Critique : Mon légionnaire

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Mon légionnaire

France, Belgique, 2020

Titre original : –

Réalisatrice : Rachel Lang

Scénario : Rachel Lang

Acteurs : Louis Garrel, Camille Cottin, Ina Marija Bartaité et Aleksandr Kuznetsov

Distributeur : Bac Films Distribution

Genre : Guerre

Durée : 1h48

Date de sortie : 6 octobre 2021

3/5

Il fut un temps, il y a des années, voire des décennies, quand nous nous intéressions de façon suivie au sous-genre du film de légionnaire. C’était au moment de la sortie de Beau travail sur les écrans français, au mois de mai de l’an 2000. A l’époque, le film magnifique de Claire Denis nous avait tellement enthousiasmés, qu’il avait été le point de départ de notre projet de maîtrise en études de cinéma. Plus de vingt ans plus tard, Mon légionnaire ne reproduit certes pas la fascination sublime, mi-érotique, mi-malsaine, avec laquelle les personnages interprétés alors par Denis Lavant et Michel Subor tournaient autour de la nouvelle recrue Grégoire Colin. Ce dernier tient par ailleurs un petit rôle ici, l’objet de tous les fantasmes d’antan étant devenu à présent un supérieur cantonné derrière son bureau, réduit à préserver les codes sociaux de son régiment.

Néanmoins, le deuxième long-métrage de Rachel Lang, cinq ans après Baden Baden, dresse sans pathos le portrait saisissant de ce microcosme militaire. Ainsi, l’exploit le plus étonnant accompli par la réalisatrice consiste à évoquer la routine du quotidien des soldats et de leurs épouses sans jamais provoquer chez nous le moindre ennui. Bien au contraire ! Chaque personnage y est pris en quelque sorte au piège, sur le théâtre de guerre au Mali pour les hommes et dans les quartiers qui leur sont désignés en Corse pour les femmes. Il ne se passe rien de bien exceptionnel, puisque le cycle de la vie et de la mort paraît y progresser sur le rythme d’un stoïcisme sans faille.

Et pourtant, grâce à la sobriété magistrale de la narration, le récit nous affecte plus que tous les martyrs tombés au champ d’honneur ou que toutes les compagnes frustrées, parce que obligées de rester à la maison. L’art de la mise en scène relève dès lors simultanément du maniement subtil de l’ellipse et de la direction d’acteur très solide. En effet, employés légèrement à contre-emploi, Louis Garrel et Camille Cottin forment un couple au moins autant au bord du précipice que leur jeune pendant ukrainien, formé par la regrettée Ina Marija Bartaité et Aleksandr Kuznetsov.

© 2020 Chevaldeuxtrois / Wrong Men / Bac Films Distribution Tous droits réservés

Synopsis : Alors qu’ils sont seulement fiancés, Nika suit Vlad, une jeune recrue de la Légion étrangère, près de sa caserne en Corse. Plutôt désœuvrée et en manque de contact social sur l’île, elle se lie d’amitié avec Céline, la femme de l’officier Maxime, en charge de l’unité de Vlad avant son départ en Afrique. L’engagement corps et âme dans l’armée de la part de Vlad n’arrange en rien sa vie de couple, tout comme la famille de Maxime souffre de ses longues absences à l’étranger, en territoire ennemi.

© 2020 Chevaldeuxtrois / Wrong Men / Bac Films Distribution Tous droits réservés

Achtung, les gars !

A l’esthétique des muscles magnifiés sous le soleil africain chez Claire Denis répond dans Mon légionnaire une vision sensiblement plus pragmatique du corps d’élite de l’armée française. Rachel Lang se laisse certes tenter in extremis par ce qu’il faut sans doute comprendre comme une citation, à travers ce dernier plan en guise de rappel d’une camaraderie forgée au corps-à-corps. Mais dans l’ensemble, la sobriété est reine dans cette histoire qui ne cherche ni à dénoncer le mythe de la Légion étrangère, ni à le remettre au goût du jour. Le propos agréablement mesuré du film vise davantage à creuser la banalité du sujet. Celui-ci aurait presque quelque chose de ridicule, comme par exemple lors de l’exercice de nuit en milieu urbain corse, très brièvement montré, si ce n’était pour la précarité de la vie en temps de guerre.

Car sous l’apparence d’une machine militaire parfaitement huilée se cache la fragilité cruelle des hommes, qui peut mener jusqu’à la mort, annoncée sans états d’âme au cours du journal télévisé. Chaque plan qui capte la majesté martiale des véhicules blindés, avançant dans un soulèvement général de poussière, est alors contrebalancé par un autre qui, lui, souligne l’impuissance des militaires, enfermés dans leur habitacle exigu, voire suspendus aux informations venues de l’extérieur, auxquelles le respect de la chaîne de commandement leur interdit de répondre de façon autonome. Inutile de préciser par conséquent que pareille impuissance systématique n’a nullement besoin de faire apparaître l’ennemi à l’image. Quand c’est malgré tout le cas, c’est pour rappeler sans la moindre exagération l’absurdité cynique de tout conflit armé.

© 2020 Chevaldeuxtrois / Wrong Men / Bac Films Distribution Tous droits réservés

Le poids de la famille et des céréales

A l’image des hommes, leurs épouses éprouvent de plus en plus de mal à se conformer au règlement implicite de la convention militaire, propre à une vie conjugale par intermittence. Pas toutes les femmes, bien entendu, puisque le carcan social symbolisé par le club des épouses veille à ce que la conformité fasse l’unanimité parmi ses membres, tiraillés artificiellement entre leur progéniture et des ateliers d’œnologie. Cependant, la révolution est loin d’être en marche. Ce qui relativise d’emblée tout reproche de féminisme forcené qu’on aurait pu formuler à l’égard de la réalisatrice. Non, la frustration de Nika et de Céline se manifeste d’une manière plus diffuse, puisque elles sont parfaitement conscientes que ce ne sont point des crises de jalousie qui feraient renoncer leurs hommes à leur vocation de service viril par excellence.

Le rôle de notre point d’entrée dans cet univers renfermé sur lui-même brille particulièrement par sa complexité. L’interprétation à fleur de peau de Ina Marija Bartaité est pour beaucoup dans la facilité avec laquelle on s’identifie à ce personnage, loin des clichés de l’immigrée des pays de l’est, arrivée en France sans repères, ni volonté. De la volonté, elle n’en affiche pas non plus outre mesure. Mais c’est peut-être justement sa détermination douce, tout à fait consciente des lacunes de ses rapports affectifs et sexuels avec Vlad et pas pour autant empressée de s’attacher au premier amant venu, qui la rend si attachante. La place savamment calibrée qui lui est accordée au sein du récit en dit alors plus long sur les motivations de Rachel Lang pour conter cette histoire d’hommes – qui est en fait au moins autant une histoire de femmes – que toutes les effusions de sentiments mélodramatiques réunies.

© 2020 Chevaldeuxtrois / Wrong Men / Bac Films Distribution Tous droits réservés

Conclusion

Pas sûr que Mon légionnaire se serait facilement intégré dans le corpus de films de notre projet de recherche universitaire sur la représentation de la Légion étrangère au cinéma. Ce qui est plutôt un gage de qualité, tant le deuxième long-métrage de Rachel Lang évite adroitement les écueils pour mieux dresser le portrait sans fard de ses personnages. Il ne cherche à aucun moment à prendre bêtement position contre la guerre et un certain attachement au rituel militaire. Tout son mérite provient du fait de privilégier l’intensité subtile de son intrigue, au détriment de quelque jugement hâtif que ce soit. Dans ce sens, il s’agirait presque d’un film fédérateur, dans l’appréciation duquel des spectateurs aux opinions politiques et sociales divergentes pourraient bien se réunir. Un accomplissement d’autant plus appréciable, qu’il ne s’est pas fait au prix d’une facture filmique impersonnelle !

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