Livre : La Seconde femme (Murielle Joudet)

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La Seconde femme
France, 2022
Titre original : –
Autrice : Murielle Joudet
Éditeur : Premier Parallèle
214 pages
Genre : Sociologie du cinéma
Date de parution : 15 septembre 2022
Format : 131 mm X 206 mm
Prix : 20 €

4/5

A quelques anomalies statistiques dues à la pandémie du coronavirus près, on vit de plus en plus longtemps. Pourtant, est-ce que cela signifie aussi qu’on vit de mieux en mieux ? Et surtout, existe-t-il un accompagnement social et culturel envers ces personnes de plus en plus âgées, auxquelles nous commençons à nous identifier chaque jour un peu plus ? Car à la courbe de l’espérance de vie qui monte sans cesse s’oppose celle du culte de la jeunesse, le seul à faire rêver, voire à fantasmer de nos jours, là où les aléas du grand âge font plutôt cauchemarder. Sur ce terrain pour le moins glissant, l’essai passionnant de Murielle Joudet fait œuvre de résistance. Mieux encore, « La Seconde femme » invite à une réflexion jamais pesante, ni exagérément théorique sur ce sujet au cœur du parcours de chaque actrice, tout en élargissant subtilement son discours sur des considérations plus universelles.

A travers le portrait à la fois exhaustif et succinct de huit comédiennes de renom, l’autrice y sonde les règles impitoyables contre lesquelles ces monstres sacrés du Septième art que sont Nicole Kidman, Brigitte Bardot ou encore Frances McDormand ont dû se battre en leur temps. Le choix des carrières retenues s’y avère d’une pertinence extrême, tant chacune d’entre elles reflète une façon différente de faire face aux signes de l’âge ou de les gommer avec persévérance.

En à peine deux-cents pages, il est certes difficile de faire le tour de cette question épineuse. Mais Murielle Joudet applique sans faille la distance adéquate pour condenser les particularités de chaque biographie, sans pour autant se priver de quelques mises en parallèle savoureuses. A ce sujet, la plus ingénieuse est sans doute celle, historique, entre la sexualité aussi débridée que possible de Mae West et l’image proprette de l’enfant-star Shirley Temple, les deux plus grandes vedettes féminines à Hollywood dans les années 1930.

Nicole Kidman dans Eyes Wide Shut © 1999 Manuel Harlan / Stanley Kubrick Productions / Warner Bros. France
Tous droits réservés

Synopsis : Comme le dit le personnage interprété par Gena Rowlands dans Opening Night de John Cassavetes, « à un moment de nos vies, la jeunesse meurt et une seconde femme entre en scène ». Comment faire alors avec le temps qui passe, quand tout nous rappelle à notre image ? La critique de cinéma Murielle Joudet tente de répondre à cette question en huit portraits d’actrices comme autant de manières de composer avec cette seconde femme. L’inépuisable ingéniosité des femmes résiste dès lors à la puissance pétrifiante du regard masculin. Au fil du temps, depuis Mae West jusqu’à Nicole Kidman, en passant par Bette Davis, Thelma Ritter, Brigitte Bardot, Isabelle Huppert, Meryl Streep et Frances McDormand, ces actrices emblématiques ont toutes su écrire leur scénario femme personnel.

Thelma Ritter dans Le Port de la drogue © 1953 20th Century Fox / The Walt Disney Company France Tous droits réservés

Portraits de femmes

Comme tout déclencheur prodigieux d’idées qui se respecte, « La Seconde femme » ne prétend aucunement à une quelconque exhaustivité. L’autrice le reconnaît dès l’introduction, puisqu’elle invite justement ses lectrices et ses lecteurs à poursuivre la réflexion autour de profils complémentaires à ceux inclus dans son ouvrage. Or, une fois que son tour d’horizon s’est achevé sur le cas suprême de Bette Davis, une actrice aux rôles hautement symboliques dans Eve de Joseph L. Mankiewicz et Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? de Robert Aldrich et qui est restée présente à l’écran quasiment jusqu’à sa mort, on manque d’exemples dont on regretterait sincèrement l’omission. En effet, la plupart des cas de figure y sont traités avec une acuité intellectuelle remarquable et sans que ces choix très personnels pour chaque actrice ne donnent lieu à un jugement sommaire.

Bien au contraire, le travail d’interprétation des parcours divers et variés et leur rapprochement culturel et social à leurs époques respectives s’effectuent avec une aisance d’écriture et un raisonnement logique des plus impressionnants ! Le fait d’alterner à peu près entre actrices françaises et américaines – bien que le compte penche clairement en faveur des égéries hollywoodiennes – et de ne pas se focaliser sur un enchaînement chronologique garantit ainsi un plaisir de lecture maintes fois renouvelé. A tel point qu’un regard au-delà de ces deux pôles cinématographiques majeurs que sont les États-Unis et la France n’aurait sans doute pas apporté grand-chose à ce livre d’ores et déjà truffé d’enseignements utiles. Que ce soit à Cinecittà, à Bollywood, en Espagne, en Russie ou bien dans d’autres pays lointains, la façon de se réapproprier en tant qu’actrice son corps et son imaginaire à partir d’un certain âge ne devrait pas trop varier …

Isabelle Huppert dans Madame Hyde © 2017 Les Films Pelléas / Frakas Productions / arte France Cinéma /
Auvergne-Rhône-Alpes Cinéma / Haut et court Distribution Tous droits réservés

Voyage sans retour vers la vieillesse

Et comment font-elles donc, ces actrices exemplaires, pour se soustraire à l’étau de l’âge qui se resserre autour d’elles à partir de quarante ou cinquante ans ? Murielle Joudet a beau dégager une idée principale pour chacune d’entre elles, son argumentation ne se limite point à la répétition ennuyeuse de sa théorie. Elle la met davantage à l’épreuve d’une étude approfondie de leurs filmographies respectives, articulée sans exception autour de l’image de la femme et de son besoin impérieux d’être belle et désirable. Sauf que, justement, quelques contre-exemples probants confirment la triste règle. Comme Thelma Ritter qu’on n’a jamais vue jeune à l’écran et qui incarne magistralement, le temps d’une séquence ou deux, toutes les peines du monde réel de la vieillesse. Ou bien Frances McDormand, l’antithèse parfaite du glamour qui a néanmoins su accomplir une carrière des plus brillantes.

Hélas, pour une majorité d’actrices, il s’agit cependant d’esquiver les signes trop voyants du vieillissement. Quitte à remplacer l’image de jeunesse de la poupée outrancièrement sexuée par celle de la vieille fanatique de la défense des animaux. Ce qui vaut autant pour Brigitte Bardot en France que pour Doris Day outre-Atlantique : une mise en parallèle avec quelques nuances de pudibonderie nécessaires à laquelle ne s’aventure pas Murielle Joudet. La même chose est vraie pour Nicole Kidman et ses innombrables opérations de chirurgie esthétique et pour Isabelle Huppert et ses trucages discrets de l’image numérique. Par ailleurs, l’autrice rebondit sur l’occasion afin d’inclure une parenthèse instructive sur le Body Work.

Seule l’impérieuse Meryl Streep semble échapper au carnage. Au détail près que son corpus de rôles romantiques est démasqué ici comme une autre façon de nier son âge, avec en l’occurrence ses excès de longévité dans La Mort vous va si bien de Robert Zemeckis en guise de point de basculement irréversible.

Bette Davis dans Qu’est-il arrivé à Baby Jane ? © 1962 The Associates and Aldrich Company / Warner Bros. France
Tous droits réservés

Conclusion

Considérer « La Seconde femme » en tant que livre écrit par une femme à destination exclusive d’un public féminin vous exposerait à passer à côté d’une somme époustouflante de réflexions sur le rôle des actrices et ce qu’elles représentent en termes d’image et d’imaginaire dans notre civilisation contemporaine, obsédée par la jeunesse. Face au cap si difficile à négocier de cette seconde femme d’âge mûr qui remplace l’objet sexuel de la première, huit options complémentaires y conjuguent avec brio tout le mal-être des femmes en tant qu’objet d’étude, soumis au regard des hommes. Grâce à son point de vue éclairé, Murielle Joudet nous rappelle qu’il n’y a aucune fatalité néfaste à vieillir et que, au contraire, ces années qui s’accumulent sur notre compteur personnel peuvent déboucher sur une réinvention prodigieuse de soi. Ce qui est une leçon des plus précieuses à tirer d’un simple bouquin de cinéma !

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