Dr Jekyll et Mr Hyde
États-Unis, France, Royaume-Uni : 1989
Titre original : Edge of Sanity
Réalisation : Gérard Kikoïne
Scénario : J.P. Félix, Ron Raley
Acteurs : Anthony Perkins, Glynis Barber, Sarah Maur Thorp
Éditeur : Sidonis Calysta
Durée : 1h25
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 19 juillet 1989
Date de sortie DVD/BR : 17 février 2022
Londres, 1888. En concentrant ses expériences sur les effets de la cocaïne, le docteur Jekyll élabore une drogue plus puissante encore que la morphine. S’il la teste prudemment sur un singe et des patients, il en respire accidentellement les émanations. Les conséquences ne se font pas attendre : il se transforme en un autre homme, un monstre assoiffé de violence et de luxure qui, dans le quartier glauque de Whitechapel, se fait appeler Jack Hyde. Jack comme Jack l’Éventreur…
Le film
[3,5/5]
Dr. Jekyll et Mr Hyde, également connu chez nous sous le titre Edge of Sanity, est le fruit de la collaboration entre deux personnalités du cinéma très différentes, que rien ne prédestinait à priori à voir se rencontrer.
Côté production, nous avons donc Harry Alan Towers, dont la carrière fut surtout marquée, dans les années 60, par Le Cirque de la peur et la série des Fu Manchu avec Christopher Lee. A cette période, la plupart des films produits par Harry Alan Towers étaient des adaptations de romans classique ou des films d’aventures inspirées de Sax Rohmer et d’Edgar Wallace. A la fin des années 60, il se lierait d’amitié avec Jess Franco, pour lequel il produirait huit films ; au tournant des années 1980, il se lancerait dans l’érotisme soft (Black Venus, Fanny Hill, Lady Libertine…), puis retournerait vers le cinéma populaire en collaborant notamment avec la Cannon.
Côté réalisation, on trouvera le français Gérard Kikoïne. Si son nom ne vous dit peut-être rien, c’est parce que le cinéaste a fait ses armes dans le cinéma pornographique dans la deuxième moitié des années 70 : il a réalisé un peu plus de vingt-cinq films pour adultes en l’espace de six ans. Parmi ceux-ci, on peut citer des films tels que Dans la chaleur de Saint-Tropez, Bourgeoise et pute, Retourne-moi c’est meilleur, Les délices du tossing ou encore Bon chic bon genre mais salopes. On considère aujourd’hui que ses films de cul ont totalisé approximativement quatre millions d’entrées dans les salles Alpha France entre 1977 et 1983.
Dr. Jekyll et Mr Hyde marque donc la rencontre de ces deux personnalités du cinéma, et nous propose un curieux objet de cinéma, mêlant le roman de Robert Louis Stevenson et la figure mythique de Jack l’éventreur autour d’une intrigue se vautrant volontiers avec délice dans le sordide et le fond de caniveau. Le ton est donné dès la scène d’ouverture du film, qui nous donne à voir le petit Henry Jekyll, tranquillement installé dans une grange où il espionne son père en train commettre un adultère avec une jeune femme. Son père le surprend et fouette violemment Henry sur les fesses : on comprendra dans la suite du récit que ce trauma originel a fortement marqué le gamin, et l’a conduit à développer des désirs sadomasochistes refoulés. Plus tard, alors qu’il est devenu un médecin respecté, il ingérera par accident un mélange d’éther et de cocaïne, qui libérera ses fantasmes et le transformera en Jack « l’éventreur » Hyde…
L’originalité de cette version craspec de Dr. Jekyll et Mr Hyde est donc manifestement de confronter Eros et Thanatos. Au centre du film de Gérard Kikoïne, il y a beaucoup de sexe et de sang, de personnages navigant en eaux troubles entre le plaisir et la douleur : la psychologie et l’imagerie sexuelle sont par ailleurs ici agrémentées d’une légère touche de surnaturel, qui se manifeste à travers la puissante direction artistique de l’ensemble ainsi que, bien sûr, à travers la notion de « métamorphose » du personnage central, qui passe de l’homme respectable et coincé au sadique à la recherche de tous les plaisirs interdits. A ce titre, l’interprétation d’Anthony Perkins pourra, au choix, être considérée comme géniale ou comme absolument grotesque tant ce dernier en fait des caisses dans son double rôle. Idem pour les effets de maquillage utilisés pour le transformer d’un personnage à un autre : d’aucuns les trouveront efficaces et inquiétants, tandis que d’autres se gausseront devant l’énormité et le côté outrancier de l’ensemble.
En revanche, tout le monde devrait tomber d’accord concernant les décors, et surtout la photo du film, signée Tony Spratling : visuellement, le film a vraiment de la gueule, et s’avère une immense réussite. Les cadres sont soignés, l’utilisation des ombres et lumières est remarquable, ainsi que celle des couleurs, souvent impressionnante. L’aspect visuel extrêmement baroque de Dr. Jekyll et Mr Hyde renforce énormément son atmosphère poisseuse. Les décors et les costumes, qui jouent par moments délibérément la carte d’une modernité anachronique, en rajoutent par ailleurs encore un peu davantage dans l’ambiance surréaliste développée par le film. L’esthétique développée par Gérard Kikoïne est certes très clinquante et inspirée du clip, mais même trente ans plus tard, l’effet sur nos rétines est toujours aussi saisissant. A découvrir !
Le Blu-ray
[4/5]
Le Blu-ray de Dr. Jekyll et Mr Hyde édité par Sidonis Calysta – le deuxième après Fou à tuer à intégrer officiellement la « Collection Cauchemar » de l’éditeur – nous propose une expérience Home Cinema on ne peut plus recommandable. L’upgrade HD est assez saisissant, avec une image très fine, précise, aux couleurs très contrastées, même dans ses passages les plus sombres, et une granulation argentique d’origine respectée à la lettre. La définition ne pose pas le moindre problème : on est probablement en présence de la meilleure copie du film disponible à ce jour sur le marché, et le rendu s’avère beaucoup plus convaincant que sur le DVD jusqu’ici disponible en France chez MGM / United Artists. Côté son, l’éditeur nous propose bien sûr de découvrir le film en version originale, mais a également été repêcher la version française d’époque ; toutes deux sont proposées dans des mixages DTS-HD Master Audio 2.0. Si elle plaira forcément aux amateurs de VF surannées qui ajoutent parfois un charme supplémentaire aux films qu’elles accompagnent, on préférera tout de même la version anglaise, artistiquement plus convaincante.
Dans la section suppléments, Sidonis reste fidèle à sa politique éditoriale, aussi solide qu’efficace : nous aurons donc tout d’abord droit à la bande-annonce du film, avant d’embrayer avec la traditionnelle présentation du film par Olivier Père (26 minutes). Durant la première moitié de son intervention, il reviendra sur la carrière de Gérard Kikoïne (le travail sur le son sur les films de Jess Franco, la carrière dans le X, puis la TV et l’érotisme), puis sur celle du producteur Harry Alan Towers, et de ses petits arrangements avec la légalité (réseau de call-girls, espionnage…). La deuxième partie sera consacrée au film en lui-même, et à ses particularités formelles. Mais ce n’est pas tout, puisque Sidonis Calysta nous propose également un passionnant entretien avec Gérard Kikoïne (24 minutes), au cœur duquel « Kiko » évoquera ses souvenirs du tournage. Il se remémorera donc sa rencontre avec Anthony Perkins, sa vision de l’histoire et son refus des effets spéciaux à base de prothèses, mais également la thématique du « double », que l’on retrouve dans les différences de focales, de ton et de style vestimentaire entre les séquences mettant en scène Jekyll et Hyde. Il évoquera également l’influence qu’a eu l’expressionnisme allemand sur son film, ainsi que le fait de ne pas avoir réellement à diriger Anthony Perkins, qui « savait très bien ce qu’il avait à faire », et qu’il considère – au même titre qu’Oliver Reed – comme un acteur virtuose.