Berlinale 2024 : Berlin Été 42

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Berlin Été 42

Allemagne, 2024
Titre original : In Liebe, Eure Hilde
Réalisateur : Andreas Dresen
Scénario : Laila Stieler
Acteurs : Liv Lisa Fries, Johannes Hegemann, Lisa Wagner et Alexander Scheer
Distributeur : Haut et Court Distribution
Genre : Drame historique
Durée : 2h05
Date de sortie : 9 avril 2025

3/5

En Allemagne, il existe une sorte d’obligation collective du souvenir. Au vu du passé très trouble de nos voisins germaniques, rien d’étonnant à cela. Il serait même souhaitable que la France, nullement exempte d’atrocités historiques, en fasse pareil. En attendant que les choses bougent à ce niveau-là vers chez nous, l’empressement très germanique de lutter contre l’oubli et la banalisation de la période nationale-socialiste se traduit depuis quelques années par des films qui s’efforcent à célébrer les rares résistants contre le régime hitlérien.

Dans ce contexte, on comprend aisément qu’un constat glaçant sur le crime de l’indifférence comme le récent La Zone d’intérêt de Jonathan Glazer ait été produit au Royaume-Uni, alors que du côté allemand, on se retrouve avec un film plus consensuel et doucement hagiographique comme In Liebe Eure Hilde.

Ce qui ne signifie nullement que le réalisateur Andreas Dresen ait choisi la voie de la facilité pour évoquer un destin comme un autre en temps de guerre. Son cinquième film sélectionné en compétition au Festival de Berlin a beau se reposer un peu trop sur le dispositif narratif de la double temporalité qui fait simultanément avancer l’action du présent et reculer celle du passé, il en sort néanmoins le portrait poignant d’une jeune femme écrasée à petit feu par les rouages implacables de la barbarie.

L’interprétation à la fois sobre et intense de Liv Lisa Fries dans le rôle principal contribue à aménager un bel effet sentimental, là où un jeu plus affecté aurait aisément pu faire dévier le récit vers le registre du mélodrame larmoyant. Grâce à elle, le calvaire de Hilde n’a rien de platement exemplaire, puisqu’il sait retenir la dimension profondément personnelle de l’étau impitoyable de la répression politique qui se resserre autour d’elle.

© 2024 Frédéric Batier / Pandora Film Produktion / Ziegler Film / Iskremas Filmproduktion / Beta Cinema
Tous droits réservés

Synopsis : La résistante allemande Hilde Coppi est arrêtée en septembre 1942. Enceinte de plusieurs mois, elle accouche en prison, où elle attend son procès pour haute trahison. Depuis des mois, elle avait cherché à transmettre des informations à Moscou par voie de radio, sur l’initative de son mari Hans. Celui-ci a également été emprisonné, comme les autres membres du groupe communiste Orchestre rouge.

© 2024 Frédéric Batier / Pandora Film Produktion / Ziegler Film / Iskremas Filmproduktion / Beta Cinema
Tous droits réservés

Ce n’est pas vraiment le ressort du suspense qui fait avancer l’intrigue de In Liebe Eure Hilde. Dès la première séquence, l’héroïne est embarquée par la police, puis interrogée selon les règles de l’art de l’opposition manichéenne entre le bon flic et le bourreau, pour finir en régime d’isolement jusqu’à son accouchement hautement traumatisant. Même à ce moment-là, on sait d’ores et déjà comment sa procédure judiciaire va se terminer, les rouages de la justice nazie ayant opéré pendant des années sans jamais faillir dans leur ambition au cynisme suprême. L’horreur véritable s’y situe principalement dans l’absence d’états d’âme presque généralisée avec laquelle les tortionnaires et autres géôliers appliquent les ordres, sans jamais interroger leur fondement humain.

Dans la grisaille quotidienne derrière les barreaux, c’est l’ignorance qui tue chaque jour un peu plus. D’abord, celle de ne pas savoir ce que sont devenus les compagnons de résistance. Et pire encore, être confronté sans préavis à une certitude néfaste. Puis, l’attente interminable d’une mort certaine, rendue plus insoutenable par la croissance presque sans entraves de la prochaine génération. Andreas Dresen filme cette épreuve sans la moindre emphase. Il laisse les petits gestes solidaires et les aveux d’impuissance faire le travail délicat de l’usure par le temps, que des coups de théâtre excessifs auraient rendu avant tout pénible. Car c’est un autre moyen narratif qui accomplit ici le grand écart entre le désespoir et le bonheur, respectivement exacerbés par leur discordance accrue d’une séquence à l’autre.

© 2024 Frédéric Batier / Pandora Film Produktion / Ziegler Film / Iskremas Filmproduktion / Beta Cinema
Tous droits réservés

Vous vous en souvenez peut-être, en 2002, le réalisateur Gaspar Noé avait marqué les esprits avec son film à scandale Irréversible. Tandis que c’est son recours initial à la violence qui avait alors déclenché la polémique, c’est sa structure narrative qui nous intéresse à présent. En effet, son histoire d’une soirée entre amis qui vire au cauchemar avait été intégralement contée à l’envers, c’est-à-dire avec la dernière séquence du déroulé temporaire montée au début du film et inversement. In Liebe Eure Hilde s’inspire en partie de cette rupture radicale avec les conventions de la progression dramatique. Le compte à rebours de la montée inéluctable de Hilde vers l’échafaud y est ponctué avec une régularité presque déroutante de séquences à souvenirs nous dévoilant – au fur et à mesure et à l’envers s’il vous plaît – la belle histoire d’amour entre Hilde et Hans.

Chaque fois que les conditions de détention de la jeune mère se dégradent, le spectateur est amené un peu plus en arrière, vers un regard nostalgique sur le passé qui tolère de moins en moins cette détresse maussade. La différence entre les saisons s’y accentue en même temps que celle entre un état d’esprit au début encore plein d’illusion et d’idéalisme et la perte sinon des valeurs au moins de la volonté de les transmettre avec conviction. Certes, il y a quelque chose de foncièrement schématique dans cet agencement du récit. Mais l’opposition criarde entre ces deux fils narratifs – pertinente justement parce que l’on sait quasiment d’emblée quel triste sort attendra les deux amoureux – permet de voir sous un jour relativement nouveau un chapitre très sombre de l’Histoire européenne.

L’exercice s’est-il avéré payant en fin de compte ? Oui et non, le naturel désarmant des interprétations et la sobriété générale du ton faisant de leur mieux pour relativiser la rigidité du dispositif.

© 2024 Frédéric Batier / Pandora Film Produktion / Ziegler Film / Iskremas Filmproduktion / Beta Cinema
Tous droits réservés

Conclusion

Il n’existe pas vraiment d’équivalent en français de l’expression allemande « wehret den Anfängen ». Celle-ci signifie en gros qu’il faut tuer le mal dans l’œuf afin d’éviter que l’Histoire se répète. La tradition semi-régulière des productions allemandes qui rappellent le rôle valeureux d’une infime minorité de personnes sous le régime nazi sert aussi à cela : à nous rappeler à quel point la liberté est précieuse et assaillie de toute part. In Liebe Eure Hilde s’acquitte plus que convenablement de cette tâche essentielle. Face à une actualité brûlante – la mort suspecte de l’opposant russe Alexeï Navalny –, de tels films sont plus que jamais utiles pour démontrer avec plus ou moins de subtilité qu’il est vital de résister à l’oppression, peu importe sous quelle forme elle fait irruption dans notre vie prétendument préservée.

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