Le réalisateur américain Peter Bogdanovich est décédé ce matin à Los Angeles. Il était âgé de 82 ans. Devenu célèbre dans les années 1970 comme l’un des meneurs du Nouvel Hollywood, Bogdanovich n’avait guère réussi à faire durer le succès au delà de ses trois films phares La Dernière séance, On s’fait la valise docteur ? et La Barbe à papa. Ce qui n’enlève rien à son statut incontestable de grand passeur de sa passion cinéphile. Longtemps avant que Martin Scorsese et Quentin Tarantino n’occupent ce rôle auprès des générations contemporaines de spectateurs, Bogdanovich avait en effet œuvré inlassablement pour sauver de l’oubli des cinéastes comme Orson Welles et John Ford, devenus intemporels aussi grâce à lui.
Après avoir pris des cours d’acteur auprès de la mythique Stella Adler et avoir mis en scène quelques pièces à Broadway, Peter Bogdanovich avait migré à Hollywood. Son activité soutenue de critique pour le magazine Esquire lui avait alors permis de faire la connaissance du légendaire producteur de films de série B Roger Corman. Ce dernier l’avait engagé comme deuxième assistant réalisateur sur Les Anges sauvages en 1966. Deux ans plus tard, Bogdanovich avait réalisé son premier long-métrage en tant que réalisateur, le thriller La Cible dans lequel l’acteur Boris Karloff avait tenu son dernier rôle majeur. Tandis que son admiration pour les films de John Ford faisait de lui le réalisateur tout désigné pour le documentaire Directed by John Ford, la même année, 1971, la sortie de son deuxième long-métrage de fiction allait le mettre définitivement – quoique temporairement – sur le devant de la scène hollywoodienne.
Car le drame d’une petite ville de province sur le déclin, La Dernière séance, n’allait pas tarder à susciter des critiques dithyrambiques et au passage valoir les Oscars des seconds rôles à Cloris Leachman et Ben Johnson. Soucieux de ne pas se répéter, Bogdanovich avait échangé l’austérité poussiéreuse et en noir et blanc du début des années ’50 contre le rythme exubérant des comédies pétillantes des années ’30, remis au goût du jour à travers On s’fait la valise docteur ? La farce loufoque avec Barbra Streisand et Ryan O’Neal avait alors été l’un des plus grands succès du box-office américain de l’année 1972. Et de trois, grâce à La Barbe à papa, un autre film d’époque en noir et blanc, pour lequel la jeune Tatum O’Neal avait, elle aussi, décroché l’Oscar de la Meilleure actrice dans un second rôle, en 1974.
Jusqu’où la carrière de Peter Bogdanovich pourra-t-elle aller, après cette preuve par trois de son talent ? Hélas dans une direction nullement satisfaisante. Bien que la Paramount lui ait déroulé le tapis rouge, en compagnie de ses confrères Francis Ford Coppola et William Friedkin, par le biais de la structure The Directors Company, ses projets suivants n’ont nullement été couronné de succès. Cela vaut autant pour les deux films dans lesquels il avait mis en scène sa copine de l’époque, l’actrice Cybill Shepherd, Daisy Miller d’après Henry James et Enfin l’amour, que pour son ultime hommage au cinéma de papa avec Nickelodeon. Seul Saint Jack avec Ben Gazzara, ressorti en France en octobre 2018, lui avait permis de retrouver au moins un certain prestige critique à la tout fin des années ’70.
A partir de la décennie suivante et un fait divers peu plaisant – le meurtre de sa copine Dorothy Stratten, vedette du magazine Playboy –, la filmographie de Peter Bogdanovich n’allait plus jamais retrouver son lustre initial. La comédie de détectives Et tout le monde riait avec Audrey Hepburn était suivie d’un rare succès d’estime, Mask pour lequel Cher a reçu le prix d’interprétation féminine au Festival de Cannes en 1985.
Après d’autres films sans grand intérêt, Illégalement vôtre avec Rob Lowe, Texasville la suite guère convaincante de La Dernière séance près de vingt ans plus tard, Bruits de coulisses avec Carol Burnett et Nashville Blues avec River Phoenix, Bogdanovich avait passé les années ’90 à travailler en toute modestie pour la télévision. Seuls deux autres films ont depuis ponctué sa carrière, Un parfum de femme avec Kirsten Dunst et Broadway Therapy avec Owen Wilson, sorti en salles en France en avril 2015.
En parallèle de son travail irrégulier de réalisateur, Peter Bogdanovich avait joué devant la caméra, notamment dans la série à succès « Les Soprano », ainsi que pour Douglas McGrath (Scandaleusement célèbre), Zoe Cassavetes (Broken English), Noah Baumbach (While We’re Young) et Andy Muschietti (Ça Chapitre 2). Surtout, il avait continué son activité de cinéphile passionné, entre autres en écrivant de nombreux ouvrages sur le cinéma hollywoodien, en réalisant des documentaires, comme The Great Buster sur Buster Keaton, sélectionné au Festival de Venise en 2018, voire en donnant un ultime coup de pouce à son idole Orson Welles en participant activement à l’achèvement de son film De l’autre côté du vent, disponible sur Netflix depuis novembre 2018.
Peter Bogdanovich a été nommé à deux reprises à l’Oscar en 1972 pour La Dernière séance, comme Meilleur réalisateur et pour le Meilleur scénario adapté. Le même film lui avait également valu le prix du Meilleur scénario de l’Académie du cinéma britannique et des critiques de New York, ainsi qu’une nomination de ses confrères de la Directors Guild. En 2009, il avait gagné le Grammy du Meilleur documentaire musical pour Tom Petty and the Heartbreakers Runnin’ Down a Dream. Enfin, son livre « Les Maîtres d’Hollywood », composé d’entretiens avec seize réalisateurs dont Fritz Lang, Howard Hawks et Alfred Hitchcock et édité en France en deux tomes en janvier et avril 2018 chez Capricci, lui a valu des citations de la part des critiques de Los Angeles et du National Board of Review en 1996/97.