Elephant Man
États-Unis : 1980
Titre original : The Elephant Man
Réalisation : David Lynch
Scénario : Christopher De Vore, Eric Bergren, David Lynch
Acteurs : John Hurt, Anthony Hopkins, Ann Bancroft
Distribution : Paramount Pictures
Durée : 2h04
Genre : Fantastique, Drame
Date de sortie : 9 octobre 1980
Note : 5/5
Un jeune et brillant chirurgien, Treves, rencontre dans le spectacle d’un cirque victorien un homme si hideusement déformé qu’il est condamné à vivre la vie dégradante de phénomène de foire. Il s’agit de John Merrick, connu des publics de cirque dans tout le pays comme « L’homme éléphant ». Bien que Merrick ne puisse être guéri, Treves se bat pour le délivrer de la misère de son environnement, et pour lui donner une vie digne et confortable…
Elephant Man est un film à l’impact indéniable, récompensé aux Césars 1982 dans la catégorie meilleur film étranger. Mythique, il a soufflé l’inspiration à d’autres chefs-d’œuvre, comme récemment la Vénus Noire d’Abdlellatif Kechiche, sorti en 2010. Un film à voir, véritable propagande et en même temps documentaire de la nature humaine, dans toutes ses nuances, renforcé par le noir et le blanc qui rendent l’œuvre d’autant plus saisissante.
Une amitié qui fait débat
David Lynch (Eraserhead) reprend le thème du monstre de foire dans Elephant Man. John Merrick, appelé l’homme éléphant, est mis en scène par son propriétaire qui le représente comme un animal, inhumain, un monstre de la nature. La scène de départ évoque les débuts troubles de sa gestation puisque sa mère a été mise à terre par un éléphant fou plein de fureur ! D’après les propos du propriétaire, sa mère serait morte en donnant naissance à John Merrick, ce qu’il explique lorsque le chirurgien, interprété par Anthony Hopkins (Thor, Le Rite, Wolfman) vient découvrir cette intrigue de la nature. La rencontre entre ces deux hommes au destin désormais lié, montre un Frédérick Treves extrêmement stupéfait mais en même temps ému, empreint de compassion pour l’être qu’il voit. Dès lors, il décide de le louer pour en faire une étude scientifique.
Dans un premier temps, il se comporte avec aussi mal que son propriétaire, en l’exhibant physiquement aux autres scientifiques. Il ne prend absolument pas en compte sa capacité à être. Pour lui, l’homme éléphant n’a pas de conscience ou plutôt il est atteint de débilité, voire de dégénérescence mentale, ce qu’il espère puisque dans le cas contraire la conscience de sa vie n’en serait que plus éprouvante ! Finalement, le docteur apprend à le connaître et découvre en lui une personne, qui sait lire, parler, être sensible, mais qui a peur de le montrer. Dès lors, une belle relation s’établit entre les deux hommes, offrant des faces à faces riches en émotions.
Une satire de la société
On peut réellement parler de satire sociale dans la mesure où David Lynch critique ouvertement la société de voyeurisme et la déshumanité qui peut régner. Dès le départ il insiste sur la machinisation qui animalise l’homme et qui, comme l’exprime le chirurgien, est inarrêtable. On peut comprendre cette métaphore comme une condamnation de l’emballement populaire qui à tort ou à raison est bien compliqué à enrayer et qui peut-être déshumanisée.
Alors que l’on déteste facilement le propriétaire de John, on peut dire qu’à bien des égards l’attitude de Frédérick Treves est toute aussi condamnable. En effet, en l’exposant à l’assemblée des scientifiques, dénudé, en parlant de lui comme s’il était absent, on peut réellement parler de viol. Ensuite, même s’il ne veut que son bien, il organise malgré lui, sans doute inconsciemment, le même système de monstration. Il accepte que des gens de la haute société viennent découvrir, rencontrer, l’homme éléphant, se déguisant en homme et adoptant le même comportement. Alors que John était réservé aux couches inférieures de la société, dans les foires, il est désormais l’objet de curiosité de la part des hautes classes de la bourgeoisie. Ainsi, comme semble le raconter ce biopic, chaque couche sociale, donc chaque homme est condamnable et se rend coupable de désobligeance, de voyeurisme.
De plus, on plaint davantage les agresseurs, ceux qui viennent voir, que l’agressé lui-même. C’est d’autant plus vrai au début du film quand cela concerne tout le monde, qu’à la fin lorsqu’on plaint, on met en garde les jeunes femmes des horreurs qu’elles vont vivre. On peut dire que c’est l’histoire d’un monstre qui vit parmi les hommes, au début du film, puis finalement, que c’est l’histoire d’un homme vivant parmi les monstres.
En effet, John Merrick accède au statut d’homme qu’il acquiert au fur et à mesure des épreuves mais aussi des amitiés naissantes. Mais plus qu’une condamnation de la monstration, c’est une critique de la différence, souvent interdite, blâmée dans nos sociétés. Ce film, par la voix de John Merrick met en exergue le fait que nous ayons peur de ce que nous ne comprenons pas et donc d’une manière générale que nous ayons peur de l’autre. Il montre, par les mêmes effets, que nous finissons par nous octroyer le droit de mettre l’autre en soumission dès lors que nous le jugeons inférieur. C’est pourquoi ce film touche autant les spectateurs, bien que l’histoire se passe à la fin du XIXe siècle, les idées qu’il développe sont très contemporaines, d’où l’influence qu’a eu le film. Finalement, ce qui fait l’homme, à travers le film, c’est l’apparence et la parole qui en elle-même est aussi un effet d’apparence. On peut en jouer, on la juge aussi, d’où l’importance qu’accorde John Merrick à cette dernière.
Un film d’anthologie
David Lynch signe avec Elephant Man un film qui fera date dans l’histoire du cinéma. On peut parler de film coup de poing qui marque obligatoirement chaque spectateur, d’une manière ou d’une autre. John Hurt porte formidablement bien le rôle de Merrick, et Anthony Hopkins ne trahit pas sa réputation de grand acteur. Le noir et blanc est un choix audacieux qui s’avère payant ! Il sublime le film, tout a plus d’importance. On pourra regretter une bande son assez classique, mais qui ne porte néanmoins pas préjudice au film, ainsi que quelques longueurs, mais qui permettent au film de s’installer et de nous exploser au cœur. On peut également dire qu’il est finalement une note d’espoir puisque la différence semble être acceptée et triomphe donc de la déchéance et de la perversion humaine…
Certaines scènes sont souvent citées en exemple par les professionnels du cinéma, elles sont qualifiées d’anthologiques. Elles s’impriment, et sur la pellicule, et sur la mémoire collective.