Les Fauves
France : 1984
Titre original : –
Réalisation : Jean-Louis Daniel
Scénario : Catherine Cohen, Jean-Louis Daniel, Philippe Setbon
Acteurs : Philippe Léotard, Daniel Auteuil, Gabrielle Lazure
Éditeur : Le Chat qui fume
Durée : 1h33
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 18 avril 1984
Date de sortie BR/4K : 15 février 2022
Christopher Bergham et Bela forment un jeune couple qui se produit dans des spectacles de cascades automobiles. Léandro Santini, le frère de Bela, jalouse leur liaison. Après avoir éconduit son frère juste avant le show, Bela annonce à Christopher son intention de le quitter. La cascade tourne au drame et la jeune femme meurt dans les flammes sans que son amant intervienne. Trois ans ont passé, Christopher réapparaît sous le nom de Berg et trouve un emploi de vigile dans une société de police privée, La Veillance. Léandro, quant à lui, n’a qu’un seul but : venger la mort de sa soeur…
Le film
[3,5/5]
Vous imaginez, vous, voir Kev Adams ou Max Boublil interpréter à l’écran des personnages de héros torturés, de flics badass ou issus du répertoire classique ? Voilà qui parait à priori hautement improbable, et pourtant, la carrière de Daniel Auteuil tendrait à nous faire penser que tout est possible. Car si l’acteur a été nommé quatorze fois aux Césars, s’il est actuellement Officier de l’ordre des Arts et des Lettres et même Officier de l’ordre national du Mérite, on en oublierait presque qu’il avait été découvert avec Les Sous-doués en 1980, et que les premières années de sa carrière au cinéma furent jalonnées par des films tels que Les hommes préfèrent les grosses, T’empêches tout le monde de dormir, Pour cent briques, t’as plus rien ou encore Que les gros salaires lèvent le doigt.
A partir de 1982, suite au succès de La Balance, Daniel Auteuil imagine que pour être pris au sérieux, il faut passer par le polar, et il enchaînera de fait coup sur coup trois films plus « musclés », censés prouver au public qu’il n’est pas qu’un clown : L’Indic de Serge Leroy, Les Fauves de Jean-Louis Daniel, et L’Arbalète de Sergio Gobbi. Malheureusement, le public n’a pas suivi Daniel Auteuil dans son exploration du polar 80’s, et le film qui nous intéresse aujourd’hui, Les Fauves (1984), n’a même pas réuni 380.000 français dans les salles obscures, et a donc peu à peu sombré dans les limbes de la mémoire collective. Quarante ans plus tard, Le Chat qui fume lui offre la chance de se rattraper par le biais d’une sublime édition Blu-ray 4K Ultra HD pour le moins inattendue, qui devrait logiquement servir à réhabiliter un film plus riche et intéressant qu’il n’y parait à première vue.
Si Les Fauves ne s’articule pas réellement comme un polar, mais plutôt comme un sombre thriller de vengeance teinté d’action, le casting du film crée quelques liens avec celui de La Balance : Philippe Léotard, Florent Pagny et Albert Dray se retrouvent donc à nouveau réunis, et forment une partie d’un casting très hétéroclite, à la fois constitué d’acteurs connus et respectés (Macha Méril, Jean-François Balmer), de quelques acteurs comiques (Farid Chopel, Sylvie Joly, Valérie Mairesse) ainsi que d’une poignée de débutantes aujourd’hui oubliées (Véronique Delbourg, Louise Portal, Gabrielle Lazure). La galerie de « gueules » proposée par Les Fauves est à la fois une des qualités et l’un des principaux défauts du film de Jean-Louis Daniel : Philippe Léotard compose un vagabond ravagé par la vie absolument extraordinaire de réalisme, et traverse tout le film le flutiau à la main tel un véritable ange de la Mort. En comparaison, les autres acteurs peinent en revanche un peu à réellement faire vivre leurs personnages, sans doute à cause de leur manque d’expérience.
Mais ce détail n’empêche pas Les Fauves de s’avérer un spectacle assez fascinant, notamment dans le climat oppressant qu’il parvient à développer en l’espace de quelques séquences, et ce dès les premières minutes du film. Le récit s’ouvre sur la mort assez dramatique de Bela, incarnée par Gabriel Lazure, qui hantera par la suite les deux personnages principaux du film, Berg (Daniel Auteuil) et Léandro (Philippe Léotard), et guidera une partie de leurs actes. Le malaise palpable qui caractérise en partie Les Fauves est en partie dû au fait que Jean-Louis Daniel a, dès sa spectaculaire entrée en matière, l’habileté de laisser dans le flou deux détails narratifs importants, qui se rapportent à une certaine notion de « culpabilité ».
Dans le cas de Berg, il est bien difficile de déterminer si l’accident qui survient au début du film est volontaire ou pas. Le réalisateur appuie de plus énormément sur le regard de Daniel Auteuil, sur son œil dirigé vers sa compagne en train de périr dans les flammes : que signifie ce regard fixe porté vers la jeune femme ? S’agit-il juste de désespoir ou d’une vengeance, d’un meurtre provoqué par les soupçons qu’il entretient vis-à-vis de sa femme ? Dans le cas de Léandro, les retrouvailles avec sa sœur auxquelles nous assistons quelques minutes auparavant semblent également teintées d’une aura trouble, aux limites de l’inceste. Son amour pour Bela est-il réellement aussi innocent que semblent le montrer le flashback mis en scène par Jean-Louis Daniel afin d’illustrer le désespoir de Léandro ?
L’atmosphère noire du film est également entretenue par le fait que Les Fauves semble se dérouler dans une France qui n’est pas tout à fait celle que l’on connaît, mais qui ressemble davantage à une projection pessimiste de l’avenir – cette idée d’anticipation est d’ailleurs renforcée par la présence au générique de Gabrielle Lazure, qui jouait dans Le Prix du danger l’année précédente. Bref, le film se déroule donc dans une France de demain où la police a jeté l’éponge, où les Punks peuplent les rues en mode Les Guerriers de la Nuit, et où la sécurité est désormais confiée à des milices privées qui, parce qu’elles sont soumises aux dures lois de l’offre et de la demande, se retrouvent obligées d’embaucher des repris de justice et autres personnages interlopes. A ce titre, le personnage de Jean-François Balmer est particulièrement angoissant dans son genre, dans le sens où il est vraiment dépeint comme un psychopathe au bord de l’explosion.
Cependant, aucun personnage n’est réellement sympathique au cœur de l’intrigue des Fauves. La personnalité des deux personnages centraux est d’entrée de jeu déterminée comme trouble, mais aucun des autres protagonistes ne sera épargné par le regard sombre porté par Jean-Louis Daniel sur ses contemporains. Autour de Mimi (Véronique Delbourg), dernier vestige d’innocence et de pureté dans un monde à la dérive, personne ne trouvera grâce aux yeux du cinéaste, qu’il s’agisse de Sylvia (Macha Méril), la mère indigne peu intéressée par le sort de sa fille, ou Nino (Florent Pagny), l’homosexuel dévoré d’amour pour Daniel Auteuil qui, frustré de le voir refuser ses avances, n’hésitera pas à le trahir et causera sa perte.
Par ailleurs, Les Fauves baigne dans une esthétique typiquement 80’s, avec tout ce que cela peut sous-entendre d’excès parfois amusants : la photo de Richard Andry est dominée par les éclairages blancs et rouges (une façon pour le cinéaste d’opposer constamment pureté et violence à l’image), Daniel Auteuil conduit sa caisse de nuit avec des lunettes de soleil, la chanson du générique (« Night rider » de Karoo) fait dans le rock FM le plus ridicule, le défilé de mode ressemble à un show du Moulin Rouge… Les Fauves n’évite d’ailleurs pas les nombreux plans de nudité bien racoleurs, mais le fait avec un certain sentiment d’équité hommes / femmes : les amateurs/trices seront donc ravis de découvrir, en Ultra Haute-Définition s’il vous plait, la bite de Daniel Auteuil, s’affichant non sans fierté dans un plan à la Jean-Jacques Beineix, mais également celle de Florent Pagny, qui s’offre une scène de ménage sous la douche et complètement à oilpé et nous imposera la vision de son engin ballotant au gré du vent pendant de longues minutes.
Le Blu-ray 4K Ultra HD
[5/5]
Dominant le monde de l’édition vidéo en France de plusieurs longueurs sur tous ses concurrents, Le Chat qui fume s’est peu à peu fait une place de tout premier ordre sur le marché français. Ne se reposant jamais sur ses lauriers, l’éditeur a pris le parti ces derniers mois de diversifier ses sorties, tout en conservant son statut incontesté de référence en terme de qualité de transfert et de suppléments. Comme d’habitude, Les Fauves s’affichera donc dans une superbe édition Combo collector au design soigné et à la finition maniaque, prenant la forme d’un digipack trois volets contenant le film au format Blu-ray 4K Ultra HD + Blu-ray, et surmonté d’un fourreau très classe composé par Frédéric Domont, et reprenant la présentation des précédents films édités par Le Chat.
Côté image, Le chat qui fume nous propose donc une copie 4K de toute beauté, respectueuse du grain d’origine (bien rugueux comme il faut), avec un beau piqué et des couleurs qui en envoient plein les mirettes – la restauration a fait place nette des poussières et autres points blancs, et le résultat s’avère même au-delà de nos espérances les plus folles. Découvrir un film tel que Les Fauves au format Blu-ray 4K Ultra HD est complètement inespéré, et le résultat à l’écran est absolument bluffant, rendant ses lettres de noblesse à la fois à la mise en scène de Jean-Louis Daniel et à la photo de Richard Andry. Côté son, le film nous est proposée en DTS-HD Master Audio 2.0 (mono d’origine), parfaitement clair, net et sans bavures. Du grand Art.
Dans la section suppléments, on trouvera tout d’abord un passionnant entretien avec Jean-Louis Daniel (1h09). Le cinéaste évoquera dans un premier temps ses débuts dans le cinéma, puis abordera la production des Fauves, en commençant par le casting : après avoir envisagé Christophe Lambert et Thierry Lhermitte, il se rabattra sur Daniel Auteuil, qui n’était considéré que comme un petit rigolo, et à qui il voulait conférer une stature à la Clint Eastwood. Il évoquera également la présence au casting de plusieurs transfuges du café-théâtre, de sa compagne de l’époque Véronique Delbourg et bien entendu Philippe Léotard, qui était dans un « trip d’auto-destruction » à l’époque du tournage, et qui malgré son âge considérait Jean-Louis Daniel comme une espèce de figure paternelle. Étant donné la vie dissolue de l’acteur, une stagiaire avait été spécialement embauchée pour le filer et garder un œil sur lui en dehors des heures de tournage. On apprendra également qu’à l’origine, Les Fauves était produit par un financier américain ayant visiblement trempé dans des affaires illégales, et qui fut retrouvé mort deux semaines après le début des prises de vue, ce qui stoppa un temps le tournage. Le réalisateur commença donc à faire le tour des producteurs de la place de Paris, mais les contrats initialement signés pour la mise en chantier du film étaient tellement louches que tous les producteurs se refusèrent à se lancer dans l’aventure, jusqu’à ce qu’un producteur lui permette finalement de reprendre le boulot, mais avec un budget considérablement réduit. Il reviendra aussi sur le tournage de nuit, ainsi que sur les scènes tournées sur le chantier du palais de Bercy, alors en construction. La période de montage fut par la suite un peu précipitée : la Gaumont désirait en effet rapidement remplacer Les Morfalous, qui s’avérait un échec retentissant, par un autre film. Malgré un parc de salles inespéré, le film de Jean-Louis Daniel n’attirerait finalement qu’un peu moins de 400.000 français dans les salles obscures.
On continuera ensuite avec un entretien avec Gabrielle Lazure (38 minutes), qui se remémorera sa participation au film, même si cette dernière était assez courte. Elle se souviendra de sa rencontre avec Philippe Léotard, de l’assassinat du producteur, évoquera la façon dont les acteurs et techniciens avaient été payés « sous la table », et reviendra sur son personnage et sur le côté un peu féministe du film. Elle avouera avoir tourné dans plusieurs polars à l’époque, même si ce genre de films n’est à priori pas sa tasse de thé. Elle évoquera ensuite différents souvenirs de sa carrière et de sa vie personnelle, pas forcément liés aux Fauves – elle citera donc des films tels que Noyade interdite, La Crime ou La Belle captive. Elle se souviendra notamment de sa rencontre avec Alain Robbe-Grillet, qu’elle décrira comme « un peu particulier » (bel euphémisme), et d’avoir passé un casting pour le film Sheena, reine de la Jungle. Elle terminera en parlant de l’évolution de ses rôles au cinéma et sur sa carrière en général. On terminera enfin avec un entretien d’archive avec Daniel Auteuil (3 minutes), tourné pour la TV et au cœur duquel il revendiquait notamment le droit à faire ce qui lui plaisait, ainsi qu’avec la traditionnelle bande-annonce.
Pour vous procurer cette édition limitée à 1000 exemplaires, rendez-vous sur le site du Chat qui fume.