Albi 2021 : Illusions perdues

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Illusions perdues

France, 2021

Titre original : –

Réalisateur : Xavier Giannoli

Scénario : Jacques Fieschi et Xavier Giannoli d’après le roman d’Honoré De Balzac

Acteurs : Benjamin Voisin, Cécile De France, Vincent Lacoste et Xavier Dolan

Distributeur : Gaumont

Genre : Drame

Date de sortie : 20 octobre 2021

Durée : 2h31

3/5

Petite séance de rattrapage pour nous au Festival d’Albi, qui s’attache autant à présenter le meilleur du cinéma francophone en avant-première qu’à donner l’opportunité à son public nombreux de combler ses lacunes en termes de films récemment distribués. Pourtant, quatre semaines après sa sortie, Illusions perdues est toujours à l’affiche un peu partout en France, l’adaptation réussie du roman-fleuve d’Honoré De Balzac par Xavier Giannoli ayant visiblement conquis ses spectateurs plus ou moins jeunes. Et il y a de quoi être admiratif face à la verve indéniable avec laquelle le réalisateur prescrit une cure de jouvence à cette histoire d’ambitions mondaines amèrement déçues, sans jamais en trahir l’esprit iconoclaste.

La glace tendue à présent au monde des médias y reflète les mêmes dérives de corruption et de vanité sur le même ton cinglant qu’il y a deux siècles. Rien ne semble avoir changé dans cette France, plus que jamais attachée aux ragots et au maintien des conventions sociales. Et les rêves des jeunes générations, faits de reconnaissance, voire de célébrité, ont beau passer de nos jours par les réseaux sociaux, ils se distinguent toujours par une méchanceté vieille comme l’humanité.

Il est seulement dommage alors que cette farce subtile n’ait pas opté pour une forme filmique plus débridée, ne serait-ce qu’en cherchant un fil narratif moins conventionnel que l’éternelle voix off, habitée au moins convenablement par le timbre grave et posé de Xavier Dolan.

© 2021 Roger Arpajou / Curiosa Films / France 3 Cinéma / Gaumont Tous droits réservés

Synopsis : Dans la France provinciale du XIXème siècle, le jeune Lucien rêve de faire fortune grâce à ses poèmes. Sa mécène, l’aristocrate Louise De Bargeton, le soutient de son mieux, tout en cédant plus que de raison à son charme. Afin d’éviter un scandale certain du côté d’Angoulême, les deux amoureux montent à Paris. Mais Louise doit vite se rendre à l’évidence qu’une telle affaire n’est nullement plus convenable à la capitale. Elle prend alors ses distances envers Lucien, qui se retrouve dès lors sans le sou. Par hasard, il fait la connaissance d’Etienne Lousteau, l’influent rédacteur d’un journal libéral. Sous son nom d’artiste De Rubempré, Lucien mettra alors temporairement ses ambitions littéraires de côté, afin de devenir rapidement la plume à vendre la plus recherchée de Paris.

© 2021 Roger Arpajou / Curiosa Films / France 3 Cinéma / Gaumont Tous droits réservés

Marguerite contre ananas

On se plaint encore et toujours de la déchéance des mœurs et du bon goût dans notre pays et dans le monde. Or, cette nostalgie mal placée a tendance à nous faire oublier que, de tous temps, les hommes ont préféré le divertissement à l’éducation, les polémiques stériles diffusées à longueur de journée sur CNews à la recherche de thématiques hors des sentiers battus sur arte. L’art à l’état pur n’a jamais fait vivre qui que ce soit. Et même les artistes les plus reconnus ont été rattrapés tôt ou tard par les affaires et les grosses sommes d’argent investis dans leurs œuvres. (D’accord, pour certains peintres mondialement connus, cette reconnaissance est arrivée un peu trop tard pour qu’ils puissent en bénéficier directement.) Passer à la postérité, peut-être, ou bien s’enrichir tant qu’on est à la mode ? Bon nombre d’auteurs et même de cinéastes ont dû se poser cette question cruciale à un moment donné dans leur carrière.

Dans Illusions perdues, richesse du contexte balzacien oblige, elle s’articule à travers une plongée vertigineuse dans le microcosme des riches et de ceux qui souhaiteraient tant le devenir. Le talent seul n’y suffit pas pour décrocher le jackpot du standing social, encore faut-il connaître intimement les rouages d’une mécanique des classes héritée de l’ancien empire. Les petits parvenus n’y sont guère les bienvenus. Ils servent par contre à alimenter la machine à scandales, d’autant plus féroce que les personnes impliquées risquent définitivement leur réputation à chaque nouveau faux pas. Dans ce jeu perfide d’influence vendue au plus offrant – dont le regretté Jean-François Stévenin dans le rôle du faiseur de plébiscite théâtral est sans doute l’incarnation la plus pittoresque –, l’idéalisme, la beauté et l’honnêteté n’ont point droit de cité.

© 2021 Roger Arpajou / Curiosa Films / France 3 Cinéma / Gaumont Tous droits réservés

Les canards déchaînés

Dans la grande tradition des récits d’apprentissage, parmi lesquels on ne citera que Barry Lyndon de Stanley Kubrick, le huitième long-métrage de Xavier Giannoli suit les errements d’un jeune homme parti conquérir le monde, avant de finir la risée de tout le monde. Ce personnage aux pieds d’argile, à la fois naïf et fanfaron, Benjamin Voisin l’incarne avec juste ce qu’il faut d’immaturité effrontée. Des traits de caractère qui ne nous rendent pas l’identification avec lui plus aisée, d’autant moins que son entourage déborde de personnages sensiblement plus hauts en couleur que lui. A commencer par deux tireurs de ficelle diaboliquement mal intentionnés : Vincent Lacoste en journaliste corrompu jusqu’à la moelle et Jeanne Balibar en grande prêtresse de la haute société parisienne.

D’autres acteurs et actrices ont également l’occasion de briller brièvement, comme Cécile De France en comtesse de province, éperdument perdue dans la jungle des fauves mondains de la capitale, ou bien Gérard Depardieu en éditeur roublard. Or, dans l’ensemble, ils sont tous pris dans le tourbillon d’une narration dont la verve demeure un brin trop littéraire. Qu’est-ce que l’ascension et la chute du jeune Lucien deviendraient-elles en fait, si l’on enlevait du vocabulaire filmique de Xavier Giannoli la béquille un peu trop confortable de la voix off omniprésente ?

Expliquées à outrance, les motivations mal intentionnées de la plupart des personnages paraissent limpides. Toutefois, cette prépondérance de l’explication sonore court sérieusement le risque d’atténuer l’impact de l’image, souvent agréable à regarder et rarement plus déconcertante. Comme lors du plan de flottement en état d’ivresse de Lucien, directement inspiré du cinéma hollywoodien, ou de ce sexe masculin venu de nulle part et donc superflu pour souligner le lien étroit entre l’argent et l’érotisme.

© 2021 Roger Arpajou / Curiosa Films / France 3 Cinéma / Gaumont Tous droits réservés

Conclusion

On n’ira pas jusqu’aux louanges dithyrambiques de notre confrère ayant présenté la séance de rattrapage de Illusions perdues à une salle comble de spectateurs albigeois. Il s’agit certes d’un film qui baigne à chaque instant dans une intelligence malicieuse du plus bel effet. En même temps, nous n’avons jamais été des adeptes inconditionnels d’une narration faisant passer l’émotion et l’explication par le canal traître de la voix off. En plus de deux heures et demie de film, Xavier Giannoli aurait certainement pu trouver une manière encore plus ingénieuse de condenser en termes cinématographiques l’esprit irrévérencieux de l’immense Honoré De Balzac.

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