La Dérive des Continents (Au Sud)
Suisse, France : 2022
Réalisateur : Lionel Baier
Scénario : Lionel Baier, Laurent Larivière, Julien Boissoux, Marina De Van
Acteurs : Isabelle Carré, Théodore Pellerin, Ursina Lardi
Éditeur : Blaq Out
Genre : Comédie
Durée : 1h26
Date de sortie cinéma : 24 août 2022
Date de sortie DVD/BR : 7 février 2023
Nathalie Adler est en mission pour l’Union Européenne en Sicile. Elle est notamment chargée d’organiser la prochaine visite de Macron et Merkel dans un camp de migrants. Présence à haute valeur symbolique, afin de montrer que tout est sous contrôle. Mais qui a encore envie de croire en cette famille européenne au bord de la crise de nerfs ? Sans doute pas Albert, le fils de Nathalie, militant engagé auprès d’une ONG, qui débarque sans prévenir alors qu’il a coupé les ponts avec elle depuis des années. Leurs retrouvailles vont être plus détonantes que ce voyage diplomatique…
Le film
[3/5]
« Qui s’intéresse encore au sort des immigrés qui traversent la Méditerranée au péril de leur vie, dans l’espoir de plus en plus illusoire de trouver la prospérité sur le continent européen ? Plus personne, on a bien peur. La tragédie des noyés au cours de la traversée, la misère dans les camps en Italie ou en Grèce : elles sont rentrées depuis longtemps dans le quotidien cruel des cycles médiatiques, trop rapidement frustrés par la répétition et l’étirement dans le temps pour y faire attention. (…) Dans La Dérive des Continents (Au Sud), cette gestion de la crise sur la durée trouve une forme filmique presque jubilatoire ou en tout cas bien plus ironique que la réalité ne se présente probablement sur le terrain. Une question d’humour suisse sans doute, dont le réalisateur Lionel Baier n’abuse guère. Bien au contraire, puisque son sixième long-métrage à sortir au cinéma en France joue avec adresse le double jeu du brûlot contre l’injustice sociale et du huis-clos intimiste entre une mère indigne et son fils rebelle qui n’ont en apparence plus grand-chose à se dire.
Dans ces rôles à peine originaux sur le papier, Isabelle Carré et Théodore Pellerin excellent. Ils y parviennent justement parce que leurs personnages se laissent trop facilement dépasser par les événements, qu’ils ne savent pas, ni l’un, ni l’autre, se défaire de l’emploi que la société leur a attribué d’office. Dès lors, entre la fonctionnaire consciencieuse et l’activiste remonté à bloc, de belles failles affectives peuvent s’ouvrir. Pourtant, elles s’inscrivent sans exception dans la lecture pour le moins satirique d’un contexte, qu’un traitement à la tonalité plus grave n’aurait pas forcément rendu plus poignant.
Si la construction européenne veut continuer à fonctionner tant bien que mal, tout devra y être réglé au millimètre près. (…) Le personnage principal de La Dérive des Continents (Au Sud) est lui-même à l’image de cette course à la perfection, Nathalie n’ayant jamais le temps de bien faire les choses, avant qu’un autre imprévu ne vienne anéantir ses plans. Cette reine de l’improvisation a certes un solide bagage linguistique pour s’adapter aux situations les plus cocasses, comme au moment de la belle séquence du tour guidé en bus de touristes chinois. Mais en même temps, elle donne l’impression de ne jamais être tout à fait à la hauteur des exigences professionnelles et privées qu’elle s’est fixées elle-même.
Dans ce rôle quelque part entre le chaos intérieur et la résignation sage, Isabelle Carré incarne de manière nuancée une femme à la fois forte et fragile. Parfois seule aussi, comme si le monde se dérobait à elle, comme si tous les garde-fous qu’elle avait soigneusement mis en place ne servaient en fin de compte à rien. Il s’agit sans aucun doute d’un personnage complexe, happé par les choses qui lui arrivent et néanmoins en mesure d’y apporter sa petite touche personnelle. Quitte à faire le grand écart entre la mise en scène visuelle et la manifestation de son indignation intime, quand l’heure est venue de rendre hommage aux réfugiés disparus en mer. Au fil du récit, la narration aménage à Nathalie ces moments d’un sursaut silencieux, à l’image d’une femme qui ne sait visiblement plus trop où elle en est. (…)
La bella Sicilia, est-elle en premier lieu destinée aux touristes, aux réfugiés, aux autochtones perturbés par tant d’animation ou aux officiels du mastodonte européen qui y passent en coup de vent afin de bien se pavaner dans les médias ? Après avoir vu le majoritairement jouissif La Dérive des Continents (Au Sud), on pourrait arriver à la conclusion que cette île à mi-chemin entre l’Afrique et l’Europe est à la fois à tout ce beau monde et à personne. Toute la qualité du film de Lionel Baier réside alors dans son refus catégorique de prendre parti pour quiconque, s’évertuant au contraire à s’assurer que tout le monde en prend équitablement pour son grade. Avec un sens aigu pour les motifs à la valeur symbolique forte en prime, ce qui ne gâche en rien notre plaisir ! »
Extrait de la critique de notre rédacteur Tobias Dunschen. Découvrez-en l’intégralité en cliquant sur ce lien !
Le DVD
[4/5]
Doté de belles qualités formelles et narratives, La Dérive des Continents (Au Sud) n’est malheureusement parvenu à réunir qu’un peu plus de 34.000 spectateurs dans les salles françaises l’été dernier. De ce fait, le film de Lionel Baier ne bénéficiera logiquement pas d’une exploitation sur support Blu-ray à l’occasion de sa sortie vidéo, mais au format DVD uniquement. C’est Blaq Out qui nous offre aujourd’hui la possibilité de redécouvrir le film en DVD, et le fait par le biais d’une galette sobre et efficace, allant à l’essentiel, en composant de façon adroite avec les limites d’un encodage en définition standard. L’image est propre, le piqué assez précis et les couleurs naturelles : c’est parfait. Côté son, la VF est naturellement proposée en Dolby Digital 5.1, et bénéficie d’un mixage dynamique et très immersif. On notera également la présence d’un mixage stéréo en Dolby Digital 2.0, qui s’avérera probablement le meilleur choix plus clair si vous ne bénéficiez pas de Home Cinema et visionnez le DVD le plus simplement du monde sur votre téléviseur.
Du côté de la section suppléments, l’éditeur Blaq Out nous propose un entretien avec le réalisateur Lionel Baier (26 minutes). Le cinéaste y reviendra sur la genèse de son film, sur les recherches qu’il a effectué avant l’écriture, les absurdités qu’il a eu l’occasion de constater par lui-même, etc. Il reviendra également sur son admiration pour la comédie italienne et sur son choix de recourir à l’humour, notamment par le biais de la langue et du poids de certains mots, qui diffère d’un pays à l’autre. Il abordera également certaines autres thématiques de son film, telles que la relation parents / enfants, et, bien sûr, louera le talent de ses acteurs.