Critique : Chili 1976

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Chili 1976

Chili, Argentine : 2022
Titre original : 1976
Réalisation : Manuela Martelli
Scénario : Manuela Martelli, Alejandra Moffat
Interprètes : Aline Küppenheim, Nicolás Sepúlveda, Hugo Medina
Distribution : Dulac Distribution
Durée : 1h37
Genre : Drame
Date de sortie : 15 mars 2023

4/5

Alors qu’elle va passer le cap des 40 ans dans quelques jours, la chilienne Manuela Martelli présente son premier long métrage en tant que réalisatrice, elle qui, dès l’âge de 20 ans, avait fait son entrée comme comédienne dans le monde du cinéma et avait réalisé 3 court-métrages dont Marea de tierra qui faisait partie de Chile Factory, un film qui, en 2015, réunissait de courtes réalisations de jeunes réalisatrices et réalisateurs chilien.ne.s. Chili 1976 a été présenté à la Quinzaine des Réalisateurs de Cannes 2022.

Synopsis : Chili, 1976. Trois ans après le coup d’état de Pinochet, Carmen part superviser la rénovation de la maison familiale en bord de mer. Son mari, ses enfants et petits-enfants vont et viennent pendant les vacances d’hiver. Lorsque le prêtre lui demande de s’occuper d’un jeune qu’il héberge en secret, Carmen se retrouve en terre inconnue, loin de la vie bourgeoise et tranquille à laquelle elle est habituée.

Une atmosphère pesante

Le Chili en 1976 : voilà 3 ans que le pays est sous la coupe du général d’armée Augusto Pinochet qui, le 11 septembre 1973, a pris le pouvoir à la suite d’un putsch militaire contre le gouvernement démocratiquement élu de Salvador Allende, voilà 3 ans que le couvre-feu est instauré dans le pays, voilà 2 ans que la DINA, la police politique de Pinochet, a été officiellement créée et qu’elle se charge d’une répression sanglante des opposants à ce régime dictatorial. Un régime qui n’est pas pour déplaire à une grande partie de la bourgeoisie chilienne, une bourgeoisie dont fait partie Carmen, une femme dans la cinquantaine, épouse de Miguel Otrellana, chef de service à l’hôpital Barros Luco de Santiago. A priori, ses priorités dans la vie, ce sont ses petits-enfants et, accessoirement, le choix des peintures pour procéder à la rénovation de la résidence secondaire familiale, une maison située au bord de la mer au sud de Valparaiso. Une maison que la famille au grand complet, Carmen et Miguel, leur fils Tomás, leur fille, leur gendre, leurs 3 petits-enfants, Andres, Clarita et Elenita, va rejoindre pour les vacances d’hiver. A peine est-elle arrivée que le Père Sánchez, le prêtre local, demande un service à Carmen : prodiguer des soins à un jeune homme blessé à une jambe, Elias, qu’il présente comme étant un jeune voyou risquant 10 ans de prison, et, surtout, ne rien dire à personne.

Un thriller subtil

Mine de rien, c’est à un véritable thriller plein de suspense que nous convie Manuela Martelli. Avec beaucoup de subtilité, sans jamais forcer le trait, avec une utilisation intelligente du hors-champ, elle nous montre l’atmosphère pesante qui régnait à l’époque sur le Chili. Certes, les membres de la famille Otrellana ne font pas partie de celles et ceux qui souffrent dans leurs chairs ou qui, au minimum, doivent se cacher, utiliser des noms d’emprunt, se méfier de leur environnement, utiliser des phrases codées lors d’une première rencontre, prendre des précautions pour ne pas être suivi.e., etc., il n’empêche, dès le début du film, alors que Carmen est dans une droguerie pour procéder à son choix de peinture, un évènement violent se déroule dans la rue, probablement l’enlèvement d’un opposant par la DINA, un évènement dont on entend l’écho sonore mais dont on ne voit aucune image. Plus tard, c’est le corps d’une jeune femme qui va être découvert sur la plage proche de la maison familiale, ce qui, bien sûr, rappelle aux spectateurs que, durant la dictature chilienne, les corps des opposants et des opposantes assassiné.e.s par la police politique étaient souvent jetés dans l’océan afin de les faire disparaître.

Quant à Carmen, une femme qu’on devine plutôt généreuse, une femme qui a travaillé pour la Croix Rouge dans sa jeunesse et qui prend sur son temps libre pour lire des contes à des aveugles, c’est quand même à son corps défendant qu’elle se retrouve engagée à sortir Elias du mauvais pas dans lequel il se trouve, Elias qui, bien sûr, est bien autre chose que le voyou dont lui a parlé le père Sánchez. D’ailleurs, lorsque Elias lui demande si elle aurait accepté ce que lui a demandé le père Sanchez si ce dernier lui avait dit la vérité, sa réponse est sans ambigüité : c’est non ! Il n’empêche, tout en continuant à ne rien dire de ses activités à sa famille, tout en expliquant par des mensonges plus ou moins crédibles ses retards inhabituels lors de ses retours, Carmen en arrive à prendre de grands risques pour elle et pour sa famille, un comportement qui lui vaut d’être suivie et d’avoir sa voiture ouverte et fouillée, un comportement très éloigné du discours d’une amie de la famille : « Les chiliens sont des esprits médiocres et quand on est dans un pays médiocre, il doit être dirigé par une main de fer ! ».

Une comédienne de grand talent

Ce film qui aborde de façon feutrée le drame qu’a connu le Chili il y a près de 50 ans tourne autour d’un personnage principal, Carmen. Carmen est une femme de la bourgeoisie chilienne, une mère, une grand-mère, une épouse que rien ne destinait à entrer dans une forme de clandestinité qui va l’amener à fréquenter de réels dangers. Une comédienne de grand talent était nécessaire pour incarner les différentes facettes de ce personnage. La comédienne franco-chilienne Aline Küppenheim est une comédienne de grand talent qui nous avait déjà enchanté il y a 13 ans dans La buena vida de Andrés Wood. Délicatement, sans effet appuyé, Manuela Martelli et Aline Küppenheim parviennent à nous faire partager l’angoisse qui, petit à petit, gagne Carmen et c’est très fort !

Conclusion

Il y a près de 50 ans, le Chili a connu des heures très sombres et le cinéma de ce pays a souvent puisé dans cette histoire pour nous offrir un certain nombre de films très forts. Le film de Manuela Martelli, son premier long métrage en tant que réalisatrice, a ceci de particulier qu’il parle de cette époque de façon feutrée tout en transmettant fidèlement aux spectateurs le sentiment d’angoisse qui gagne petit à petit son personnage principal. Carmen, ce personnage principal, est magistralement interprété par Aline Küppenheim.

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