L’échine du diable – Édition « Ultra Collector »
Espagne, Mexique : 2001
Titre original : El Espinazo del diablo
Réalisation : Guillermo del Toro
Scénario : Guillermo del Toro, Antonio Trashorras, David Muñoz
Acteurs : Fernando Tielve, Eduardo Noriega
Éditeur : Carlotta Films
Durée : 1h47
Genre : Fantastique
Date de sortie cinéma : 8 mai 2002
Date de sortie DVD/BR : 24 novembre 2021
Alors que la guerre civile déchire l’Espagne, le jeune Carlos trouve refuge à Santa Lucia, un orphelinat perdu dans la campagne dirigé par Mme Carmen. À la nuit tombée, le garçon est mis au défi par ses camarades : il doit traverser la cour de l’établissement pour se rendre à la cuisine, l’obligeant à passer devant la maison du gardien, l’antipathique Jacinto. Une fois sur place, Carlos entend d’étranges soupirs et découvre dans le sous-sol de la bâtisse le fantôme d’un enfant mutilé…
Le film
[4,5/5]
On n’ira pas à l’encontre des cinéphiles qui considèrent que L’échine du diable fut, pour Guillermo del Toro, une espèce de « brouillon » nécessaire afin d’atteindre la perfection formelle et thématique qui viendrait, quelques années plus tard, avec Le labyrinthe de Pan. Il y a sans doute beaucoup de vrai dans cette assertion, tant les deux films semblent jumeaux : le contexte de la guerre civile espagnole, le personnage central orphelin, l’élément fantastique ne prenant jamais le pas sur la réalité historique, la perte de l’innocence, et bien sûr, dans les deux cas, la présence d’un personnage de « méchant » absolument détestable… Autant de points communs que nul ne peut ignorer. Pour autant, il n’est pas interdit de préférer le charme rugueux du « premier jet » de 2001 à la perfection calculée du film de 2006.
Le film est un projet de longue date de Guillermo del Toro, fortement teinté de souvenirs d’enfance et devait, à l’origine, évoquer les « fantômes » de la guerre civile au Mexique, mais la complexité de la situation mexicaine entre 1910 et 1920 força le scénariste / réalisateur à décaler son sujet du Mexique à l’Espagne. Avec l’aide au scénario de Antonio Trashorras et David Muñoz, il livrerait finalement avec L’échine du diable un film profondément « espagnol » jusque dans son âme et ses références visuelles. Ainsi, les décors du film, l’isolement de l’orphelinat et l’utilisation d’une photo fortement axée sur l’ombre et la lumière évoqueront forcément au spectateur le souvenir de L’esprit de la ruche (Victor Erice, 1973). L’atmosphère des deux films, teinté d’imaginaire et d’une intense fascination pour les « monstres », est également très similaire.
Les amateurs de bandes dessinées ne pourront pas non plus ignorer les similitudes entre la description du groupe d’orphelins et des différents « rites de passage » entre jeunes garçons et l’œuvre de l’espagnol Carlos Giménez Paracuellos, publiée en France au début des années 80 dans la revue Fluide Glacial, qui évoquait l’enfance de l’auteur dans un internat, juste après la guerre civile. Le fait que le héros de L’échine du diable incarné par Fernando Tielve s’appelle Carlos, ou encore le fait que le jeune Jaime (Íñigo Garcés) veuille devenir dessinateur de BD sont autant de références explicites à l’œuvre de Carlos Giménez – le dessinateur fut d’ailleurs embauché par Guillermo del Toro afin de réaliser les storyboards du film, qui s’avèrent assez magnifiques.
L’échine du diable est donc un film bicéphale, divisé en deux parties inégales : l’une traite d’une classique histoire de fantômes, traitée cela dit de façon pas si classique, avec un fantôme apparaissant en pleine lumière dès les premières séquences du film, et l’autre aborde avec sensibilité un récit de « coming of age » et de perte de l’innocence dans l’horreur de la guerre. La première partie du film permet à Guillermo del Toro de laisser libre cours à sa passion pour l’atmosphère gothique, qui donnera au film une partie de son identité – la photo de Guillermo Navarro est extrêmement travaillée, la lumière et les ombres sont utilisées avec beaucoup de soin pour rendre l’orphelinat aussi effrayant que possible. L’étrangeté est également de la partie, notamment grâce à cette idée du missile planté dans la cour de l’orphelinat, qui trône comme un totem au milieu du lieu, rappel constant de la mort qui rôde alentour.
En parallèle avec cette histoire de fantôme, et la façon dont le script nous révélera par petites touches l’identité du petit fantôme et les circonstances au cœur desquelles il a trouvé la mort, L’échine du diable nous présentera donc le parcours initiatique du jeune Carlos et de ses jeunes camarades – un coming of age placé sous le signe de la violence et de la mort qui explosera dans une dernière bobine qui, vingt ans après la sortie du film dans les salles, n’a toujours rien perdu de sa sauvagerie dérangeante. Les connotations politiques induites par le scénario tendent à souligner que le fantôme, qui si l’on en croit la voix off est la représentation d’une « tragédie condamnée à se répéter encore et encore » : L’échine du diable met ainsi sur un pied d’égalité l’héritage de l’Histoire et la mythologie surnaturelle, ce qui offre au spectateur une métaphore sur la façon dont les liens entre le passé et le présent façonnent à leur manière un avenir condamné à n’être qu’un éternel recommencement des mêmes guerres, des mêmes luttes et des mêmes souffrances.
Porté par des effets spéciaux sobres et une série d’acteurs aussi mémorables que nuancés, plutôt bien rythmé malgré la lenteur avec laquelle les différentes intrigues superposées évoluent, L’échine du diable s’impose encore aujourd’hui comme une intense réussite, d’autant plus remarquable qu’elle se situe en dehors de toutes les modes du fantastique. N’appartenant finalement qu’à Guillermo del Toro et à son univers unique, le film ne vieillit pas, et s’avère toujours aussi passionnant vingt ans après sa sortie. A voir et à revoir !
Le Coffret Blu-ray + DVD + Livre
[5/5]
L’échine du diable est le vingt-et-unième film à intégrer les rangs de la prestigieuse collection « Édition ULTRA COLLECTOR » de chez Carlotta Films. Le film de Guillermo del Toro affiche donc pour l’occasion ses plus beaux atours : ceux d’une édition limitée, numérotée à 3 000 exemplaires, dont le visuel a été créé exclusivement pour cette édition par le talentueux Thomas « Tommypocket » Walker. Présentée dans un imposant et majestueux coffret « à l’italienne », cette « Édition ULTRA COLLECTOR » de L’échine du diable contient, en plus du Blu-ray et du DVD du film, un gros livre inédit de 200 pages intitulé « L’échine du diable : ritournelle gothique en terres hispaniques », écrit par Guy Astic (directeur des éditions Rouge Profond) et Charlotte Largeron (« Guillermo del Toro : Des hommes, des dieux et des monstres », Rouge Profond, 2013), en collaboration étroite avec Julien Dupuy (Capture Mag). Le tout est accompagné de plus de 70 photos et rares sur les effets spéciaux. Le livre est par ailleurs présenté comme un vrai livre de cinéma, avec une belle couverture cartonnée, glissé dans un solide sur-étui. Le top du top en matière d’édition Blu-ray et d’objet de collection en somme…
Du côté du master, L’échine du diable a fait l’objet d’une nouvelle restauration 2K supervisée par le réalisateur Guillermo del Toro et le directeur de la photographie Guillermo Navarro, et le résultat est à la hauteur de nos attentes : l’image est débarrassée de toute tache ou poussière, d’une stabilité impeccable et définition et piqué sont littéralement excellents. Même si le film se déroule le plus souvent dans le noir ou dans l’obscurité, la palette colorimétrique est d’une richesse époustouflante, la tenue des noirs ne faiblissant jamais. Le transfert respecte par ailleurs à la lettre le grain argentique du film, et l’encodage ne nous réserve aucune mauvaise surprise. Du très beau travail. Côté son, les deux mixages (VF/VO) encodés en DTS-HD Master Audio 5.1 proposent des dialogues dynamiques et bien équilibrés. Si la spatialisation est discrète, les ambiances sont restituées de façon impressionnante, renforçant clairement l’impact des quelques séquences de flippe.
Côté suppléments, Carlotta a réuni, en plus du bouquin de 200 pages évoqué un peu plus haut, l’intégralité de l’interactivité passionnante de l’édition DVD Collector de 2003 (StudioCanal). On commencera donc avec un commentaire audio de Guillermo del Toro et de son directeur de la photo Guillermo Navarro, pour continuer avec un entretien avec Marisa Paredes (24 minutes), qui abordera sa rencontre avec Guillermo del Toro ainsi que son personnage, un entretien avec Eduardo Noriega (12 minutes), qui reviendra sur son interprétation de Jacinto ainsi qu’un passionnant entretien avec Guillermo del Toro (30 minutes), qui évoquera la genèse du film, sa portée autobiographique ainsi que son rapport à l’enfance et à l’Histoire. On continuera ensuite avec deux featurettes qui feront office de making of (40 minutes). Ces deux sujets s’efforceront de nous dévoiler l’envers du décor avec des images volées sur le tournage entrecoupées d’interventions de l’équipe technique et des acteurs. On aura également droit à un sujet consacré aux effets spéciaux du film, commentés par Julien Dupuy (17 minutes). Enfin, on terminera le recyclage des suppléments du DVD de 2003 par un passionnant comparatif film / storyboards (17 minutes), qui nous permettra d’admirer le travail de Carlos Giménez tout autant que la précision de la mise en scène de Guillermo del Toro. Mais l’éditeur français ne s’arrête pas là, puisqu’il nous propose un supplément inédit de taille : une rencontre entre Guillermo del Toro et le réalisateur Fabrice du Welz (1h26), organisée en 2018 pour l’émission « Home Cinema » présentée par le cinéaste belge sur la chaîne Be TV. Ils y reviendront sur tout la carrière du cinéaste, de Cronos à la Forme de l’eau, sur le ton de la conversation entre amis. Bien sûr, il y aura quelques redondances avec le reste des suppléments, mais l’entretien reste absolument passionnant ! On terminera enfin avec les traditionnelles bandes-annonces.