Le Visiteur du futur
France, 2022
Titre original : –
Réalisateur : François Descraques
Scénario : François Descraques
Acteurs : Arnaud Ducret, Florent Dorin, Enya Baroux et Raphaël Descraques
Distributeur : Kmbo
Genre : Science-fiction
Durée : 1h42
Date de sortie : 7 septembre 2022
3/5
Le cinéma de genre français n’a guère bonne presse. Peu importe qu’il s’agisse de films d’horreur, d’aventures fantastiques ou de récits de science-fiction, les productions nationales se voient systématiquement soumises à l’exercice pernicieux de la comparaison avec la concurrence américaine. Or, à condition de laisser leur chance à ces films faits souvent avec peu de moyens mais beaucoup d’inspiration, on peut tomber sur de bonnes surprises. Le Dernier voyage de Romain Quirot, sorti l’année dernière, en était une. Et sur un ton plus léger, Le Visiteur du futur démontre que le cinéma français est tout à fait capable de produire des divertissements futuristes de haut vol. Quand le spectacle rocambolesque s’y appuie de surcroît sur une mise en garde environnementale des plus percutantes, notre plaisir de spectateur est assuré !
Initialement conçu sous forme de web-série au début des années 2010, l’univers du Visiteur du futur a réussi sans encombre sa transposition vers le grand écran. Nul besoin, en effet, d’être familier auparavant de ses personnages ou de ses enjeux dramatiques pour se plonger dans cette histoire, qui laisse justement en suspens les modalités précises du voyage dans le temps. Ce qui importe à François Descraques, réalisateur et scénariste, c’est de faire avancer à un rythme rapide son intrigue, quitte à privilégier l’état d’esprit hautement irrévérencieux au détriment d’un développement plus poussé des personnages. L’exploit considérable consiste alors à ne jamais tomber ni dans la facilité des raccourcis narratifs, ni dans une esthétique synthétique susceptible d’aseptiser les incohérences les plus flagrantes. Un défi que ce premier film plutôt prometteur relève en (très) grande partie.
Synopsis : Dans un futur proche, la centrale nucléaire Axomako est sur le point d’exploser. Alors que les techniciens tentent de la sauver in extremis, un visiteur du futur apparu de nulle part leur donne des conseils, afin de rendre l’avenir de l’humanité moins sinistre. Empêché à la dernière minute par les agents de la brigade temporelle, il n’arrive pas à éviter la catastrophe. Sa seule autre option consiste alors à remonter encore plus loin dans le passé, en 2022, quand le député corrompu Gilbert Alibert s’apprêtait à signer le contrat de construction de la centrale. Déjà à l’époque, le politicien s’était heurté à la vive opposition de sa fille Alice, engagée dans la défense de l’environnement.
Les Calottes sont cuites
Derrière son apparence de comédie joliment foutraque, Le Visiteur du futur sait distiller un commentaire à l’arrière-goût acerbe sur le monde dans lequel nous vivons. Au lieu de perpétuer l’éternel modèle manichéen cultivé par la plupart des sagas de l’espace, avec les bons insipides d’un côté et les méchants machiavéliques de l’autre, il s’évertue à créer un triangle au sein duquel les bonnes intentions tournent joyeusement en rond. Ainsi, les héros, menés par le Visiteur et sa bande, galèrent sans cesse à faire aboutir leurs projets ambitieux. Leurs échecs répétitifs sont d’autant plus enrageants qu’ils sont le résultat de leur propre incompétence. Car en face, l’esprit conservateur et restrictif est incarné soit par un trio de branquignols ridicules, soit par des technocrates ayant depuis longtemps pris congé de leur capacité d’empathie.
Là où cette répartition des rôles et des tâches devient intéressante et hélas hautement lourde de présages, c’est quand on contemple la véritable force destructrice dans cette histoire pas si inoffensive. Les cancres des deux bords ont beau se chamailler, dans une guéguerre sans gravité apparente, quoique avec de l’humour à en revendre, le cataclysme incarné par un énorme nuage radioactif avance imperturbablement vers eux. Dès lors, le rapprochement avec la situation actuelle de la planète devient presque insoutenable, les efforts valeureux des activistes et le frein tiré par les défenseurs du statu quo économique, social et énergétique n’ayant en fin de compte aucune incidence sur le rouleau compresseur du changement climatique qui fonce sur nous. Rien que pour transmettre de manière ludique un avertissement d’une telle lucidité, Le Visiteur du futur mérite tout notre respect !
Avant le brunch
Puis, le film de François Descraques séduit également par son humour pince-sans-rire. Aucune occasion n’y passe sans une petite blague sarcastique, avec pour cible principale la ringardise parfaitement assumée de l’action. Tout le monde en prend pour son grade, notamment les trois membres de la brigade temporelle. Ceux-ci sont à l’opposée extrême de la violence anonyme et mécanique à l’œuvre dans la plupart des épopées de science-fiction, au propos soigneusement déshumanisé. Ici, on retrouve au contraire des traits de caractère plus spécifiquement français dans le penchant irrésistible de ce microcosme professionnel de se tirer mutuellement dans les pattes et d’en faire le moins possible, tout en se mettant en avant devant son supérieur hiérarchique.
Le camp adverse ne s’en tire guère mieux. Tandis que Arnaud Ducret campe assez sobrement un technocrate alcoolique dépourvu de tout ancrage idéologique, la lutte en théorie si valeureuse de sa fille et ses acolytes venus du futur montre, elle aussi, rapidement ses limites. A plusieurs occasions, ils sont mis face à leurs contradictions ou tout au moins à leur incapacité à gérer des situations épineuses. C’est notamment leur dépendance des gadgets qui est pointée du doigt, certes avec beaucoup de bienveillance. Que ce soit la fixation risible du politicien sur les réacteurs dorsaux ou l’utilisation excessive du bracelet de téléportation temporaire par les visiteurs, quitte à en user irrémédiablement les batteries, il devient vite apparent que notre avenir ne pourra pas se définir exclusivement à partir de ces jouets plus ou moins utiles.
Conclusion
Pendant que le cinéma américain s’use et s’abuse dans le cercle vicieux d’un éternel recyclage des recettes éprouvées de super-héros, le cinéma français sait faire de la résistance avec intelligence. Comme preuve supplémentaire, on cite Le Visiteur du futur, une comédie très second degré, qui a pourtant le mérite considérable d’enrichir sa structure de la farce pure et dure d’un constat environnemental étonnamment éclairé. Sans oublier le fait qu’en termes d’effets spéciaux, la différence entre la France et les États-Unis est désormais minime, bien que les budgets doivent différer énormément.