Berlinale 2023 : Music (Angela Schanelec)

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2019

Music

Allemagne, France, Serbie, 2023
Titre original : Music
Réalisatrice : Angela Schanelec
Scénario : Angela Schanelec
Acteurs : Aliocha Schneider, Agathe Bonitzer, Marisha Triantafyllidou et Argyris Xafis
Distributeur : Shellac
Genre : Drame
Durée : 1h48
Date de sortie : 8 mars 2023

3/5

Qui aurait cru qu’au cours de notre couverture de la 73ème édition du Festival de Berlin, nous allions découvrir le film le plus envoûtant et ouvert à l’interprétation du côté de la compétition ?! En effet, Music est tellement abstrait que nous n’en avons pas du tout déduit ce que le synopsis officiel a voulu transmettre. Plutôt qu’une adaptation très libre du mythe d’Œdipe, nous avons préféré y voir une œuvre sensuelle, extrêmement avare en répliques et par conséquent dépourvue d’une trame narrative clairement établie. La réalisatrice Angela Schanelec y pratique une forme de minimalisme cinématographique qui a fonctionné à merveille sur notre esprit et nos yeux de festivalier fatigué, puisque bientôt arrivé en fin de séjour. Ce qui signifie nullement que nous ayons somnolé pendant ce conte aux repères volontairement vagues. Bien au contraire, sa structure extrêmement suggestive a failli nous mettre dans un état de béatitude cinéphile !

Le style formel de Angela Schanelec y relève autant de la contemplation profonde que de la rupture assez radicale avec les conventions narratives sur lesquelles le cinéma de fiction se base depuis plus d’un siècle. La temporalité de Music vient d’ailleurs. Elle n’obéit à aucune finalité ordinaire. Pas plus qu’elle n’incite le spectateur à s’engager dans l’éternelle démarche d’identification avec les personnages et avec ce qui leur arrive au fil du récit. Sa mise en scène réussit à nous happer autrement, grâce à des images sublimes qui ne recherchent pourtant jamais la beauté plastique facile, ainsi qu’à un rythme proprement poétique.

Son exigence envers le spectateur ne fait pas de doute, ne serait-ce qu’à travers ces plans très longs et filmés à une distance considérable de l’action. De même, les cadrages débusquent des sources insoupçonnées d’émerveillement dans des parties du corps humain à priori aussi banales que les pieds et les mains.

© 2023 faktura film / Les Films de l’Après-Midi / dart.film / Heretic / Shellac Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Jon part avec des amis en voiture à la mer. Légèrement blessé aux pieds suite à un accident bénin, il reste à l’écart pendant que ses amis se baignent dans l’eau fraîche. Pris à parti par Lucian, il tue accidentellement ce dernier. En prison, il fait la connaissance de la surveillante Iro, qui se met en couple avec lui après sa libération.

© 2023 faktura film / Les Films de l’Après-Midi / dart.film / Heretic / Shellac Distribution Tous droits réservés

Au-delà de notre vie et mort

Non, non, nous rejetons avec fermeté l’hypothèse selon laquelle ce serait notre état d’endormissement avancé en fin de festival qui nous aurait rendu si réceptifs à la magie filmique que dégage Music ! Ce serait plutôt l’inverse. Car même en ayant d’ores et déjà une dizaine de films vus dans un temps rapproché dans la tête, nous avons pu nous projeter avec un esprit ouvert dans l’univers de ce film pour le moins atypique. Sa particularité réside autant dans sa négligence envers la parole parlée – il doit y avoir une page de dialogue à tout casser au cours du film – que dans la confiance sans restriction qu’il fait à la force de ses images et, en fin de compte, à sa musique. En effet, le surgissement tardif des notes chantées avec une voix d’ange par Aliocha Schneider anoblissent encore davantage le projet artistique de Angela Schanelec.

Mais quel est précisément ce projet ? Est-il filmique, musical ou bien les deux à la fois ? On serait presque tenté d’écrire que c’est rien de tout cela, tant le récit demeure dans l’abstraction la plus totale. Les images, tout comme les sons, s’imprègnent du décor idyllique des îles grecques dans lequel rôde la tragédie. Celle-ci s’articule tour à tour à travers des ellipses narratives joliment acrobatiques ou bien en reproduisant le cycle de la vie, entre les décès et les naissances, selon des schémas guère prévisibles. Le transfert ultérieur de l’intrigue en Allemagne, où Jon trouve une forme de consécration en tant que chanteur, modifie certes le ressenti culturel et climatique. La facture globale du film y reste toutefois fermement ancrée dans un minimalisme enchanteur, jusqu’à cette dernière séquence très libre de promenade chantante au bord de l’eau.

© 2023 faktura film / Les Films de l’Après-Midi / dart.film / Heretic / Shellac Distribution Tous droits réservés

Les dingues ont pris mon bébé

Néanmoins, nous sommes entièrement prêts à admettre que Music n’est guère un film facile d’accès. Vous vous feriez inutilement du mal à y chercher à tout prix une logique dans la progression dramatique de l’histoire, d’entrée de jeu agencée de manière succincte. Pourquoi les personnages agissent-ils de la sorte et qui sont-ils pour commencer ? Mystère ! La fonction de certains revirements tragiques, comme la disparition du personnage auquel Agathe Bonitzer sait conférer une étrangeté aussi distante que saisissante, n’est pas plus compréhensible. Or, puisque tout le récit respire cette approximation intentionnelle des faits et des gestes, notre bonheur de spectateur se situe ailleurs : dans l’abandon de toute convention de réception classique, au profit d’une lecture plus viscérale, moins dépendante d’une temporalité filmique resserrée.

En somme, laissez-vous flotter dans ces eaux limpides de la mer grecque et de la rivière allemande. Laissez-vous embarquer dans un voyage filmique à nul autre pareil, ou presque, que la réalisatrice a savamment planifié selon une feuille de route aux multiples moments de suspension. Le premier repère dont vous devriez obligatoirement vous défaire – sous peine de passer à côté d’un film à la poésie enivrante – est celui d’une linéarité conçue pour donner du sens à l’ensemble. Il n’en est rien ici, puisque nous perdons rapidement le fil pour distinguer qui est l’enfant de qui et qu’est-ce qui relève du rêve ou de la réalité dans l’odyssée abstraite de Jon. Tiens, c’est de rêve éveillé, simultanément beau et déroutant, qu’on qualifierait peut-être le mieux ce film intrinsèquement inclassable.

© 2023 faktura film / Les Films de l’Après-Midi / dart.film / Heretic / Shellac Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Est-ce que la forme quasiment onirique de Music saura convaincre, voire ensorceler le jury sous la présidence de Kristen Stewart en cette 73ème Berlinale ? Le verdict sera rendu dans quelques jours. Cependant, un film comme celui-ci existe en dehors de toute considération bassement commerciale de prix à remporter ou de spectateurs à attirer dans les salles art et essai. Il occupe une place à part dans notre conscience de cinéphile, tel un compagnon discret ayant su éveiller nos sens les plus nobles le temps de sa projection. En tout cas, il nous a fait immédiatement regretter d’avoir raté le film précédent de la réalisatrice, J’étais à la maison mais …, pour lequel Angela Schanelec avait gagné l’Ours d’argent de la Meilleure réalisation il y a quatre ans.

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