Critique : Les pires

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Les pires

France : 2022
Titre original : –
Réalisation : Lise Akoka, Romane Gueret
Scénario : Lise Akoka, Romane Gueret, Eléonore Gurrey
Acteurs : Mallory Wanecque, Timéo Mahaut, Johan Heldenbergh
Distribution : Pyramide Distribution
Durée : 1h39
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 7 décembre 2022

4/5

C’est en 2014, à l’occasion du casting d’un long métrage que Lise Akoka et Romane Gueret se sont rencontrées. Rien d’étonnant dans cela puisque la première a trouvé dans la pratique du casting et du coaching d’enfants la possibilité de faire converger ses deux centres d’intérêt, tous les deux en relation avec sa formation, des études universitaires en psychologie et une formation professionnelle de comédienne, et la seconde ayant travaillé comme assistante réalisation, assistante casting et cadreuse après des études de cinéma à la Sorbonne. En 2015, elles ont réalisé ensemble le court-métrage Chasse royale, un court-métrage de 28 minutes ayant pour thème le casting pour un film et qui fut nommé en 2017 pour le César du meilleur court-métrage. En 2020, elles ont réalisé une web série, Tu préfères, 10 épisodes de 7 minutes, qui fut diffusée sur Arte puis sélectionnée au festival de Sundance. Les pires est leur premier long métrage. Primé dans un grand nombre de festivals, ce film a entre autre obtenu le Prix « Un Certain Regard » au dernier Festival de Cannes ainsi que le Valois de diamant, qui récompense le meilleur film, au Festival du film francophone d’Angoulême. Il faisait également partie des cinq films présélectionnés pour représenter la France dans la catégorie film international aux Oscars le 12 mars 2023 ainsi que des cinq films concourant pour le Prix Louis-Delluc du meilleur premier film. On regrette que, concernant cette dernière récompense, le très beau film sur l’adolescence qu’est Les pires ait été supplanté par Falcon Lake de Charlotte Le Bon qui sort également le mercredi 7 décembre, un autre film sur l’adolescence mais d’un intérêt et d’une qualité bien moindres.
 

Synopsis : Un tournage va avoir lieu cité Picasso, à Boulogne-Sur-Mer, dans le nord de la France. Lors du casting, quatre ados, Lily, Ryan, Maylis et Jessy sont choisis pour jouer dans le film. Dans le quartier, tout le monde s’étonne : pourquoi n’avoir pris que « les pires » ?

Un film sur le tournage d’un film

Avec Les pires, Lise Akoka et Romane Gueret nous proposent une mise en abyme avec un film sur le tournage d’un film. Les pires vient prolonger Chasse royale, leur court-métrage  de  2015, concentré sur le casting d’un film, en racontant aussi le tournage qui prend la suite de cette première étape. C’est à Boulogne-sur-mer, dans le nord de la France, qu’on rencontre Gabriel, un réalisateur flamand venu tourner un film dans la cité Picasso. Un film dont le titre est A pisser contre le vent du nord, titre tiré d’un proverbe du nord de la France : « À pisser contre le vent du nord, on mouille sa chemise ou à discuter contre tes chefs, tu auras toujours tort ». Lors du casting où l’on voit des adolescent.e.s se présenter face à la caméra, Gabriel a recherché en priorité des enfants au vécu difficile que ce soit à cause d’un trouble du déficit de l’attention, d’un décrochage scolaire ou de ce que leur vie familiale n’a pas pu ou pas su leur apporter.

Les quatre adolescentes et adolescents retenue.e.s pour interpréter les rôles principaux, Lily, Jessy, Ryan et Maylis, sont parfaitement en phase avec ce que recherchait le réalisateur mais ce choix amène la population locale à se demander pourquoi ce sont les pires qui ont été choisi.e.s ! Lily est une jeune fille de 16 ans qui ne s’est pas vraiment remise de la mort de Kenzo, son petit frère, mort d’un cancer, elle passe d’un flirt à un autre flirt au point d’avoir la réputation de se se comporter comme une « pute », une insulte particulièrement pratiquée dans la cité, et elle est supposée être enceinte dans le film de Gabriel. Ryan, son frère, habite chez elle après avoir vécu dans des foyers, leur mère étant particulièrement instable. Il souffre de trouble de l’attention avec hyperactivité et il déteste l’école. Jessy est le flirt du moment de Lily, il a déjà connu la prison et il cache sa vraie nature pleine de fragilité par un comportement provocateur et se voulant viril. Quant à Maylis, elle ne trouve d’intérêt à rien et en arrive à se demander si elle veut vraiment tourner dans le film de Gabriel.

Un choix astucieux, une genèse particulière

Des films sur des adolescents et des adolescentes qui viennent d’une cité difficile, on en a déjà vus beaucoup, venant du monde entier, des bons et des moins bons. Le choix des deux réalisatrices de faire un film sur le tournage d’un film de ce type est particulièrement astucieux car il permet de donner très facilement la possibilité de placer des réflexions sur ce type de film et d’avoir un niveau de jeu supplémentaire pour chacun des personnages. C’est ainsi que, dans Les pires, on assiste à une discussion entre Judith, l’assistante de Gabriel, et des habitants de la Cité Picasso, ces derniers se plaignant que le film de Gabriel stigmatise cette cité, comme c’est souvent le cas dans ce genre de films, alors que ces habitants et les services sociaux souhaiteraient que soit mis en valeur, au contraire, les efforts faits pour aller vers une meilleure mixité. Comme dans La nuit américaine de François Truffaut, cela arrive à donner à la fiction un aspect documentaire sur le tournage d’un film et donne un regard critique sur certaines pratiques des réalisateurs. De même, on ne se contente plus d’avoir à parler d’un ou d’une interprète et se son rôle, de nombreux interprètes du film de Lise Akoka et Romane Gueret ayant en fait deux rôles, celui qu’il ou elle joue dans leur film et celui qu’il ou elle est censé.e jouer dans le film de Gabriel. Vertigineux ! C’est ainsi, par exemple, qu’on a Jessy, le personnage interprété par Loïc Pech dans Les pires, qui, après le tournage d’une scène d’intimité avec le personnage interprété par Lily dans le film de Gabriel, s’embrouille avec un membre de l’équipe de Gabriel en le traitant de « pédé » sous prétexte qu’il lui aurait « maté le cul » lors de ce tournage. C’est ainsi que Mélina Vanderplancke  met tout son coeur pour interpréter le rôle de Maylis alors que cette dernière n’a que très peu d’intérêt, voire pas du tout, pour le rôle qu’elle doit jouer dans le film de Gabriel.

La genèse de Les pires a été très particulière. La première phase a consisté à rencontrer des centaines d’adolescents, comme pour un casting sauvage, sauf qu’il s’agissait là de mener avec eux de longs entretiens permettant aux 3 scénaristes de s’imprégner de leur langage et de recueillir des histoires à partir desquelles celle racontée dans le film a été construite. Le problème majeur rencontré par Lise Akoka et Romane Gueret vient du fait que le film a été long à bâtir et, au moment du tournage, ces adolescents rencontrés lors de la première phase avaient vieilli et n’avaient plus l’âge du rôle. C’est là où l’expérience des castings sauvages réalisés par Lise et Romane a été importante : ne jamais faire de promesses lors de ces rencontres, surtout s’agissant d’enfants ou d’adolescents déjà cabossés par la vie, afin de ne pas les « abimer » davantage en leur faisant encaisser une grosse déception. Toujours est-il qu’il a fallu procéder à un nouveau casting dans des collèges, des écoles, des foyers, des maisons de quartier, des centres éducatifs pour mineurs, pour trouver les interprètes qu’on voit dans le film. Contrairement à ce que peut laisser penser la vision du film et même si il a fallu procéder à des adaptations pour tenir compte de la personnalité des nouveaux interprètes, le tournage n’a laissé qu’une place extrêmement limitée à l’improvisation, les comédien.ne.s étant dirigé.e.s avec des oreillettes.

Les découvertes du casting

Le casting de Les pires permet de rencontrer de jeunes comédien.ne.s qui n’avaient jamais tourné au cinéma et dont la fraicheur et la justesse sont étonnantes. Parmi ces interprètes, on détachera particulièrement Timéo Mahaut, l’interprète de Ryan et, surtout, Mallory Wanecque, l’interprète de Lily, magnifique de présence et de vérité. L’interprète de Gabriel, lui, est un acteur confirmé, choisi par les réalisatrices pour son fort potentiel de sympathie : il s’agit de l’acteur flamand Johan Heldenbergh, l’exceptionnel Didier de Alabama Monroe. Esther Archambault, l’interprète de Judith, n’est pas une comédienne de métier : elle a été assistante à la mise en scène sur la web série série Tu préfères, puis assistante casting sur Les Pires. Ces prestations ont été sources d’inspiration pour le personnage de Judith dans l’écriture du scénario et lui attribuer ce rôle de Judith a fini par devenir une évidence. Quant à Eric Dumont, le Directeur de la photographie des 3 derniers films de Stéphane Brizé, il a su très bien capter la lumière du nord de la France ainsi que la beauté des jeunes interprètes du film.

Conclusion

Navigant entre drame et comédie, ce premier long métrage de Lise Akoka et Romane Gueret est une magnifique réussite et on ne peut que lui souhaiter un franc succès. On espère que Lise et Romane vont pouvoir continuer une carrière de réalisatrices, que ce soit chacune de leur côté ou en continuant de travailler ensemble. Par ailleurs, il est évident que deux des jeunes interprètes de Les Pires ont les qualités requises pour faire carrière dans le cinéma : Timéo Mahaut, l’interprète de Ryan et, surtout, Mallory Wanecque, l’interprète de Lily, magnifique de présence et de vérité.

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