Critique : Chevalier noir

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Chevalier noir

Iran, France : 2022
Titre original : A tale of Shemroon
Réalisation : Emad Aleebrahim Dehkordi
Scénario : Emad Aleebrahim Dehkordi
Interprètes : Iman Sayad Borhani, Payar Allahyari, Masoumeh Beigi
Distribution : Jour2fête
Durée : 1h41
Genre : Drame
Date de sortie : 22 février 2023

3.5/5

Synopsis : Iman et son jeune frère Payar vivent avec leur père dans un quartier du nord de Téhéran. Après la mort de leur mère, Iman cherche à tout prix à sortir de l’impasse d’une vie étouffante et profite de ses relations privilégiées avec la jeunesse dorée de Téhéran pour se lancer dans un petit trafic juteux. Mais ce qui semblait être le chemin vers un nouveau départ les entraîne dans une spirale qui va bouleverser leur destin.

Un conte persan qui raconte une histoire contemporaine

Iman et Payar sont deux frères, deux jeunes adultes qui vivent avec leur père dans la partie nord de Téhéran. Leur mère est décédée quelque temps auparavant, leur père est un ancien opiomane que la mort de sa femme a plongé dans la dépression et qui est perdu dans la gestion des médicaments qu’il doit prendre. Le personnage évoqué par le titre français du film, c’est Iman, l’aîné des deux frères, un « chevalier noir » qui enfourche régulièrement sa moto pour fournir en drogue une certaine jeunesse dorée de Téhéran, une activité plutôt lucrative mais pouvant se révéler dangereuse, une activité qui lui a permis d’être appelé « King » par ses clients et qui lui a ouvert la porte des fêtes de la jeune bourgeoisie iranienne. Son comportement indispose particulièrement son père et les relations qu’ils entretiennent sont extrêmement tendues. Payar est très différent d’Iman : pas intéressé par les fêtes auxquelles son frère l’invite régulièrement, il se dépense en pratiquant le muay-thaï, sport connu chez nous sous l’appellation de boxe thaïlandaise, et il se sent attiré par Hanna, une ancienne camarade de classe venue passer ses vacances à Téhéran, elle qui vit à Paris, elle qui est divorcée, elle dont Pauli-Illia, son fils de 6 ans, parle parfaitement le français. Si les deux frères ont peu d’atomes crochus, ils ont quand même une volonté commune, celle de conserver les terres familiales que leur mère n’avait pas encore vendues avant son décès, des terres qu’elle leur a léguées et qui ont pour eux une grande importance sentimentale, des terres que convoite un oncle sans scrupule en cheville avec un promoteur.

La traduction en français de The tale of Shemroon, le titre international du film, donne une indication plus précise que le titre français, Chevalier noir, de ce que le réalisateur a voulu réaliser : le conte de Shemroon, du nom du quartier où se déroule l’action, un quartier situé sur une hauteur au nord de Téhéran. S’inspirant d’une histoire vraie, une histoire de vengeance ratée qui s’était déroulée dans ce quartier et que sa mère lui avait raconté alors qu’il avait déjà élu domicile à Paris, Emad Aleebrahim Dehkordi dit avoir choisi, pour son premier long-métrage, de « raconter une histoire contemporaine, ultra-réelle, avec les codes narratifs du conte persan ». Il faut donc voir dans les deux frères des chevaliers qui doivent défendre le territoire que leur mère leur a légué, voir dans la moto leur destrier et voir dans Shemroon, ce quartier qui domine Téhéran, une sorte de château-fort. Cela dit, Chevalier noir apparait moins comme étant un véritable conte qu’un film réaliste, tourné en plans-séquence relativement courts, même si apparaissent de temps en temps des phénomènes lourds de symboles et qui rapprochent le film du fantastique, tel l’oiseau qui cause un accident de moto à Iman et qui le hante au point de devenir pour lui un objet de cauchemar.

Un « détail » important en dit long sur ce qu’est devenu l’Iran des mollahs. En effet, dans l’histoire vraie qui a inspiré le réalisateur, c’est avec leur mère que vivaient les deux frères et respecter cette réalité mettait le réalisateur face à un dilemme insoluble : chez elle, avec sa famille proche, une femme iranienne ne porte pas le foulard et, souhaitant montrer de façon réaliste l’intimité de cette mère avec ses deux fils, Emad Aleebrahim Dehkordi ne pouvait l’imaginer que tête nue. Impossible dans un tournage se déroulant en Iran : Une femme qu’on filme n’est pas vraiment dans l’intimité de son chez soi et la présence d’hommes dans l’équipe de tournage rend le port du voile obligatoire pour cette femme ! Le réalisateur a donc pris une décision radicale : transformer la mère en père. De même Hanna n’est jamais filmée dans le cadre d’une présence prolongée auprès de sa mère : lorsqu’elle est présente à l’écran, elle est à l’extérieur de chez elle ou bien dans l’appartement familial mais sur le point de partir ou en train de revenir et, chaque fois, il est normal (en Iran !) que sa tête soit couverte. Personnage en apparence secondaire, Hanna n’en est pas moins très importante : comme le réalisateur, elle vit en France et ce séjour à Téhéran pour ses vacances est pour elle une parenthèse. Bien sûr, elle se doit de respecter les règles strictes que doivent suivre les femmes dans son pays d’origine mais on sent chez elle, ne serait-ce qu’au travers de son comportement face aux diktats que voudrait lui imposer sa mère, une force et une liberté qui annoncent ce qu’on va retrouver plus tard (le film a été imaginé et tourné avant la mort en septembre dernier de Mahsa Amini, cette jeune kurde assassinée par la police des mœurs iranienne pour « port de vêtements inappropriés ».) chez de nombreuses femmes iraniennes dans les manifestations qui se déroulent en Iran depuis plusieurs mois.

Cerise sur le gâteau : le personnage d’Hanna nous permet de faire connaissance avec Masoumeh Beygi, son interprète, qui vient grossir les rangs des comédiennes iraniennes de grand talent. A noter que le rôle de Pauli-Illia, son fils, est interprété par le propre fils du réalisateur. Si le cinéma en provenance d’Iran a beaucoup changé depuis Abbas Kiarostami, on peut observer quand même une certaine continuité, ne serait-ce que par ce besoin (ou cette nécessité face à la censure) de faire appel au conte pour montrer la réalité du pays. Par ailleurs, Behzad Dorani, l’interprète du père dans Chevalier noir était celui de l’ingénieur dans Le vent nous emportera, film de Kiarostami sorti en 1999. Quant à la longue scène dans une voiture entre Hanna et Payar, elle a été tournée dans un 4×4 ayant appartenu à Abbas Kiarostami, un véhicule prêté à la production par son propre fils.

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