Les Meutes
Maroc, France, Belgique, Qatar, Arabie saoudite, 2023
Titre original : –
Réalisateur : Kamal Lazraq
Scénario : Kamal Lazraq
Acteurs : Ayoub Elaid, Abdellatif Masstouri, Mohamed Hmimsa et Abdellah Lebkiri
Distributeur : Ad Vitam Distribution
Genre : Drame
Durée : 1h34
Date de sortie : 19 juillet 2023
3/5
Des histoires de petites frappes, dépassées par les événements et pas assez intelligentes pour se sortir du bourbier dans lequel elles se sont mises elles-mêmes, on en a déjà vu des dizaines. Pourtant, ce premier long-métrage marocain, présenté au dernier Festival de Cannes dans la section Un certain regard, réussit à rendre à nouveau fascinant ce dispositif éprouvé. Dans Les Meutes, il est moins question de pègre et de violence aveugle que des rapports conflictuels entre un père et son fils, tous deux condamnés à court terme à une nuit de galères et à long terme à une existence de misère.
La mise en scène de Kamal Lazraq s’emploie avec adresse à extraire quelque chose de beau ou au moins de cru de ce traquenard. Comme si l’épreuve majeure de ce laps de temps restreint ne se situait guère du côté du code d’honneur des gangsters ou de la crainte des forces de l’ordre, mais bel et bien dans l’interaction sans cesse à renégocier entre les deux personnages principaux, tour à tour exaspérés et pris de sympathie l’un envers l’autre.
Et puis, au delà de cette problématique première de l’exemplarité paternelle en berne, serait-il exagéré de voir dans l’ensemble du récit une mise en question plus globale de la virilité dans les pays maghrébins d’aujourd’hui ? La question doit être posée, ne serait-ce que face à l’absence quasiment totale de personnages féminins, à l’exception de la grand-mère qui sert de conscience morale sporadique et donc inefficace. Sinon, tous les hommes portent en eux une tare plus ou moins apparente, sans que ces défauts physiques ou psychiques n’apparaissent tels des prétextes pompeux pour faire avancer l’intrigue. Bien au contraire, la narration à la fois vigoureuse et fataliste sait insuffler une intensité sans jugement dans son histoire, contournant ainsi habilement la tentation de dévier vers un misérabilisme et un pessimisme des plus accablants !
Synopsis : Dans les faubourgs populaires de Casablanca, le caïd Dib veut se venger de l’humiliation subie lors d’un combat de chiens clandestin. Pour ce faire, il engage Hassan afin de faire enlever l’homme de main de son adversaire Jellouta. Pour effectuer cette basse besogne, Hassan fait équipe avec son fils Issam, qui gagne tant bien que mal sa vie grâce à des petits boulots sur le marché. Or, rien ne se passera comme prévu au cours de ce contrat dès le départ mal ficelé, qui mettra à rude épreuve la relation entre Hassan et son fils.
Cocktail Molotov pour un cadavre
Dans Les Meutes, les actes les plus barbares se passent essentiellement hors-champ. Il n’empêche qu’un mauvais présage pèse tel une chape de plomb sur cette course rocambolesque qui ne tarde pas à virer au cauchemar. Tout le talent de Kamal Lazraq réside dès lors dans sa capacité à ne pas trop forcer le trait, à ne pas abandonner ses deux héros pitoyables à leur sort maudit, mais à rester à leurs côtés, même quand les choses dégénèrent. On pourrait appeler cela la mise en avant de l’humanité dans toute son imperfection, qui ne s’arrête d’ailleurs pas à la petite équipe bancale de kidnappeurs amateurs. Non, tout un chacun y a droit à son bref portrait singulier, parfois brossé en deux ou trois plans, parfois né d’un regard plus détaillé sur les contradictions qui nous définissent toutes et tous.
En parlant de regards, ceux-ci sous-tendent en guise de formidable fil rouge le récit. Nul besoin d’étaler en mille mots ce que deux yeux expressifs peuvent transmettre sans équivoque. Longtemps avant l’ultime échange de regards entre le père et le fils, qui dit absolument tout sur les dégâts irréparables que cette nuit de mésaventures répétitives a causé entre eux, les occasions ont été multiples pour s’en convaincre. Souvent à deux doigts de surjouer son personnage tiraillé entre la solidarité filiale et la facilité de laisser son père se débrouiller seul, le jeune Ayoub Elaid confère néanmoins la force d’une braise ardente à son rôle. Tout comme son pendant de la génération antérieure habite avec une noblesse notable l’identité d’éternel perdant du père sous les traits de Abdellatif Masstouri, lui aussi débutant au cinéma. Comme quoi le choix du réalisateur de s’appuyer sur des acteurs non-professionnels a amplement porté ses fruits …
Une vie de chien
Cette approche intuitive et décomplexée, on la retrouve de même du côté du coloris local. Bien que Les Meutes se passe en marge de la société, dans un microcosme nocturne aux règles de conduite assez floues, ce premier film n’a rien d’un constat social amer ou alarmant sur le Maroc. C’est plutôt la mixité qui prédomine ici, sauf en termes de présence féminine, on l’avait déjà fait remarquer plus haut. Ces hommes agissant dans l’ombre, ils peuvent se montrer nostalgiques du monde d’avant. A l’image de Dib, qui se considère être la victime des méthodes peu orthodoxes de combat de son ennemi juré ou de ces vieux fossoyeurs, plus capables d’effectuer la tâche ingrate qu’on leur a demandée.
Ou bien, ils se débrouillent comme ils le peuvent, avec le pragmatisme comme bouée de sauvetage exclusive dans la jungle sauvage et étrangement réconfortante qui est leur quotidien, entre de vieilles croyances, une corruption éhontée et des cordées instables aux alliances variables.
Tout ceci converge vers la relation sublimement nuancée entre le père et son fils. Tous deux, ils appartiennent aux laissés-pour-compte d’une société qui s’épanouit – peut-être – en dehors de leur minable sphère d’influence. Ils ne rêvent que de sortir la tête de l’eau, alors que chacune de leurs actions les amène vers une situation personnelle encore plus précaire. Cette spirale vers la déroute, ils l’empruntent dans une compagnie de nécessité, plus que de choix. Cependant, à chaque bifurcation où leurs chemins pourraient se séparer, ils demeurent tributaires l’un de l’autre. Aux bons conseils hypocrites et aux reproches des premières minutes du film succède alors une dynamique de communication plus ambiguë, avec l’absence de solution à leur dilemme de criminel de pacotille comme triste motif récurrent, autour duquel ils sont bien obligés de se réunir malgré eux.
Conclusion
Prix du jury d’Un certain regard au dernier Festival de Cannes, Les Meutes n’a point volé ce trophée attribué au mois de mai dernier par le jury sous la présidence de l’acteur américain John C. Reilly. Kamal Lazraq y étudie à la fois avec finesse et une énergie dramatique impressionnante les rapports conflictuels d’un père et son fils, sur fond d’un enlèvement qui tourne rapidement au vinaigre. Or, le réalisateur débutant y sait parfaitement jongler entre les exigences d’une impasse criminelle et les aspects plus équivoques de cette relation à fleur de peau, aussi grâce à l’interprétation désarmante de ses deux comédiens principaux.