Critique : Mon crime

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Mon crime

France, 2023
Titre original : –
Réalisateur : François Ozon
Scénario : François Ozon et Philippe Piazzo, d’après la pièce de théâtre de Georges Berr et Louis Verneuil
Acteurs : Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder, Isabelle Huppert et Fabrice Luchini
Distributeur : Gaumont
Genre : Comédie policière
Durée : 1h43
Date de sortie : 8 mars 2023

2,5/5

En véritable stakhanoviste du cinéma français, François Ozon peut-il aussi se targuer d’être le chroniqueur privilégié de la France de ce début de siècle ? En effet, pas une année ne passe sans un nouveau film du réalisateur de Mon crime, qui change de genre de film en film avec une aisance remarquable. Or, son style et ses sujets traités avec prédilection ne font guère de lui un avant-gardiste, bien au contraire. Si l’on peut donc noter parfois, avec parcimonie, des thématiques dans l’air du temps, voire rarement en avance sur l’actualité, il convient davantage de classer sa filmographie parmi les néo-classiques.

Car pour chaque Grâce à dieu sur le scandale de la pédophilie au sein de l’église catholique et chaque regard sans fard sur l’homosexualité, notamment dans Gouttes d’eau sur pierres brûlantes, Été 85 et Peter von Kant, il y a une ribambelle d’œuvres qui ne cherchent qu’à singer avec plus ou moins de talent le monde d’avant la naissance du cinéaste, à la fin des années 1960.

Mon crime est de celles-là. Son succès au box-office nous fait croire que le public français est en manque criant de nostalgie. Cette adaptation d’une pièce de théâtre des années ’30 en administre à doses conséquentes, sans que notre conception du monde n’en soit le moins bousculée. La mise en abîme à travers la perspective du temps et l’évolution des mœurs y reste fâcheusement coincée, au profit de la théâtralité du récit, impossible à ignorer tant l’immense majorité des acteurs se complaît à déclamer ses répliques avec outrance.

Dès lors, tout naturel est absent de la narration, sans la grâce formelle avec laquelle Alain Resnais savait détourner l’origine de la scène dans ses derniers films. Ici, vous auriez au mieux droit à une frivolité de pacotille, dans ce qui n’est guère plus qu’une pièce de boulevard. Elle a été remise tant soit peu au goût du jour, à gros renforts d’effets spéciaux pour les prises en extérieur et de beaux costumes extravagants pour des personnages hélas pas si hauts en couleur.

L’arrivée tardive d’un personnage susceptible de transcender cette fausseté poussiéreuse avec une grandiloquence immodérée ne suffit alors pas pour ressusciter notre intérêt pour ce film, bien trop sage et calibré pour nous passionner.

© 2023 Carole Bethuel / Mandarin et Cie / Foz / France 2 Cinéma / Scope Pictures / Playtime / Gaumont
Tous droits réservés

Synopsis : Madeleine Verdier, une jeune actrice qui n’attend qu’à être découverte et aimée, s’en va dégoutée du rendez-vous que le célèbre producteur Montferrand lui a fixé. Elle a dû repousser de toutes ses forces les avances licencieuses de cet homme de pouvoir. A peine rentrée chez elle, dans l’appartement miteux sous les toits de Paris qu’elle partage avec l’avocate débutante Pauline Mauléon, elle est interrogée par la police, qui lui apprend la mort violente de son prétendant fougueux. Puisque le juge Rabusset est convaincu de sa culpabilité, Madeleine finit par admettre le crime, plaidant la légitime défense et transformant son procès en un plaidoyer féministe. Une fois acquittée, elle devient la célébrité la plus recherchée du tout Paris, avec de nombreuses offres de films et de pièces de théâtre à la clé.

© 2023 Carole Bethuel / Mandarin et Cie / Foz / France 2 Cinéma / Scope Pictures / Playtime / Gaumont
Tous droits réservés

Lever de rideau

Avec désormais plus de vingt longs-métrages de cinéma à son actif, François Ozon sait indéniablement comment agencer un film. Dans Mon crime, tout est soigneusement accordé : depuis le motif théâtral dès le premier plan, jusqu’au fait divers qui se transforme en triomphe sur scène, en passant par les versions hypothétiques du crime, filmées en noir et blanc et au format plus carré de rigueur dans les années ’30. Non, il ne nous viendrait jamais à l’esprit de traiter ce réalisateur boulimique de tâcheron. D’autant moins que, de temps en temps, nous apprécions énormément certains de ses films, Sous le sable et Le Temps qui reste par dessus tout !

Hélas, en moyenne, sa filmographie a tendance à s’avérer inégale, avec autant d’échecs que de réussites à mettre sur son compte. Ainsi, certainement fidèle à son matériel d’origine, ce film-ci en est une adaptation sans éclat, ni génie cinématographique susceptible de dépasser les contraintes propres à une pièce de boulevard lambda.

L’emphase dans les propos des comédiens y est reine, soutenue abondamment par des décors au naturel improbable. Chaque grand sentiment y a droit à une réplique déclamée comme si nos salles de cinéma n’étaient pas équipées de systèmes sonores dernier cri. Et les personnages demeurent au stade embryonnaire de stéréotypes, interchangeables et par conséquent indignes de notre effort d’identification avec eux. Cela vaut presque sans exception pour tout ce beau casting théorique, qui a fait l’effort d’associer les jeunes espoirs du cinéma français (Nadia Tereszkiewicz, Rebecca Marder et Félix Lefebvre) à ses valeurs sûres (Fabrice Luchini, Dany Boon, André Dussollier et tant d’autres). Autant de noms prestigieux au service d’un résultat aussi médiocre ou en tout cas pris au piège d’une représentation théâtrale grossièrement ostentatoire, au lieu d’être finement ironique !

© 2023 Carole Bethuel / Mandarin et Cie / Foz / France 2 Cinéma / Scope Pictures / Playtime / Gaumont
Tous droits réservés

Longue vie à la reine Isabelle

Bref, on avait abandonné tout espoir de voir le récit prendre enfin vie, au delà des discours pompeux et des railleries sans verve, quand la sublime Isabelle Huppert a fait son entrée fracassante en scène, pardon à l’écran. Une entrée en deux, voire trois temps, puisqu’elle était apparue subrepticement tout au début du film, quand la meurtrière supposée s’était enfuie de la demeure de sa victime. Puis, son personnage a failli connaître le même sort que tant d’autres parasites, venus solliciter leur part à la place au soleil dont Madeleine tire tous les bénéfices grâce à son procès hautement médiatisé. Ne soyez pas inquiets, on ne va pas vous révéler la nature de son personnage, ni la façon dont il s’évertue à faire dérailler toute cette belle mécanique, imaginée sans esprit machiavélique manifeste par l’avocate et l’actrice opportunistes.

Néanmoins, en trois ou quatre séquences, la légende du cinéma français désormais septuagénaire réussit à revigorer un scénario qui battait alors sérieusement de l’aile. Son Odette Chaumette agit en quelque sorte comme le faisait l’actrice sur le déclin interprétée de façon magistrale par Dianne Wiest dans Coups de feu sur Broadway de Woody Allen. Une vieille gloire dont plus personne ne se souvient, à l’exception de Dominique Besnehard dans un petit rôle de chef de rang sans trop d’intérêt, elle n’a pas encore dit son dernier mot. La veulerie matérialiste avec laquelle les deux personnages principaux semblent s’être parfaitement arrangés vole alors en éclats.

Certes, ce revirement du troisième acte survient trop tard pour inverser complètement notre avis sur Mon crime. Il constitue toutefois la bouée de sauvetage décomplexée grâce à laquelle le film réussit d’atteindre à la dernière minute sa cible, c’est-à-dire de s’affranchir des conventions théâtrales si encombrantes pour célébrer l’excès sous toutes ses formes.

© 2023 Carole Bethuel / Mandarin et Cie / Foz / France 2 Cinéma / Scope Pictures / Playtime / Gaumont
Tous droits réservés

Conclusion

Si vous aimez vivre votre passion du théâtre par d’autres moyens artistiques, Mon crime et son intrigue cadenassée selon le cahier de charges du théâtre de boulevard désuet sont faits pour vous. Sinon, vous pourriez au moins vous réjouir du fait qu’Isabelle Huppert y trouve un nouveau rôle formidable, interprété avec bravoure, quoique sans être dupe des implications morales de la démarche de son personnage.

Quant à François Ozon, inutile de faire preuve de patience pour savoir s’il renoue prochainement avec l’inspiration cinématographique. Le succès commercial relatif de ce film-ci devrait lui permettre sans l’ombre d’un doute de poursuivre sur son rythme de croisière d’un film par an. De quoi nous consoler que ce marivaudage sans envergure disparaitra bientôt dans la longue liste d’une filmographie en dents de scie.

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