accorder désormais à ce semblant de vie, définitivement tronqué par la disparition d’autrui ? Tant de questions abstraites auxquelles le cinéma cherche à répondre depuis toujours. La prémisse de ce film italien, présenté en compétition au Festival de Berlin, est passionnément prometteuse. Grâce à des prouesses de programmation cognitive, les souvenirs des défunts peuvent être transmis à des femmes et des hommes hôtes qui prennent pendant un temps limité leur place. De quoi nous concocter un conte futuriste fascinant, non ?

Hélas, Another End peine lentement, mais sûrement à tenir ses promesses. Sa forme savamment agencée dans un décor urbain qui a beau ressembler à La Défense, le quartier des affaires à l’ouest de Paris, et qui dégage pourtant une chaleur fonctionnelle étrange, dénote de plus en plus sur un fond désespérément alambiqué. Avec chaque nouveau rendez-vous entre le veuf meurtri et celle qui dispose des souvenirs de sa femme mais pas de son corps, l’histoire a tendance à s’embourber dans un refus de lâcher-prise progressivement plus pathologique. Ce qui prouve en quelque sorte les pieds d’argile et de cette manœuvre de retardement de la séparation définitive, et du modèle commercial de l’entreprise nébuleuse qui la propose à ses clients a priori fortunés.

Or, plutôt que d’interroger le rapport de notre civilisation contemporaine à la mort et par conséquent à la vie, le deuxième long-métrage de Piero Messina, huit ans et demi après L’Attente, finit par tourner en rond avant un dénouement passablement décevant.

© 2024 Indigo Film / Rai Cinema / TF1 Studios / 01 Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Dans un futur pas si lointain, il sera possible de vivre encore un nombre limité de moments avec un défunt proche, dont les souvenirs ont été transférés dans le corps d’une personne hôte. Tandis que Ebe croit en cette méthode du deuil à faire à petits pas à laquelle elle participe activement en attribuant les personnes compatibles aux familles concernées, son frère Sal demeure inconsolable depuis la mort de sa femme Zoe dans un accident de voiture. Alors que les souvenirs enregistrés de Zoe devraient bientôt être effacés, Ebe réussit à convaincre son frère de faire un essai en accueillant chez lui une femme programmée pour agir exactement comme son amour décédé.

© 2024 Matteo Casilli / Indigo Film / Rai Cinema / TF1 Studios / 01 Distribution Tous droits réservés

Contrairement aux apparences, Another End n’est pas un film particulièrement morbide ou glauque. Son esthétique très joliment travaillée, plus concluante au niveau visuel que du côté de la bande son parfois tonitruante, empêche jusqu’à un certain point le récit de se fourvoyer dans un chant mortuaire dépourvu de remède. L’équilibre fragile entre ce statu quo scientifique encore difficile à imaginer aujourd’hui et la quête personnelle d’enfin pouvoir tourner la page après un décès brutal y est maintenu avec une certaine adresse.

En somme, la première partie du film développe plus que convenablement sa prémisse étonnante, sans pour autant en trahir l’esprit iconoclaste. Tout est à redéfinir dans ce monde qui ne ressemble plus que partiellement au nôtre et duquel la conception traditionnelle de l’humanité a visiblement pris congé. De quoi mettre sens dessus-dessous tout ce que nous prenons comme acquis dans notre distinction trop simple entre le vivant et le mort.

Sauf que l’avancement dramatique au delà de ce point de départ riche en potentiel époustouflant s’avère de plus en plus problématique. L’implication du personnage principal – que Gael Garcia Bernal campe avec une tristesse détachée – dans cette démarche initiée par sa sœur ne semble pas porter les fruits escomptés. Plutôt que de se fixer un repère de rupture irrémédiable à partir duquel une nouvelle vie pourrait devenir possible pour lui, il laisse traîner les choses, en demandant un report après l’autre de ce dernier rendez-vous tant redouté. Au grand dam de sa sœur, son ange gardien à qui Bérénice Bejo sait conférer toute la gravité requise. Des rencontres en apparence fortuites ne lui sont pas non plus d’une grande aide, malgré cette gêne toujours un brin britannique avec laquelle Olivia Williams ennoblit chacun de ses personnages.

© 2024 Indigo Film / Rai Cinema / TF1 Studios / 01 Distribution Tous droits réservés

L’arrivée dans son foyer de la femme tant espérée / redoutée va-t-elle alors changer la donne ? Partiellement oui, bien que Renate Reinsve – décidément très présente sur les écrans de cette 74ème Berlinale – n’y trouve pas non plus un rôle à l’ambiguïté surprenante. En fait, la narration n’est déjà plus très loin de faire du surplace, lorsque la thérapie s’arrête net sur son chemin discutable. Dès lors, la quête de cette enveloppe charnelle qui s’apparente à de l’obsession hitchcockienne tente de réinventer les enjeux du récit, avec un résultat pour le moins mitigé. A quoi bon, en fait, pour Sal de courir après la chimère d’une défunte, si c’est pour recommencer toutes les erreurs du passé avec elle ? Eh oui, les imitateurs du sublime jeu de miroirs et de faux semblants dans Sueurs froides ne sont pas prêts à abandonner leurs prétentions de cinéma.

Or, la référence infiniment plus préoccupante de Another End se situe du côté du genre d’horreur au début du siècle. Pour vous donner un indice supplémentaire, on la doit à un récent président du jury du Festival de Berlin. Sans trop vouloir vous dévoiler de ce reviremenr ultime qui relativise beaucoup trop de choses, sachez quand même qu’il fait s’écrouler misérablement le château de cartes construit jusque là avec une certaine élégance formelle. Une déception doublée encore par ces tout derniers plans sans intérêt qui arrivent après que le public festivalier avait déjà manifesté son enthousiasme très modéré face à ce conte fantastique, qui démarre donc très bien et qui se termine très mal.

© 2024 Kimberley Ross / Indigo Film / Rai Cinema / TF1 Studios / 01 Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Presque déjà arrivé à mi-chemin de notre couverture berlinoise raccourcie cette année d’une journée, restons optimistes face à ce que la compétition aura encore à nous proposer dans les prochains jours. Dans le cas de Another End, on préfère voir le verre à moitié plein, grâce à sa prémisse ingénieuse et malgré ses maladresses finales assez préjudiciables. Avec une mention spéciale pour le second rôle du père de Zoe, interprété avec une telle douleur intériorisée par Philip Rosch, qu’il a failli conférer une véritable notion de l’impossibilité du deuil à ce film, sinon trop préoccupé à trouver une pirouette finale satisfaisante, en vain.

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