Balada Triste
Espagne, France, Belgique : 2010
Titre original : Balada triste de trompeta
Réalisation : Álex de la Iglesia
Scénario : Álex de la Iglesia
Acteurs : Carlos Areces, Antonio de la Torre, Carolina Bang
Éditeur : Extralucid Films
Durée : 1h42
Genre : Comédie, Horreur
Date de sortie cinéma : 22 juin 2011
Date de sortie DVD/BR : 22 novembre 2021
Madrid. En pleine Guerre civile espagnole, un clown est recruté de force par les troupes républicaines. Cruel, il massacre des combattants nationalistes à coup de machette avant d’être arrêté puis détenu. Il ne laissera qu’une consigne à son fils, un gage ultime de bonheur : la vengeance. Des années plus tard, son fils, Javier, devenu clown à l’instar de son père est engagé dans un cirque dominé par Sergio. Nous sommes à la fin de l’ère franquiste, en 1973. Les deux clowns, l’un triste, l’autre Auguste, vont se livrer une bataille mortelle pour conquérir le cœur d’une belle acrobate, Natalia…
Le film
[5/5]
Avec Balada triste, tragicomédie à la fois fantaisiste et profondément ancrée dans l’Histoire de son pays, le chien fou Álex de la Iglesia se prend au jeu du mélange des genres avec un plaisir et une délectation foutraque clairement communicatifs. De fait, parce qu’il pioche dans diverses influences et part dans toutes les directions, le film n’entre dans aucune case prédéfinie, et défie toute classification. S’agit-il d’un film d’horreur ? D’une histoire d’amour ? D’une allégorie politique ? Balada Triste est tout cela à la fois, et va sans doute encore un peu au-delà. Il s’agit d’une expérience cinématographique tellement gonflée de passion et remplie d’images marquantes et iconiques qu’elle frôle constamment le trop-plein. Cependant, le talent d’Álex de la Iglesia permet au film de trouver un équilibre.
Le cinéma d’Álex de la Iglesia pourtant est ici plus que jamais calqué sur le modèle de l’effet boule de neige : le niveau d’intensité – et de folie totale – de Balada Triste augmente sans cesse au fur et à mesure que le film avance. Ainsi, alors que l’on pensait que le récit avait atteint son apogée quand arrive l’affrontement entre les deux clowns déglingués nous ayant été introduits dans les premières séquences, le niveau de bizarrerie augmente encore de deux, trois crans à la fois durant toutes les scènes suivantes. Fuite dans les bois en mode survival, capture du personnage principal par l’ex-officier ayant tué son père 25 ans plus tôt, apparition haute en couleurs du général Franco… Et vous n’avez encore rien vu, car les deux clowns devenus des monstres sanguinaires à l’apparence flippante (réminiscence de la punchline « Un clown avec une machette… Ça va leur foutre les jetons ! » du début du film prenant place dans les années 30) n’en ont pas terminé, et leur guerre sanglante ne fait finalement que (re)commencer…
Le niveau de folie pure et dure de Balada Triste atteint des sommets, et force est de constater que le film s’avère assez hypnotique dans son genre. Le paroxysme de la folie furieuse est naturellement atteint lors de la bataille finale entre les deux clowns, qui se déroule au sommet du mausolée de Franco (Abadía de la Santa Cruz del Valle de Los Caídos) et de son énorme croix de pierre de 150 mètres de haut. Le symbolisme de la séquence est évident, et évoque la situation de l’Espagne toute entière. Le clown blanc, Javier, est à sa manière une représentation des républicains et opposants à Franco – après l’attentat de l’ETA ayant coûté la vie à Carrero Blanco, il repère les poseurs de bombes et leur demande à quel cirque ils appartiennent. Face à lui, l’auguste, Sergio, adepte de la violence et de l’intimidation, représente les fascistes. Et entre les deux tendances – ici représentées par des clowns aussi profondément dérangés l’un que l’autre – il y a donc Natalia, qui, à l’image du peuple espagnol, ne parvient à se décider entre l’un et l’autre.
Les hésitations de Natalia – et par extension de l’Espagne de la fin du régime de Franco – est d’ailleurs parfaitement résumée par un des dialogues du film, un échange prenant place entre les personnages incarnés à l’écran par les actrices Carolina Bang et Gracia Olayo : « Je veux qu’on me fasse rire, qu’on me protège… » « Et aussi qu’on te frappe au lit, qu’on t’humilie à quatre pattes et qu’on te dise des mots cochons. C’est l’un ou l’autre : le bon ou la brute. Pas les deux »
Malgré un rythme certes un poil mal géré dans sa dernière partie, le cinéaste espagnol parvient à faire éclore du maelström de bruit et de fureur hystérique que représente Balada Triste une émotion, une poésie et une beauté authentiques. Et au final, la force et la sauvagerie du film d’Álex de la Iglesia sont tellement immersives que le long-métrage parvient à toucher son public bien au-delà de sa parabole politique. On en veut pour preuve la critique écrite sur notre site par Claudine et Anaïs au moment de la sortie du film dans les salles, en 2011 :
« Dès le début de Balada Triste le ton est donné : ça va saigner. On se prend une grande claque avec un générique violent et puissant à vous rendre épileptique : par succession de flashs mêlant images d’archives et séquences du film et emmené par le son des castagnettes quasi militaires, le spectateur se retrouve scotché à son siège avec l’impression que si le film s’arrêtait après le générique, le spectacle aurait déjà justifié le prix de la place. (…)
Balada Triste cache un réel message et traite d’un sujet grave et encore très présent dans les mémoires du peuple espagnol. Il semblerait en effet que les cinéastes espagnoles aient du mal à se confronter directement au sujet du franquisme sans ajouter une touche onirique et fictive à leurs films comme l’a précédemment montré Guillermo del Toro avec Le Labyrinthe de Pan. (…)
Álex de la Iglesia utilise cette « belle » violence comme métaphore de l’absurdité de la période franquiste. En effet, il est peu probable de croiser ce genre de clowns assassins dans les cirques (bien que depuis Ça les cas de clownophobie aigüe aient très nettement augmenté), mais comme le dit lui-même le réalisateur, « quand on a 8 ans dans une Espagne meurtrière, la fiction rejoint la réalité ». Ce qui explique les images d’archives incrustées régulièrement au récit, et les évènements historiques (attentats, etc.) qui se retrouvent au milieu des scènes burlesques. (…)
Álex de la Iglesia utilise le maquillage et les costumes, éléments liés au cirque, pour exprimer l’idée selon laquelle personne n’est ni blanc ni noir, mais a au moins deux visages… Voire plus, si l’on observe le personnage de Natalia (Carolina Bang), changeant d’apparence (perruques, maquillage, costumes) à chaque scène ou presque, la rendant méconnaissable. Personnage aussi double dans son comportement, oscillant sans cesse entre le sentiment de protection que lui procure Javier (Carlos Areces) et la jouissance malsaine et violente que lui apporte Sergio (Antonio de la Torre). Les clowns quant à eux vont beaucoup plus loin dans la transformation physique, se retrouvant défigurés avec des traces indélébiles laissant en réalité apparaître leur vrai visage.
Javier et Sergio deviennent donc des bêtes de foire, de vrais animaux. Álex de la Iglesia s’offre d’ailleurs un pur délire néandertalien pour exprimer le retour à l’état primitif de Javier. Les deux hommes se battent comme des animaux pour la belle Natalia, qui elle aussi montre son côté bestial à travers son masochisme. Pour elle, l’amour ne peut être fait que de violence physique et verbale. Après tout, les protagonistes ne seraient-ils pas eux même les animaux du cirque ? Toute cette bestialité atteint son paroxysme lors de la scène finale, que l’on peut comparer à King Kong, la belle gravissant une immense croix, les deux bêtes à sa poursuite dans l’espoir de la récupérer mais pourchassés elles-mêmes par l’armée. Mais un seul peut prétendre à la victoire.
Tout en étant bestiale, cette scène fait partie de l’un de ces moments de grâce qui ponctuent Balada Triste. Entre deux scènes de pure violence, les personnages retrouvent un peu de leur humanité lors de séquences douces qui amplifient tout l’humour noir et le sarcasme présents du début à la fin du film. La scène durant laquelle le clown triste regarde au cinéma un autre clown triste issue du film Sin un adios est tout simplement LA scène du film. Mise en abîme, moment de prise de conscience pour Javier, à la fois émouvante et violente, c’est le moment clé du long-métrage. Il semblerait qu’Álex de la Iglesia s’amuse à briser tous les codes et rythmes de réalisation en faisant éclater la violence là où on ne l’attend pas et en rendant ses personnages meurtriers attendrissants. »
Découvrez l’intégralité de la critique de Balada Triste par Claudine et Anaïs en cliquant sur ce lien.
Le Blu-ray
[4,5/5]
On vous avait parlé, à l’automne 2020, de notre enthousiasme pour les sorties d’un nouvel éditeur vidéo en France, Extralucid Films. Un peu plus d’un an plus tard, notre intérêt pour les sorties estampillées Extralucid ne s’est pas tari : l’éditeur joue plus que jamais la carte de l’éclectisme en alternant les sorties articulées autour de deux collections phares : d’un côté, « Extra Culte », collection dédiée aux pépites du cinéma de genre, et de l’autre « Extra Monde », qui nous propose de découvrir des films indépendants du monde entier. Balada Triste s’inscrit donc dans la collection « Extra Culte ». Disponible depuis la fin du mois de novembre, le film de 2010 est donc ressorti accompagné de deux autres films d’Álex de la Iglesia absolument indispensables : Le Jour de la bête (1995) et Perdita Durango (1997).
Déjà disponible en Blu-ray depuis 2011 – dans une édition estampillée M6 Vidéo – Balada Triste s’offre donc une deuxième édition sous les couleurs d’Extralucid Films. Le packaging de cette nouvelle édition est de toute beauté et d’une rare élégance : un sublime digipack deux volets surmonté d’un fourreau aux couleurs du film. Côté master, le film en impose toujours autant visuellement, avec un piqué d’une précision absolue, des noirs abyssaux, des contrastes tranchés et une définition au taquet : l’éditeur a fait un superbe boulot. Tout juste pourra-t-on regretter l’utilisation d’un master 1080i (25 images / secondes), qui provoque une légère accélération du film et fait baisser sa durée d’1h46 en salles à 1h42 en vidéo. Les spectateurs dont les rétines sont sensibles aux saccades remarqueront le désentrelacement dès les premières minutes du film. Le Blu-ray édité par M6 en 2011 en revanche était bel et bien en 1080p : dommage ! Au niveau des pistes sonores, Balada Triste est proposé au choix en VF ou en VO espagnole. Le film étant assez récent, les deux mixages sont encodés en DTS-HD Master Audio 5.1 et le rendu acoustique est très immersif et dynamique. Bien sûr, on privilégiera la version originale qui respecte mieux le tempo savamment calculé des répliques. La version française est un peu plus faible d’un strict point de vue artistique, mais tout aussi percutante du point de vue de la spatialisation.
Au rayon des suppléments, Extralucid Films abandonne totalement les quelques bonus disponibles sur la galette de 2011, et fait le choix payant de ne nous proposer ici que des suppléments totalement inédits : préparez-vous donc à passer deux heures en compagnie d’Álex de la Iglesia, pour un ensemble à la fois instructif, amusant et tout à fait captivant. On commencera donc en douceur avec un entretien exclusif avec Álex de la Iglesia (18 minutes), enregistré par les équipes de Splendor Films spécialement pour cette édition Extralucid. Le cinéaste y reviendra sur le fait qu’il s’agissait de son expérience d’écriture en solo, puisque Balada Triste était le premier film qu’il n’ait pas co-écrit avec son compère de toujours Jorge Guerricaechevarría. Il se remémorera une écriture rapide, tournant essentiellement de l’opposition de deux personnages de clowns, l’un étant présenté comme sadique, et l’autre comme masochiste. Le cinéaste reviendra ensuite sur le tournage à proprement parler, au milieu des animaux (dont un lion qui n’arrêtait pas de rugir pendant les prises), sur ses thématiques en forme de « dégueulis d’idées mal digérées », sur le générique de début du film ou encore sur les personnages féminins au cœur de ses films. Passionnant ! On continuera ensuite avec une rencontre avec Álex de la Iglesia et Jorge Guerricaechevarría, enregistrée au Festival Cinespaña à l’automne 2018. Extralucid Films a pris le pari de nous proposer l’intégralité de la rencontre entre les deux espagnols et le public : la session de « Questions / Réponses » dure rien de moins qu’1h43, et s’avère donc plus longue que le film lui-même ! Peut-être l’ensemble aurait-il nécessité un petit montage en sous-titrant les propos tenus par Álex de la Iglesia et Jorge Guerricaechevarría, mais le fait est que le tout est bien mené, et qu’un montage nous aurait fait perdre quelques plaisanteries échangées entre les différents intervenants. Les deux lascars reviendront sans langue de bois sur tous les films de la carrière du cinéaste : l’ensemble est globalement assez rythmé malgré les répétitions de l’interprète, régulièrement drôle, et les anecdotes partagées par Álex de la Iglesia et Jorge Guerricaechevarría sont assez formidables. Un excellent moment !
Plus d’informations sur le site officiel d’Extralucid Films.