Critique Express : Ventura

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Ventura

Portugal : 2014
Titre original : Cavalo Dinheiro
Réalisation : Pedro Costa
Scénario : Pedro Costa
Interprètes :  Ventura, Vitalina Varela, Tito Furtado
Distribution : Survivance
Durée : 1h45
Genre : Drame
Date de sortie : 15 juin 2022

3.5/5

Synopsis : Ventura, manœuvre retraité cap-verdien, erre dans une Lisbonne labyrinthique et cauchemardesque. Il se remémore la manière dont lui et ses amis du quartier Fontainhas ont traversé la Révolution des Œillets, dans la peur de la répression. Dans son errance Ventura rencontre Vitalina qui lui raconte sa propre histoire d’exil.

Un très beau film, un film qui se mérite !

Il y a des films qu’une seule et même personne pourra qualifier un jour de chef d’œuvre ou de concentré d’ennui un autre jour, selon les conditions de projection et l’état d’esprit et la forme physique lors de celle-ci. Ventura en fait partie ! Un film qui débute par des photographies prises par Jacob Riis dans des taudis de New York à la fin du dix-neuvième siècle, une façon insolite d’introduire le spectateur dans le bidonville capverdien de Fontainhas, un bidonville où vivait Ventura au début des années 70 et qui a été détruit pour donner naissance au barrio de Casal da Boba. Ventura, c’est le personnage principal du film, un homme originaire du Cap Vert qu’on ne va pas cesser de suivre sans qu’on sache toujours si on est dans le présent du personnage, en 2013, ou bien dans les souvenirs qu’il a du début des années 70, un peu avant ou pendant la Révolution des œillets.

Toujours est-il que, lorsqu’on fait connaissance avec lui, sa descente dans les sous-sols de ce qui est très probablement un hôpital fait l’objet d’un des très rares mouvements de caméra du film, puis il erre, vêtu d’un slip rouge, impressionnant par son regard intense, dans les couloirs souterrains. On va le retrouver en pyjama sur un lit de l’hôpital, conversant avec des neveux, parlant des risques du métier quand on travaille comme manœuvre sur un chantier ou comme ouvrier dans une usine, on va le retrouver demandant des nouvelles du Cap Vert, de sa maison, de ses poules, de ses cochons, de ses chèvres, de Fogo Serra, son âne, de Dinheiro, son cheval. Ses mains sont en permanence atteintes d’un tremblement important. C’est à cause de la maladie, répond-il à Vitalina Varela, la femme d’un de ses amis, rencontrée dans un couloir de l’hôpital, elle qui est venue du Cap Vert pour assister à l’enterrement de son mari. Autre rencontre importante : celle avec un militaire statufié dans ce qui semble être un ascenseur, avec une conversation qui tourne autour du Mouvement des Forces Armées et, à demi mot, de ce qu’est devenu le Portugal depuis la Révolution des œillets.

Chef d’œuvre ? Concentré d’ennui ? Sur un domaine, au minimum, le qualificatif « chef d’œuvre » n’est pas usurpé pour ce film, meilleure réalisation du Festival du film de Locarno en 2014 et présenté dans de nombreux autres festivals, et qui a donc attendu 8 ans pour sortir dans notre pays : la beauté des images que l’on doit au Directeur de la photographie Leonardo Simões ! Ce film dans lequel on ne voit jamais la lumière du jour, passant de scènes nocturnes à des scènes tournées dans des sous-sols, dans des chambres ou dans des couloirs, est paradoxalement plein de lumière, une lumière qui se reflète sur la peau noire des personnages ou sur le costume argenté du militaire statufié, une lumière qui met régulièrement en avant la couleur rouge de vêtements portés par des protagonistes. A l’exception de 2 ou 3 mouvements de caméra, tous les plans sont des plans fixes et, pour nombre d’entre eux, on a l’impression de regarder un tableau du Caravage. Concentré d’ennui ? Soyons clair, soyons franc : Pedro Costa n’a jamais cherché et ne cherchera jamais à faire du Spielberg. Si l’on tient absolument à rapprocher Ventura de films d’autres réalisateurs, c’est plutôt vers le philippin Lav Diaz ou le thaïlandais Apichatpong Weerasethakul qu’on peut se tourner. Toutefois, si, dans Ventura, l’action est minimale on ne peut s’empêcher d’être saisi par la tension qu’on ressent en permanence et qui permet de rester « accroché » au film, à condition, bien sûr, de faire preuve d’une certaine vigilance.

Par ailleurs, une cause importante peut contribuer à faire passer le spectateur de la vigilance à l’ennui : le manque de connaissance que nous, français, avons pour la plupart de l’histoire du Portugal, de ses rapports avec ses anciennes colonies, de la Révolution des œillets. C’est ainsi qu’on peut être étonné de la peur que semblent avoir les immigrés capverdiens de cette Révolution, alors qu’on a plutôt en mémoire son côté progressiste et le désir affiché par les capitaines marxistes de l’armée de terre qui en étaient le moteur de mettre fin aux guerres coloniales. La scène de l’interrogatoire de Ventura, une scène qui se déroule le 11 mars 1975, permet de mieux comprendre cette peur : le 11 mars 1975 est le jour où le Général Spinola a fomenté un putsch de droite, lui qui fut Président de la junte de Salut national durant les 3 semaines qui ont suivi le 25 avril 1974, jour du renversement de la dictature portugaise, puis Président de la République durant les 6 mois qui ont suivi. Dans ce film sans accompagnement musical mais dans lequel on entend en entier une morna du groupe capverdien Os Tubarões et un extrait d’un morceau de Kodé di Nona et José Vaz, on retrouve dans le rôle principal le comédien Ventura qui interprétait déjà le rôle principal dans En avant, jeunesse ! de Pedro Costa, un film présenté en compétition officielle au Festival de Cannes 2006. A ses côtés, c’est Vitalina Varela qui interprète son propre rôle. 5 ans après Ventura, Pedro Costa a jugé nécessaire de prolonger son rôle dans Vitalina Varela, un film qui a obtenu le Léopard d’Or lors du Festival du film de Locarno en 2019 et qui est sorti en salle dans notre pays en janvier dernier.

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