Les Tueurs de la lune de miel
États-Unis : 1970
Titre original : The Honeymoon Killers
Réalisateur : Leonard Kastle
Scénario : Leonard Kastle
Acteurs : Shirley Stoler, Tony Lo Bianco, Dorothy Duckworth
Éditeur : BQHL Éditions
Durée : 1h47
Genre : Drame, Thriller
Date de sortie cinéma : 1 octobre 1971
Date de sortie DVD/BR : 25 novembre 2021
Martha Beck n’est qu’une inoffensive infirmière aux formes généreuses. Du moins jusqu’au jour où elle répond à l’annonce matrimoniale des « Cœurs solitaires » de Raymond Fernandez, gigolo et arnaqueur au mariage. Désormais inséparables, liés par la même passion subversive, ils écument les États-Unis, piègent veuves et femmes seules, pour les voler d’abord, et les assassiner sauvagement ensuite…
Le film
[5/5]
Les Tueurs de la lune de miel s’inspire de l’histoire du couple de tueurs en série américains Raymond Fernandez et Martha Beck, soupçonnés d’avoir tué 17 femmes entre 1947 et 1949. Condamnés à mort pour les meurtres de Janet Fay, de Delphine Downing et de sa fille – les seuls qu’ils ont avoués – ils seront exécutés en 1951. Le film, écrit et réalisé par Leonard Kastle, est rapidement devenu un véritable classique du genre, annonçant avec une quinzaine d’années d’avance la froideur clinique d’un Henry, portrait d’un serial killer.
La réussite du film est totale et éclatante. Leonard Kastle, qui n’a jamais réalisé d’autre long-métrage après Les Tueurs de la lune de miel, insuffle à son œuvre une atmosphère et une tonalité proches du documentaire, ce qui permet à la narration de rester fluide, utilisant habilement les ellipses et autres non-dits pour renforcer un certain sentiment d’authenticité. Le scénario de Kastle choisit d’illustrer, par le choix des séquences et des personnages, tous les éléments « d’environnement » qui ont contribué à faire de ces deux tueurs ce qu’ils sont devenus.
Ainsi, chaque nouvelle séquence, chaque nouvelle personne rencontrée par Raymond Fernandez et Martha Beck apportent un peu d’eau au moulin de leur folie, dans le sens où tous les travers et les hypocrisies de la société américaine semblent bien déterminés à se cristalliser devant leurs yeux. Une société proche de l’aliénation, pleine de préjugés, d’avarice maladive, de patriotisme stérile, et surtout d’hypocrisie vis-à-vis des institutions (le personnel de l’hôpital qui se cache pour baiser, la nymphomane se mariant pour renouer avec sa riche famille…). Chacune de leurs victimes leur permet de forger un peu plus leur marginalité, alimente leur rejet du système.
Parce que oui, Les Tueurs de la lune de miel sont des criminels, mais que dire de la société qui les a vu naitre ? Leonard Kastle n’épargne pas le pays de l’oncle Sam, et développe son propos de façon acerbe, nette, renforçant ses effets par le biais de ruptures abruptes, tonales ou temporelles, qui lui permettent de mettre en évidence le fossé qui sépare Ray et Martha du reste du monde. Les limites techniques du film sont assez évidentes, et le tout est clairement tourné à l’économie, mais la durée des plans permet finalement à Kastle d’installer une tension sourde bien réelle, annonçant forcément l’explosion, la violence, voire l’autodestruction. Même la fin du film débarque de manière abrupte, obligeant le spectateur à se demander qui est réellement responsable des meurtres auxquels on vient d’assister : s’agit-il des deux tueurs, cyniques et désabusés, ou de l’environnement qui a fait d’eux ce qu’ils sont, et qui leur a permis de rester en liberté aussi longtemps ?
Suivant l’évolution de la relation entre Martha et Ray avec une compassion tranquille, Les Tueurs de la lune de miel prend le parti de faire passer les deux personnages centraux pour des victimes plutôt que pour des monstres. La froideur de l’ensemble et l’atmosphère souvent étouffante du film n’empêchent en effet pas la volonté de comprendre leur existence, et peu à peu, la logique qui sous-tend leurs actions commence à émerger, ce qui tend à rendre le film encore plus troublant.
Il est amusant de noter qu’à l’origine, c’était Martin Scorsese qui devait réaliser Les Tueurs de la lune de miel. Perfectionniste, il n’allait pas assez vite au goût de la production, et fut remplacé par Donald Volkman après une semaine de tournage. Peu après, Volkman fut également remplacé par Leonard Kastle, auteur du scénario du film. Il est difficile de déterminer ce qu’aurait pu nous livrer Scorsese à partir d’un tel scénario, mais on ne peut s’empêcher de penser que le résultat à l’écran eut été formellement plus « conscient » de son impact ; il y a également fort à parier que l’ambiance du métrage aurait été modelée de façon à nous faire comprendre dès le départ que l’autodestruction du couple-titre était inévitable. Même si elle est sans doute née d’une volonté de respecter un emploi du temps et un budget tout aussi serrés l’un que l’autre, la mise en scène sans artifice de Leonard Kastle a finalement conféré au projet un aspect quasi-documentaire dont l’impact nous parait, cinquante ans plus tard, proprement inestimable.
Le Blu-ray
[4/5]
C’est donc BQHL Éditions qui nous propose aujourd’hui de redécouvrir Les Tueurs de la lune de miel en Blu-ray. L’image est proposée au format, et nous propose un gain sensible de précision côté image par rapport au DVD de 2003 ; cependant, le master n’est pas exempt de défauts, loin de là – l’image souffre encore de taches et de rayures, de fourmillements fréquents, et le master n’est pas des plus stables. Pour autant, ces défauts ont probablement inhérents au tournage du film en lui-même, et l’upgrade Haute-Définition est tout de même bien réel et enthousiasmant. La granulation d’origine a ainsi été préservée, et le niveau de détail s’avère très satisfaisant, notamment sur les gros plans. Côté son, VF et VO sont toutes deux proposées en mono d’origine et mixées en LPCM Audio 2.0. Les deux versions restituent les dialogues de façon relativement claire et équilibrée, l’ensemble fait occasionnellement preuve d’un certain punch dans la restitution de la musique du film, pour laquelle Leonard Kastle a utilisé des symphonies de Mahler.
Du côté des suppléments, BQHL Éditions nous propose tout d’abord un riche livret de 20 pages signé Marc Toullec, qui reviendra sur le contexte de tournage ainsi que sur le film en lui-même – il fait office de making of rétrospectif, très documenté, et s’avère tout à fait passionnant. Sur le Blu-ray à proprement parler, on trouvera tout d’abord un long entretien avec Philippe Le Guay (42 minutes). Le réalisateur français y reviendra sur son amour pour le film, et surtout sur sa rencontre avec Leonard Kastle, qui l’accueillit à son domicile américain durant sa lune de miel – il souligne d’ailleurs l’ironie de passer sa lune de miel en compagnie du réalisateur des Tueurs de la lune de miel. Cette rencontre lui permettra de revenir sur différentes anecdotes liées au film et à sa production, tout en nous proposant un début d’analyse du film. Pour terminer, BQHL nous propose également de retrouver un entretien avec Stéphane Bourgoin (21 minutes), déjà présent sur le DVD de 2003, au cours duquel le spécialiste français incontesté du serial killer reviendra sur la destinée des « vrais » Raymond Fernandez et Martha Beck, à grand renfort d’anecdotes bien glauques. Ces éléments permettent néanmoins de se rendre compte des choix narratifs opérés par Leonard Kastle par rapport à la réalité, notamment concernant le passé des protagonistes du récit.