Est-ce que cette année ou plutôt l’année prochaine sera la bonne ? Celle qui verra le cinéma français faire son retour en grâce à la cérémonie des Oscars du côté de la catégorie du Meilleur Film international ? En effet, il y a de quoi désespérer un peu face à l’échec, année après année, de remporter enfin de nouveau cet Oscar-là, désormais plus de trente ans après la dernière victoire avec Indochine de Régis Wargnier en 1993. Même en termes de nominations, le constat n’est point reluisant, puisque le candidat officiel de la France y a également fait choux blanc depuis Les Misérables de Ladj Ly, le dernier film français nommé il y a quatre ans. La sélection 2023 aura-t-elle plus de chance ?
Verdict lors de l’annonce des nominations le mardi 23 janvier 2024, suivie de la 96ème cérémonie le dimanche 10 mars 2024. Tout ceci sous réserve d’une fin prochaine de la double grève des scénaristes et acteurs américains. C’est hier que le CNC a annoncé la liste des cinq productions françaises, qui garderont encore pendant une semaine toutes leurs chances de représenter la France à l’Oscar du Meilleur Film international. Car jeudi prochain, le 21 septembre, la commission de sélection se réunira de nouveau pour l’audition finale, avec convocation du producteur, du vendeur international et, le cas échéant, du distributeur américain de chaque film.
Elle était composée cette année de sept membres, dont les producteurs Charles Gilibert (Annette) et Patrick Wachsberger (CODA – Oscar du Meilleur Film en 2022), des réalisateurs Olivier Assayas (Cuban Network) et Mounia Meddour (Papicha – candidat algérien à l’Oscar du Meilleur Film International en 2020), ainsi que du compositeur Alexandre Desplat (Oscars de la Meilleure musique originale pour The Grand Budapest Hotel en 2015 et La Forme de l’eau en 2018). Seuls onze films avaient fait acte de candidature, contre trente-trois l’année dernière, pour succéder à Saint Omer de Alice Diop, le candidat français malheureux de 2022.
Pas sûr que le grand remaniement du processus de sélection entrepris l’année dernière par la ministre de la culture Rima Abdul-Malak ait réellement porté ses fruits. Après des soupçons de copinage avec le Festival de Cannes, ses représentants ainsi que ceux de l’Académie des César avaient été évincés. Sauf que sur cette nouvelle liste, la présence cannoise se fait encore et toujours fortement ressentir, avec quatre films sur cinq qui avaient fait escale sur la Croisette, y compris la dernière Palme d’or tricolore Anatomie d’une chute de Justine Triet.
Anatomie d’une chute de Justine Triet, en salles depuis le 23 août, distribué aux États-Unis par Neon
Si vous êtes pressés, vous pourrez arrêter votre lecture dès ce premier candidat. Car en toute probabilité, c’est le quatrième long-métrage de Justine Triet qui représentera la France aux prochains Oscars. Les quelques répliques parlées en anglais au cours du film et le discours corsé de la réalisatrice lors de la remise de sa Palme en mai dernier ne représentent que des obstacles mineurs sur la route de la consécration internationale de ce film de procès exceptionnel.
Son succès public dans les salles françaises, où il devrait dépasser la barre symbolique du million de spectateurs au plus tard à la fin du mois, est de même de bonne augure pour sa carrière commerciale à l’étranger. Des rumeurs vont même jusqu’à positionner son actrice principale Sandra Hüller dans la course à l’Oscar de la Meilleure actrice ! Autant dire qu’on serait tenté de vous inviter à circuler, puisqu’il n’y a rien à voir, en dehors de ce favori presque certain d’être sélectionné.
Si tel est le cas, il poursuivra la tradition assez irrégulière des Palmes françaises aussi reconnues par l’Académie du cinéma américain. Être le roi ou la reine de la fête à Cannes ne signifie pas automatiquement de remporter de même la mise à Hollywood. Parfois ça marche et parfois, les heureux palmés repartent (complètement) bredouilles. Le club exclusif des films doublement victorieux est jusqu’à présent composé de deux films, Orfeu Negro de Marcel Camus et Un homme et une femme de Claude Lelouch. Deux autres ont de même été nommés à l’Oscar après leur sacre à Cannes : Les Parapluies de Cherbourg de Jacques Demy et Entre les murs de Laurent Cantet.
Goutte d’or de Clément Cogitore, en salles depuis le 1er mars
Le candidat le plus ancien sur la liste française était lui aussi passé par la case cannoise. Quoique, ce fut au Festival de Cannes 2022, où le deuxième long-métrage de Clément Cogitore avait été présenté à la Semaine de la Critique. Son inclusion ici a de quoi nous laisser dubitatifs, voire perplexes. Car sans vouloir en rien contester ses qualités artistiques, ce conte populaire devrait batailler dur pour séduire les votants majoritairement américains de l’Académie des Oscars. Son passage éclair dans les salles obscures françaises à la fin de l’hiver dernier lui présage en tout cas une bataille ardue, si jamais le comité de sélection porterait son choix sur lui.
Néanmoins, l’univers filmique créé par Clément Cogitore depuis près de vingt ans est des plus fascinants. A l’aise autant du côté du court-métrage que du long, le réalisateur avait été jusqu’à présent été nommé à trois reprises aux César : en 2016 dans la catégorie du Meilleur Premier Film avec Ni le ciel ni la terre, puis doublement trois ans plus tard dans celle du Meilleur Court-métrage avec Braguino et Les Indes galantes.
La Passion de Dodin Bouffant de Tran Anh Hung, sortie le 8 novembre, distribué aux États-Unis par IFC Films
Les membres de l’Académie du cinéma américain sont-ils gourmands ? Il fut un temps où l’on pouvait compter sur leur appétit de films succulents, comme le prouvent l’Oscar du Meilleur Film étranger en 1988 au Festin de Babette de Gabriel Axel ou bien les nominations de Salé sucré de Ang Lee et des Mille et une recettes du cuisinier amoureux de Nana Djordjaze. Or, ces films remontent au siècle dernier, tandis que l’heure est davantage aux films à la thématique plus grave ces dernières années. Malgré son prix de la mise en scène au dernier Festival de Cannes, cette comédie douce-amère de Tran Anh Hung devrait donc savamment doser sa campagne pour séduire d’abord le comité de sélection français, puis les votants à l’Oscar du Meilleur Film international.
En dehors de son esthétique des plus charmantes – à vérifier dans la bande-annonce qui vient d’être mise en ligne, quelle drôle de coïncidence … –, La Passion de Dodin Bouffant dispose de quelques arguments de poids pour convaincre de son prestige indubitable. A commencer par le cachet de son réalisateur, le seul sur la liste à avoir déjà été nommé à l’Oscar dans la catégorie tant convoitée chaque année par une petite centaine de pays. C’était en 1994 pour son premier film L’Odeur de la papaye verte, soumis à l’époque par le Vietnam.
Son actrice principale n’est pas non plus une inconnue outre-Atlantique, puisque Juliette Binoche avait gagné l’Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle pour Le Patient anglais de Anthony Minghella en 1997 et qu’elle avait été nommée à celui de la Meilleure actrice quatre ans plus tard pour Le Chocolat de Lasse Hallström. Quant à Benoît Magimel, il a beau avoir atteint le sommet de sa gloire grâce à ses deux César consécutifs du Meilleur acteur, sa brillante carrière franco-française est passée largement inaperçue outre-Atlantique.
Le Règne animal de Thomas Cailley, sortie le 4 octobre, distribué aux États-Unis par Magnolia
Sélectionné à la Quinzaine des réalisateurs en 2014 avec son premier film Les Combattants – accessoirement triple lauréat aux César l’année suivante comme Meilleur Premier Film, Meilleure actrice à Adèle Haenel et Meilleur espoir masculin à Kevin Azaïs –, Thomas Cailley a fait cette année l’ouverture d’Un certain regard avec son deuxième, le conte utopique Le Règne animal. Bref, jusqu’à présent, c’est un sans faute, en attendant la réaction publique à cette drôle d’aventure fantastique. Une chose est sûre : il s’agit d’un réalisateur qui ne se rend pas la tâche facile. A voir si les comités de sélection respectifs se laissent séduire par ce film hors des sentiers battus.
Car le cinéma fantastique au sens large n’a guère la cote auprès des Oscars en général et du Meilleur Film international en particulier. Un survol rapide des nominations depuis le début du siècle ne nous a fait trouver que de rares exemples de films plus ou moins vaguement fantastiques dans la catégorie internationale, par ailleurs jamais couronnés de succès, dont Le Labyrinthe de Pan de Guillermo Del Toro.
De surcroît, à l’image de son confrère Benoît Magimel, Romain Duris, l’acteur aux six nominations aux César, poursuit un parcours professionnel des plus exemplaires, sans jamais chercher à se rendre plus populaire au-delà de nos frontières. Dans le métier depuis sensiblement moins longtemps, sa partenaire à l’écran Adèle Exarchopoulos bénéficie peut-être même d’une plus grande notoriété à l’étranger que lui, grâce à sa Palme d’or collective pour La Vie d’Adèle de Abdellatif Kechiche en 2013 et quelques timides incursions dans le cinéma international auprès de Sean Penn (The Last Face), Ralph Fiennes (Noureev) et Ira Sachs (Passages).
Sur les chemins noirs de Denis Imbert, en salles depuis le 22 mars
D’une chute à l’autre, cette liste se termine comme elle a commencé, à savoir avec un accident qui finit par tout chambouler. Au détail près que l’inclusion du troisième long-métrage de Denis Imbert dans cette présélection relève de la plus pure surprise, pas nécessairement bonne. Certes, ses résultats plus qu’honorables au box-office français au printemps dernier permettent à ce conte édifiant de pointer en ce moment à la dixième place des plus gros succès nationaux de ces douze mois passés. Quoique loin derrière Novembre de Cédric Jimenez, le film précédent dont Jean Dujardin a été la vedette. Mais sinon, il n’y a pas grand-chose d’extraordinaire à signaler sur ce film à la thématique bien dans l’air du temps, la remise en question après un événement dramatique.
Miser tout sur Jean Dujardin, Oscar du Meilleur acteur en 2012 pour The Artist de Michel Hazanavicius, est-ce une stratégie viable, susceptible de porter ses fruits auprès des votants américains ? Cela reste certainement à prouver, d’autant plus que l’acteur avait rapidement retrouvé sa terre natale et ses réalisateurs de renom (Claude Lelouch, Laurent Tirard, Benoît Delépine et Gustave Kervern, Quentin Dupieux, Roman Polanski, Anne Fontaine et Nicolas Bedos) après une brève parenthèse américaine chez Martin Scorsese (Le Loup de Wall Street) et George Clooney (Monuments Men).