Small Things Like These
Irlande, Belgique, 2024
Titre original : Small Things Like These
Réalisateur : Tim Mielants
Scénario : Enda Walsh, d’après le roman de Claire Keegan
Acteurs : Cillian Murphy, Eileen Walsh, Michelle Fairley et Emily Watson
Distributeur : –
Genre : Drame social
Durée : 1h37
Date de sortie : –
3/5
Chaque année, nous commençons notre couverture du Festival de Berlin avec un sentiment diffus d’attente. Ce n’est pas tellement de l’appréhension, mais plutôt une certaine méfiance par rapport au film d’ouverture retenu pour lancer les festivités cinématographiques, qui se déroulent pendant une dizaine de jours dans la capitale allemande au mois de février. Car au fil de nos séjours, nous avons été plus souvent déçus qu’enthousiasmés par ces démarrages généralement peu exceptionnels. Pour l’édition 2024, le choix peut paraître à première vue un brin opportuniste, puisque la seule prétention à la notoriété de Small Things Like These se résume à sa vedette Cillian Murphy. Grâce à Oppenheimer de Christopher Nolan, l’acteur irlandais n’est probablement pas en route pour l’Oscar. Mais il sera au moins présent au Dolby Theatre à Hollywood d’ici un petit mois.
Et pourtant, à travers le traitement sobre, pudique et même parfois élégant d’un sujet brûlant, le quatrième long-métrage de Tim Mielants nous a agréablement surpris. Certes, il ne relève pas de cette catégorie de films un peu suspects, conçus en premier lieu pour épater la foule massée autour des tapis rouges. Mais il sait parfaitement faire preuve de retenue et d’une belle intensité affective pour rendre compte d’une thématique déjà traitée par-ci, par-là au cinéma. L’exemple le plus parlant reste jusqu’à ce jour le très poignant The Magdalene Sisters de Peter Mullan, Lion d’or au Festival de Venise en 2002. L’approche a été infiniment plus nostalgique, voire édulcorée dans le cas de Philomena de Stephen Frears, sorti en France il y a dix ans.
Cette adaptation du roman de Claire Keegan se place tranquillement quelque part entre ces deux extrêmes de manipulation sentimentale. Ainsi, elle reste tout à fait fidèle aux tourments et aux motivations modestes de son personnage principal.
Synopsis : Au milieu des années 1980 en Irlande, Bill Furlong est un père de famille aimant qui gagne sa vie en tant que gérant d’une entreprise de distribution de charbon aux particuliers. Lors de ses tournées, il fait régulièrement escale dans un monastère qui accueille de jeunes femmes tombées enceintes en dehors des liens du mariage. Bill n’aime pas ce qu’il y voit, mais il ignore comment remédier à cette situation humiliante pour les jeunes pensionnaires. De même, l’influence sociale des bonnes sœurs au village lui fait craindre pour l’éducation de ses trois filles cadettes. Or, le souvenir de sa propre enfance trouble empêche cet homme respectable d’abandonner à leur sort les femmes prises au piège dans le monastère.
Amour et compassion
Après son coup d’éclat de scientifique créateur de la bombe atomique, Cillian Murphy revient donc à des rôles à dimension humaine. Et grand bien lui en a pris, tant il habite avec un calme magnétique ce personnage renfermé qui bout à l’intérieur. Son interprétation n’est nullement un numéro grandiloquent d’acteur, mais au contraire le genre d’incarnation authentique et sincère pour laquelle on apprécie ce comédien. Son Bill, brave et patient, s’use dans un quotidien sans gloire, où la routine des gestes répétés jour après jour en dit long sur le conformisme sourd avec lequel cet ancien enfant illégitime semble s’être arrangé depuis longtemps. Et le rituel de la livraison des lourds sacs de combustibles, et celui du brossage des mains pour se débarrasser des taches noires gênantes en fin de journée avant de passer à table témoignent d’une voie existentielle fermement balisée.
Cependant, il y a des signes qui ne trompent pas pour indiquer – assez subtilement – que quelque chose ne tourne pas rond dans cette vie bien rangée de pilier de la société provinciale. Cette gêne est autant celle de Murphy, devenu maître en une vingtaine d’années de cinéma de personnages se sentant un peu mal dans leur peau, que celle provoquée par des situations en apparence anodine. Le caractère récurrent de ces dernières et surtout leur absence d’issue enfoncent pourtant doucement le clou d’un malaise en quête d’échappatoire. Dès lors, il est tout à l’honneur du film que cette dernière, tout en étant lourde de sens, prend l’allure d’une action s’inscrivant parfaitement dans les lieux et les cheminements habituels de Bill. C’est ainsi que le film sait convaincre : par la solidité de sa forme et de sa narration, plutôt que par la recherche à tout prix de prétextes mélodramatiques.
Le Père Noël n’habite plus ici
Petite touche par petite touche, la mise en scène de Tim Mielants nous implique dans le dilemme éprouvé par le protagoniste de Small Things Like These, qu’il doit désormais affronter seul. Car il ne peut compter sur aucune aide ou assistance pour reconnaître comment répondre à cet appel à l’aide étouffé de toutes parts. En effet, bon nombre des personnes dans son entourage savent ce qui se passe derrière les murs du monastère ou s’en doutent au moins. Tout un chacun trouve une raison pour ne pas se mêler de la détresse des futures jeunes mères. Principalement, cette passivité se justifie par des considérations d’ordre financier ou social.
À l’image de la femme de Bill, interprétée avec une simplicité guère dupe par Eileen Walsh … qui avait été encore de l’autre côté du fossé moral il y a plus de vingt ans dans The Magdalene Sisters ! Ici, tout va bien pour son personnage, à condition que la situation matérielle de sa famille ne soit pas mise en péril par les scrupules de son mari.
Tandis que même cette philosophie terre-à-terre trouve une forme d’expression filmique sans jugement, la narration fait encore un peu mieux du côté des mouvements de caméra. Ceux-ci ont beau être perceptibles, ils sont simultanément animés par un regard empreint de sérénité, qui n’a pas peur de voir les personnages quitter le champ, pour les y faire revenir ensuite à leur guise. Enfin, le mal incarné se distingue dans ce film par une formidable duplicité. Entre ce que dit la mère supérieure, interprétée avec aplomb mais sans pesanteur par la magnifique Emily Watson, et ce qu’elle fait réellement, un double discours proprement diabolique voit le jour. Ce qui est peut-être le meilleur compliment que l’on puisse faire à un film sinon prédestiné au manichéisme le plus sommaire.
Conclusion
Alors non, on n’ira pas jusqu’à écrire que Small Things Like These appartient aux films d’ouverture les plus probants qu’on ait vus en près de dix ans de couverture berlinoise. Néanmoins, la mise en scène de Tim Mielants affiche une assez grande finesse pour ne pas tomber dans les pièges les plus voyants que son sujet épineux aurait pu lui tendre. Avec une belle prestation de Cillian Murphy en prime – et dans une moindre mesure, parce que disposant de sensiblement moins de temps à l’écran, celles de Eileen Walsh et de Emily Watson –, nous n’avons nullement boudé notre plaisir face à ce film en tous points honorable.