Critique : Les mystères de Barcelone

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Les mystères de Barcelone

Espagne : 2020
Titre original : La vampira de Barcelona
Réalisation : Lluis Danès
Scénario : Maria Jaén, Lluís A. Martínez
Interprètes : Nora Navas, Roger Casamajor, Bruna Cusí, Sergi López
Distribution : Destiny Films
Durée : 1h46
Genre : Drame, Thriller, policier
Date de sortie : 28 septembre 2022

4.5/5

Né il y a 50 ans à Arenys de Mar, à une cinquantaine de kilomètres de Barcelone, le metteur en scène Lluis Danès a travaillé pour le théâtre, pour la télévision et le cinéma. Les mystères de Barcelone est son premier long métrage de fiction pour le cinéma. Ce film est inspiré par des évènements qui se sont déroulés à Barcelone en 1912 et il a été récompensé par 5 Gaudi, dont celui de meilleur film, lors de la cérémonie de 2021.

Synopsis : Barcelone, au début du XXe siècle, voit cohabiter deux villes. L’une, bourgeoise et moderniste ; l’autre, crasseuse et sordide. La disparition de la petite Teresa Guitart, fille d’une famille riche, envoie une onde de choc dans tout le pays. La police a bientôt une suspecte : Enriqueta Martí. De son côté, le journaliste Sebastià Comas va mener une véritable enquête et découvrir la sombre vérité…

Qui est Enrequita Marti ? Présentation de l’affaire !

Kidnappeuse d’enfant, sorcière, pute de Satan, mauvaise femme, démon, ogresse suceuse de sang, tueuse, hyène, bête humaine, monstre sans cœur, sans pitié, la vampiresse de Barcelone, des mots tapés sur une machine à écrire pour qualifier Enrequita Marti. « Enrequita Marti est morte, les nonnes l’ont tuée », des mots qui viennent en écho, en provenance d’une voix de femme dans le lointain, alors qu’un corps est sur le point d’être porté vers un corbillard, précédé par la silhouette d’une bonne sœur. Mais qui est donc cette Enrequita Marti, quels crimes a-t-elle commis ? En revenant quelques mois en arrière, nous voilà transportés à Barcelone, dans une ville en émoi : de folles rumeurs courent sur des enlèvements d’enfants en grand nombre, « L’orphelinat est rempli d’enfants », « Les gens disent qu’il y a un carrosse rouge qui traverse Barcelone la nuit et qui récupère les enfants perdus pour les emmener dans un endroit inconnu où ils prennent leurs cœurs et leurs tripes ». Des rumeurs fermement démenties par le commissaire Amorós qui ne reconnait qu’un seul enlèvement, celui de Teresita Guitart, la fille d’un boulanger.

De retour à son travail de journaliste après une absence prolongée, Sebastià Comas, neveu du patron du journal pour lequel il travaille, n’est pas particulièrement enthousiaste à l’idée de travailler sur ces histoires d’enlèvements, jusqu’à sa rencontre avec un père qui proteste contre le manque d’intérêt porté par la police à l’enlèvement de sa fille Claudia, âgée de 10 ans, jusqu’à l’annonce que Teresita Guitart a été retrouvée et qu’elle avait été enlevée par une dénommée Enrequita Marti.

Un film truffé de magnifiques audaces visuelles

Une femme que tout accuse. Un journaliste qui a recours à la morphine pour trouver le sommeil, un journaliste en proie à des cauchemars liés à la responsabilité qu’il ressent de la mort de sa sœur Laura qui s’était suicidée 20 ans auparavant parce que son père avait abusé d’elle. Le même journaliste qui a le béguin pour Amelia, une jeune femme qui a une vocation de chanteuse d’opéra et dont il n’arrive pas trop à savoir si elle est ou non toujours dans la prostitution. Le même journaliste, toujours lui, qui, suite à la visite au journal dans lequel il travaille du père de la petite Claudia, dévasté par sa disparition, commence  à se passionner à cette histoire de disparitions d’enfants et se lance dans une enquête qui va le mener dans une maison close dans laquelle on peut, à votre demande, vous fournir une fillette, un bordel dans laquelle il semble bien qu’une bonne partie de la haute société de la ville a ses entrées. Le journaliste qui va commencer à s’interroger sur la corruption qui semble gangréner la ville et surtout, à se poser des questions quant à la culpabilité d’Enrequita Marti et à se demander si elle n’est pas utilisée comme bouc émissaire permettant d’occulter les turpitudes du gratin de la ville. Ne trouvez vous pas que ce que raconte ce film est particulièrement alléchant ?

Toutefois, ce qui fait de ce film bien plus qu’un très bon thriller, c’est la façon dont tout cela est filmé. Entendons nous bien, Lluis Danès n’a rien inventé : tout ce qui fait de Les mystères de Barcelone un très grand film, toutes les audaces visuelles dont il est truffé, on les trouve un peu partout dans l’histoire du cinéma, que ce soit chez Murnau, chez Fritz Lang, chez David Lynch, chez Spielberg, chez Tim Burton, chez d’autres encore. Mais fallait-il encore utiliser à bon escient toutes ces audaces visuelles afin qu’elles n’apparaissent pas comme totalement artificielles Tout d’abord, Les mystères de Barcelone est un film très majoritairement en noir et blanc, avec une utilisation expressionniste des ombres et des lumières. Seules les scènes dans la maison close sont entièrement en couleur et celles-là font plutôt penser à Fellini, Bunuel et Visconti. Toutefois, dans ce Noir et Blanc, on trouve des plans où l’écran se partage en deux, noir et blanc d’un côté, sépia de l’autre ou d’autres dans lesquels apparaissent des taches de couleur rouge comme une mare de sang, comme la lanterne à l’entrée de la maison close. Par ailleurs, Les mystères de Barcelone fait souvent appel à des plans qui s’apparentent à des ombres chinoises, par exemple lorsque Teresita Guitart quitte la main de sa mère et se se lance à la poursuite d’un chat, ou lors d’une mise en terre d’un cercueil ou lorsqu’on assiste au déplacement d’un corbillard ou d’un tramway. Toutes ces audaces visuelles sont loin d’être « gratuites », elles sont là, accompagnées ponctuellement par une musique au caractère angoissant, pour traduire le caractère maléfique et immoral d’une ville dans laquelle une bourgeoisie souvent corrompue côtoie une classe populaire très souvent dans le plus complet dénuement.

A film brillant, distribution brillante

Ce film particulièrement brillant se devait de réunir une distribution tout aussi brillante. C’est chose faite avec Roger Casamajor, peu habitué aux premiers rôles mais très convaincant dans le rôle de Sebastià Comas, avec Nora Navas dans celui d’Enrequita Marti, avec Bruna Cusí, particulièrement émouvante dans le rôle d’Amélia, avec Sergi López dans le rôle du commissaire Amorós, avec Núria Prims, très crédible dans le rôle de Mme Leonor, la mère maquerelle, etc. Impossible, par ailleurs, de ne pas louer la très grande qualité de la photographie de Josep María Civit auquel le film doit beaucoup.

Conclusion

Lorsqu’un film arrive à greffer un immense plaisir visuel sur une histoire à la fois passionnante et pourvue d’un solide arrière-plan social, il n’est pas interdit de parler de très grand film, un des meilleurs de cette année cinématographique.

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