Jardins du cinéma
France, 2016
Titre original : –
Auteur : Michel Berjon
Éditeur : éditions Petit Génie
426 pages + annexes
Genre : Analyse thématique
Date de parution : 8 novembre 2016
Format : 165 mm X 205 mm
Prix : 29 €
3/5
Le fait de posséder, voire seulement de fréquenter un jardin peut procurer de nombreux effets bénéfiques pour le corps et l’esprit des hommes. L’humanité toute entière avait pu s’en rendre compte pendant la crise sanitaire, lorsque le privilège d’un peu de verdure à proximité avait su radoucir les contraintes du confinement pour beaucoup de citadins. Écrit avant cette parenthèse désenchantée, « Jardins du cinéma » fait pourtant œuvre du même service d’apaisement. Comme si le simple fait de penser aux cours fleuries, jardins paysagers et autres parcs publics et privés suffisait pour nous apporter un peu de sérénité toujours la bienvenue. De surcroît, l’ouvrage quasiment encyclopédique de Michel Berjon est rédigé de manière accessible. Cela permet de morceler sa lecture en autant de petites pauses, susceptibles de vous aérer les idées par des centaines de pages et autant d’exemples interposés.
Car ce travail titanesque de recensement des jardins au cinéma se distingue par le nombre de titres cités. En passant de l’un à l’autre, ne s’attardant guère sur un seul film pendant plus d’une ou deux pages, l’auteur établit un inventaire d’une belle exhaustivité. Le hic tout relatif, c’est que cette étude en largeur pénètre à peine dans les profondeurs de la signification de ces espaces de vie à part dans le paysage cinématographique. Ni un pamphlet aux théories farfelues, ni un enchaînement d’interprétations tirées par les cheveux, pardon, par les racines, ce livre se contente par conséquent d’énumérer factuellement les jardins filmés, qui ont dû croiser le chemin du cinéphile expérimenté qu’est sans aucun doute Michel Berjon. Leur regroupement est certes probant. Mais à aucun moment, il ne nous a été donné d’être éblouis par le raisonnement du propos ou son ouverture sur des champs voisins du cinéma.
Synopsis : Un voyage dans 120 ans de jardins du Septième art à travers plus de 300 films de fiction, afin de mieux comprendre les lieux familiers que sont la cour, le jardin ou le parc. Un lieu d’art, d’amour et de quête de sens, le jardin a sans cesse été réinventé au cinéma. Comme le démontre cet ouvrage de référence, fruit d’un article sur le même sujet dans la revue Champs culturels et d’un support de cours rédigé par ce chargé d’enseignement socio-culturel pour ses étudiants paysagistes. Par ailleurs, Michel Berjon est rédacteur aux Fiches du cinéma depuis 1997.
Promenons-nous dans les jardins
Le jardin se laboure et se déguste de multiples façons. A la fin de votre lecture de « Jardins du cinéma », vous les connaîtrez pratiquement toutes, à condition qu’elles aient été mises en images par des cinéastes depuis Georges Méliès et les frères Lumière, jusqu’aux films des années 2010. En effet, la connaissance de Michel Berjon en la matière est bluffante, puisqu’elle ne se limite pas aux œuvres auxquelles on penserait immédiatement. Ainsi, une place de choix est certes réservée à des films comme Meurtre dans un jardin anglais de Peter Greenaway et Le Baiser du serpent de Philippe Rousselot, dont le cœur de l’intrigue est précisément la sublimation ou la création des espaces verts.
Mais le champ d’études est finalement assez large pour opérer un tour d’horizon très vaste. Celui-ci englobe donc ces formes complémentaires d’espaces de vie à l’extérieur que sont la cour, le jardin et le parc, une fois que leur définition et leur origine historique ont été évoquées de manière exhaustive. Avec un soin particulier accordé ici aux différences culturelles en fonction des pays et des époques traités.
Puis le rôle du jardin est conjugué selon son état, ses transformations, ses occupants et les occupations de ces derniers. Cela peut prendre la forme du passage en revue des différents jardins dans Broken Flowers de Jim Jarmusch, chaque fois représentatifs des anciennes amantes à qui le personnage principal rend visite. Ou bien, nous avons droit à un résumé plus ciblé de films d’un réalisateur comme Eric Rohmer, ou d’un personnage emblématique comme Charles Chaplin en la seule année 1914.
Dans l’ensemble, ce sont toutefois les jardins et leurs thématiques propres qui donnent le ton, selon un cahier de charges suivi avec une intelligence et une fluidité d’écriture indiscutables. Tour à tour, un chapitre d’une vingtaine de pages à la fois, y sont évoqués des sujets aussi disparates que l’amour et la mort dans le jardin, la convivialité ou au contraire le jardinier comme figure isolée, à suivre ou à fuir.
Le monde est un jardin
Hélas, face à cette surabondance de références, scrupuleusement répertoriées dans les annexes, il manque un grand fil rouge fédérateur à ce livre. Bien évidemment, on y parle encore et toujours de jardins, mais l’éparpillement guette régulièrement et rend la lecture finalement assez peu éclairante. Plutôt que de se voir raconter l’intrigue des films cités et décrire leurs jardins en moult détails, il aurait peut-être été préférable de creuser davantage en direction d’une signification suprême, au delà du caractère intrinsèquement passif de la flore plus ou moins sauvage. L’approximation du propos pourrait d’ailleurs venir de là : du rôle purement décoratif des jardins, qui ne servent dans la plupart des cas que d’arrière-plan immobile aux enjeux primordiaux de l’intrigue. Leur présence demeure ponctuelle. Elle n’a souvent qu’une incidence très indirecte sur l’action, tel le reflet pittoresque de ce qui se passe au niveau supérieur de lecture du récit filmique.
Dès lors, qu’est-ce qu’on retiendra de cette lecture malgré tout substantielle, ne serait-ce que grâce au volume considérable de la matière filmique accumulée ? Que l’effet bénéfique des jardins peut s’évaporer très vite, au plus tard au fil des saisons, et que son essence relève plus du ressenti que du raisonné. A l’image des quelques clichés pris pour illustrer l’ouvrage, à la valeur ajoutée anecdotique. Que ce soient les vignettes en noir et blanc des aventures de Charlot au début des chapitres ou les quatre pages de photos en couleur au milieu du bouquin, elles ne traduisent point l’impact esthétique d’un jardin au cinéma. Sophistiqué ou laissé dans son état naturel, ce dernier exerce ses forces de quiétude et de symbiose avec le monde d’une façon que le livre de Michel Berjon illustre plus qu’il ne se l’approprie.
Conclusion
Promis juré, si vous n’avez pas eu de jardin jusqu’à présent, vous rêverez d’en avoir un après la lecture de « Jardins du cinéma » ! Au moins cette tâche de propagande doucement bucolique, le livre de Michel Berjon la réussit haut la main. De même, il procède à aiguiser notre regard envers ces espaces verts trop longtemps laissés dans l’indifférence de l’observateur, ainsi qu’à nous fournir une liste inépuisable d’exemples globalement pertinents. Cependant, il manque ce petit déclic d’argumentation, ce brio d’écriture qui nous permettrait de voir le monde ou au moins les films différemment après avoir tourné la dernière page. Bref, le projet était des plus appréciables, mais son exécution reste un peu trop sagement explicative. Dommage ! D’autant plus que l’éditeur semble avoir cessé ce type d’activité utile de vulgarisation, depuis la publication téméraire de ce beau pavé il y a six ans et demi.