Critique : Compagnons

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Compagnons

France : 2021
Titre original : –
Réalisation : François Favrat
Scénario : Johanne Bernard, François Favrat
Interprètes : Najaa Bensaid, Agnès Jaoui, Pio Marmaï
Distribution : Wild Bunch Distribution
Durée : 1h50
Genre : Comédie dramatique
Date de sortie : 23 février 2022

3.5/5

François Favrat fait partie de ces réalisateurs français dont on parle peu, qui doit certainement « ramer » pour arriver à concrétiser les projets qui lui tiennent à cœur mais qui, quand il y arrive, nous fait le cadeau de films souvent beaucoup plus intéressants que ceux de réalisateurs dont on parle beaucoup (trop ?).

Synopsis : À 19 ans, passionnée de street art, Naëlle est contrainte de suivre avec d’autres jeunes un chantier de réinsertion, sa dernière chance pour éviter d’être séparée de ses proches. Touchée par la jeune fille, Hélène, la responsable du chantier, lui présente un jour la Maison des Compagnons de Nantes, un monde de traditions qui prône l’excellence artisanale et la transmission entre générations. Aux côtés de Paul, Compagnon vitrailliste qui accepte de la prendre en formation dans son atelier, Naëlle découvre un univers aux codes bien différents du sien… qui, malgré les difficultés, pourrait donner un nouveau sens à sa vie.

Une proposition à accepter ?

Nantes : Le quartier de Bellevue, un quartier d’habitat social de près de 20 000 habitants construit durant les années 60, un quartier « difficile », classé en zone de sécurité prioritaire depuis 2012. C’est là que vit Naëlle, 19 ans, une jeune fille à la fois rebelle et peu sûre d’elle-même, par ailleurs tagueuse de talent. Alors qu’on lui a imposé de travailler dans un chantier de réinsertion afin de lui permettre d’échapper, si tout va bien, à une sanction plus dure, elle fait la connaissance d’Hélène, la responsable de ce chantier, par ailleurs « Mère » de la maison des Compagnons de Nantes. Entre Hélène et Naëlle, le courant passe plutôt bien, et Hélène, malgré les frasques de Naëlle, voit pour elle la possibilité de se construire un avenir plus stable et plus enrichissant : pourquoi ne pas mettre à profit ses qualités artistiques en se formant auprès de Paul, le maitre vitrailliste responsable de l’atelier vitraux de cette maison des Compagnons de Nantes ? Une proposition que Naëlle va hésiter à accepter, la raison principale de cette hésitation venant de son manque de confiance en elle. Et puis, il y a aussi toutes les exigences de sérieux, d’assiduité, de ponctualité qui règnent dans le monde des compagnons et dont elle est loin d’être sûre de pouvoir les respecter. Et puis, il y a le fait pour Naëlle d’être une femme et, même si les Compagnons du Devoir ont accepté la présence de femmes à partir de 2004, la parité dans cet univers est encore très loin d’être observée : actuellement, il n’y a que 14% de filles dans les maisons des Compagnons de l’hexagone. D’ailleurs, les premiers contacts avec Paul, un homme taiseux et bougon, sont loin d’être chaleureux !

Le compagnonnage

Le monde du compagnonnage a rarement été un élément important d’un film de cinéma. Il faut dire qu’en France, on ne cherche que très rarement à mettre le travail manuel en valeur ! Et pourtant, comme il est dit dans le film : « Les mains, aussi, sont intelligentes ». Compagnons a le grand mérite de nous montrer le fonctionnement et les valeurs du compagnonnage de façon presque documentaire tout en racontant l’histoire fictionnelle d’une jeune fille d’un quartier difficile, artistiquement douée et en opposition contre les dealers de son quartier au point de devoir en payer certaines conséquences. Compagnons met donc en parallèle deux mondes qui, finalement, se ressemblent par certains côtés : le monde des Compagnons, avec ses traditions qui peuvent paraître désuètes  dans notre monde individualiste et ultra-connecté, et chez qui l’entraide et la générosité sont des valeurs cardinales ; le monde des jeunes des cités, avec ses fruits pourris mais aussi un très grand nombre d’entre eux qui ne trempent dans aucun trafic illicite, qui essayent juste de s’en sortir et chez qui règne aussi un très grand esprit d’entraide et de générosité. Dans la réception qu’on a de ce beau film qui, à sa façon, entre dans la catégorie des « Feel good movies » sans être pour autant un film ne mettant en avant que des bons sentiments pleins de mièvrerie, on regrette seulement le moment faible qu’on observe durant une dizaine de minutes au mitan du film, un certain manque de rythme, l’impression d’un manque de progression dans l’intrigue.

Des professionnel.le.s, des non professionnel.le.s

Dans un tel film, dans lequel il y a une part d’immersion importante dans un milieu bien particulier, il parait tout à fait normal de trouver dans la distribution, à côté de comédiens et de comédiennes professionnel.le.s, de véritables représentant.e.s de ce milieu, interprétant plus ou moins leur propre rôle : certains gestes, certaines postures ne seront jamais aussi bien exécuté.e.s que par celles et ceux dont c’est le quotidien. C’est donc le cas dans Compagnons, François Favrat ayant profité de l’excellent accueil que l’équipe du film a reçu dans la maison des Compagnons de Nantes pour intégrer de véritables compagnons dans la distribution. C’est ainsi que le rôle du Prévôt est interprété par le Prévôt de la maison de Nantes. De même les rôles des jeunes du quartier Bellevue ont été distribués à des jeunes du quartier Bellevue. En ce qui concerne les rôles tenus par des artistes professionnels, 3 sont particulièrement importants : celui d’Hélène, dans lequel Agnès Jaoui campe parfaitement cette femme très impliquée dans sa mission sociale mais qui souffre de ce que cette forte implication a entrainé : la « perte » de sa fille qui a coupé les ponts avec elle ; celui de Paul, le maitre vitrailliste, qui voit Pio Marmaï se comporter de façon très naturelle en homme à l’apparence bougonne et rugueuse tout en sachant faire preuve de générosité et même de tendresse ; et puis, bien sûr, il y a le rôle de Naëlle, interprété par celle qui est la grande révélation du film, Najaa (Bensaid) : une jeune actrice qui avait déjà tenu des rôles secondaires dans une poignée de films et qui, dans Compagnons, gagne haut la main ses galons de grande comédienne.

Conclusion

Les films français mettant en valeur le travail manuel sont tellement rares qu’on ne peut que se féliciter de cette proposition de François Favrat, d’autant plus que le film s’attache également à montrer, de façon fort discrète, que tous tous les jeunes des cités ne sont pas des trafiquants de drogue ou des djihadistes en puissance et que, comme chez les Compagnons, on y pratique l’entraide et la générosité. Cerise sur le gâteau : Compagnons nous fait découvrir Najaa, une jeune comédienne de très grande qualité et dont tout laisse à penser qu’elle est à l’aube d’une très belle carrière.

1 COMMENTAIRE

  1. Bonjour, je viens de voir le film Compagnons au cinéma. Et j’avoue que c’est une belle réalisation. Najaa, y est sincère et réaliste, c’est une vraie découverte.
    Le réalisateur arrive à faire passer les émotions, et valorise les métiers manuels.
    C’est bien, car c’est rare dans notre pays.
    Quand aux passages liés aux Compagnons, je les trouve très fidèles à ce que sont les Compagnons.
    Néanmoins quelques passages, sont désuets, et appartiennent au passé.
    Pour information, je suis moi-même Compagnon du Devoir.

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