Terreur sur la ville
États-Unis : 1976
Titre original : The Town That Dreaded Sundown
Réalisation : Richard B. Pierce
Scénario : Earl E. Smith
Acteurs : Ben Johnson, Andrew Prine, Dawn Wells
Éditeur : Rimini Éditions
Durée : 1h30
Genre : Policier, Horreur
Date de sortie DVD/BR : 16 février 2022
Texakarna, Texas, à la fin de la Seconde Guerre Mondiale. Les derniers soldats sont rentrés, les années de rationnement et de pénurie s’éloignent. La ville s’apprête à retrouver calme et prospérité mais un mystérieux tueur va s’en prendre aux habitants de la ville…
Le film
[3,5/5]
Pape de la série B dans les années 60/70, le producteur Samuel Z. Arkoff n’avait pu passer à côté du succès de The Legend of Boggy Creek, petite production horrifique signée Charles B. Pierce ayant cassé la baraque dans les salles obscures en 1972. Bien décidé à ne pas laisser passer une éventuelle nouvelle poule aux œufs d’or, le producteur s’associa donc à Charles B. Pierce pour orchestrer son retour au cinéma d’horreur avec Terreur sur la ville en 1976, un film basé sur l’histoire vraie du « Tueur fantôme », ou « Phantom Killer », un tueur en série resté inconnu, auteur au printemps 1946 de plusieurs meurtres et d’autres violences dans la région de Texarkana aux États-Unis.
Samuel Z. Arkoff voyait probablement dans ce sujet une continuité avec certains films qu’il avait produit à partir du début des années 70, tels que Bloody Mama (Roger Corman, 1970), Bertha Boxcar (Martin Scorsese, 1972) ou encore Dillinger (John Milius, 1973). Ces films, probablement eux-mêmes tous en partie dérivés des Tueurs de la lune de miel (Leonard Kastle, 1970), avaient en commun la particularité de s’attarder sur l’explosion de la violence au cœur des petites villes de l’Amérique rurale, ainsi que de mettre en scène le passé récent des États-Unis (les années 30 et 40). Ces films étaient souvent conçus pour représenter une espèce de miroir déformant des années 70.
Charles B. Pierce quant à lui considérait probablement Terreur sur la ville comme une manière d’exorciser ses frayeurs de jeunesse : l’affaire avait en effet fait grand bruit dans les années 40, et le fait de montrer la violence de façon aussi brute était sans doute une façon de s’éloigner des motifs classiques du genre en plaçant délibérément l’horreur dans le quotidien. Les scènes mettant en scène le fameux « Phantom Killer » sont d’ailleurs indéniablement les plus réussies du film de Charles B. Pierce : si bien sûr elles pourront paraitre bien sages aux spectateurs contemporains, la violence de certaines séquences pourra encore occasionnellement étonner par son côté graphique – on pense notamment à cette scène durant laquelle une des victimes se prend une balle dans la joue…
Par certains aspects, Terreur sur la ville s’inscrit d’ailleurs comme un précurseur du slasher, même si les éléments typiques du genre n’y sont pas formalisés d’une façon aussi nette que sur un film tel que Black Christmas (Bob Clark), tourné deux ans auparavant. Pour autant, et dans le sens où il débarque sur les écrans deux ans avant Halloween (John Carpenter), Terreur sur la ville pourrait presque être considéré comme une espèce de « chaînon manquant » du genre slasher : on y découvre un psychopathe masqué, des victimes adolescentes surprises en train de fricoter dans leur voiture, des policiers dépassés par les événements, l’utilisation occasionnelle de la vue subjective… La scène du champ de maïs tend par exemple à nous faire penser que quelques-uns des principaux ingrédients du genre étaient déjà bien présents.
La filiation entre Terreur sur la ville et les films fondateurs du slasher est d’ailleurs d’autant plus évidente que le « premier » masque de Jason dans la saga Vendredi 13 – que l’on ne découvrira que dans Vendredi 13 – Chapitre 2 : Le tueur du vendredi (Steve Miner, 1981) – sera très fortement inspiré du film de Charles B. Pierce…
Avec sa voix off plaçant le spectateur dans le contexte de l’immédiat après-guerre, on sent que Charles B. Pierce est encore très influencé par le documentaire, qui était également une des particularités de son gros succès The Legend of Boggy Creek. Dans Terreur sur la ville, cet attachement à un certain naturalisme se retrouvera également dans la reconstitution solide de la ville de Texarkana telle qu’elle l’était en 1946. L’atmosphère bucolique de cette ville humide du Sud profond est assez bien rendue à l’écran, même si le jeu des différents acteurs du film ainsi que les dialogues créent une distance avec le réalisme sec développé par les décors et la rigueur du contexte. Ce décalage crée une impression d’irréalité, voire d’onirisme, comme si les personnages et leurs préoccupations étaient vus par le prisme de souvenirs ouatés, volontairement nostalgiques. Dans le même état d’esprit, on notera également qu’en dépit de l’époque de production, Terreur sur la ville est un film très sage, sans la moindre nudité. Ainsi, les jeunes adultes se cachant à l’abri des regards dans leurs voitures avant d’être surpris par le tueur ne feront finalement que se poser la tête sur l’épaule en toute innocence, comme si l’apparition du « Phantom Killer » signifiait la fin de l’innocence pour les États-Unis.
Pour le reste, Terreur sur la ville souffle régulièrement le chaud et le froid, alternant les séquences macabres et bizarres (le tueur qui tue une de ses victimes en attachant un couteau sur un trombone) et d’autres que l’on pourra aisément considérer comme complètement grotesques. A ce titre, le réalisateur Charles B. Pierce s’octroie le rôle de Benson, un flic à côté de la plaque qui nous offrira une poignée de séquences humoristiques en mode nanar bas de plafond. Une séquence pas piquée des hannetons nous donne par exemple à voir une poignée de flics déguisés en femmes afin de tromper le tueur : le résultat à l’écran est très drôle, et permet finalement au film de se forger une identité assez unique.
La photographie du film de James W. Roberson est occasionnellement très réussie, même si les séquences tournées en « Nuit américaine » sont parfois vraiment ratées, à cause de raccords peu convaincants (pluie, tonalité de l’image…). Certains ralentis très travaillés et sophistiqués détonent également avec le reste du film, et semblent tirés de rêves éveillés. Dans la peau du « meilleur enquêteur du pays », le vétéran Ben Johnson fait pile ce qu’on attend de lui, mais à l’image des autres acteurs, son jeu très théâtral accentue l’impression d’irréalité de l’ensemble.
Le Combo Blu-ray / DVD
[4/5]
Grand défenseur du cinéma de genre dans l’hexagone, Rimini Éditions continue ce mois-ci son exploration des petits classiques inédits de l’horreur avec Terreur sur la ville. Comme les autres de la collection, le film de Charles B. Pierce débarque sous la forme d’un beau Combo Blu-ray + DVD + Livret, présenté dans un digibook d’aspect luxueux surmonté d’un fourreau du plus bel effet. Le coffret contient également un livret de 20 pages signé Marc Toullec. L’éditeur ne nous ayant pas fourni d’exemplaire finalisé de la « bête », on ne pourra pas s’exprimer sur la qualité et les finitions du coffret en lui-même, mais on fait aveuglément confiance à Rimini.
Côté Blu-ray, Terreur sur la ville bénéficie d’un upgrade Haute-Définition que l’on qualifiera de globalement satisfaisant. Les premières minutes font un peu peur (le générique de début est abimé, et parsemé de points blancs, rayures et autres taches dues au temps), mais le master affiche une certaine stabilité. Le grain d’origine, très rugueux dans son genre, a été préservé, la définition et le piqué sont très convenables. Les plans comportant des mentions écrites sont naturellement plus doux, mais dans l’ensemble, c’est du beau travail. Du côté des pistes son, VO et VF d’époque nous sont proposées en DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine : les dialogues sont clairs et les ambiances bien préservées, ajoutant encore un peu à la folie douce de l’ensemble.
Mais en plus d’être un bel objet, le Combo Blu-ray / DVD de Terreur sur la ville édité par Rimini Éditions n’est d’ailleurs pas avare en suppléments, puisqu’on trouvera sur la galette Blu-ray une poignée d’interviews de l’équipe du film. On commencera donc tout d’abord avec un entretien avec Andrew Prine (10 minutes) : l’acteur se remémorera les bons moments passés sur le tournage et aux côtés de Charles B. Pierce, et reviendra sur le casting du film. Il évoquera également la dernière séquence du métrage, en affirmant l’avoir totalement écrite. On continuera ensuite avec un entretien avec le directeur photo Jim Roberson (13 minutes), qui reviendra assez longuement sur sa relation avec le réalisateur, avant d’évoquer le tournage du film, la chaleur, la pluie, et terminera en évoquant le casting, et en particulier la personnalité bien trempée de Ben Johnson. Enfin, on terminera avec un entretien avec Dawn Wells (5 minutes). L’actrice se remémorera son arrivée sur le projet, le tournage de sa scène et le fait que la survivante qu’elle incarne à l’écran avait refusé de la rencontrer. Elle se félicitera également de la redécouverte du film plus de 40 ans après sa sortie, le mettant carrément en parallèle avec L’exorciste.