Critique : Fatima

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Fatima

Portugal, Etats-Unis : 2019
Titre original : –
Réalisation : Marco Pontecorvo
Scénario : Valerio D’Annunzio, Barbara Nicolosi, Marco Pontecorvo
Interprètes : Stephanie Gil, Joaquim de Almeida, Goran Visnjic, Sônia Braga, Harvey Keitel
Distribution : Saje Distribution
Durée : 1h53
Genre : Drame
Date de sortie : 6 octobre 2021

3/5

Fils de Gillo Pontecorvo, le réalisateur de La bataille d’Alger et de Queimada, le réalisateur italien Marco Pontecorvo a débuté dans le cinéma en 1997 comme Directeur de la photographie avant de réaliser son premier long métrage, Pa-ra-da, en 2008. Fatima est son premier film à sortir dans les salles hexagonales. La distribution de ce film est assurée par Saje Distribution, société spécialisée dans la diffusion de films d’inspiration chrétienne produits dans d’autres pays que la France.

Synopsis : Portugal. 1917, trois jeunes bergers de Fatima racontent avoir vu la Vierge Marie. Leurs révélations vont toucher de nombreux croyants mais également attirer la colère des représentants de l’Eglise et du gouvernement. Ils vont tout faire pour essayer d’étouffer l’affaire et obliger les trois enfants à se rétracter. Mais la rumeur s’est propagée dans tout le pays. Les pèlerins affluent à Fatima en espérant être les témoins d’un miracle.

Des apparitions « réservées » à 3 jeunes enfants

1917, le petit village portugais de Fatima et ses environs : Lucia de Santos, âgée de 10 ans, une petite gardienne d’un troupeau de brebis, a des visions dans une grotte. 1989, le Carmel de Sainte Thérèse à Coimbra, quelques dizaines de kilomètres plus au nord : Lucia de Santos est devenue Sœur Lucia, ou plutôt, comme elle insiste elle-même, Sœur Lucia de Jésus et du cœur immaculé. 1917 : le Portugal est impliqué dans la première guerre mondiale et, depuis quelques années, le pays est devenu une république anticléricale. Même si elle se tient à l’extérieur des frontières, la guerre a plongé le pays dans une grande pauvreté et elle cause la mort de nombreux jeunes. 1989 : le Professeur Nichols vient visiter Sœur Lucia dans son couvent, une visite qui se tient de part et d’autre d’un grillage. Le but du professeur Nichols : il écrit un ouvrage sur les évènements qui se sont déroulés en 1917 à Fatima et, fort sceptique quant à la véracité de l’histoire, il a tenu à venir confronter son scepticisme à la parole de celle qui est à son origine.

C’est avec de longs flashbacks et quelques courts retours vers l’entrevue de Coimbra que l’histoire de ces évènements nous est racontée : Des apparitions, postérieures aux visions de la grotte, qui se seraient succédées pendant 6 mois dans le lieu-dit Cova da Iria, tous les 13 du mois, du 13 mai 1917 au 13 octobre 1917, date du Miracle du soleil, des apparitions d’une belle jeune femme qui finira par se présenter comme étant la « Dame du Rosaire » et qui sont réservées à 3 enfants, Lucie, 10 ans, son cousin Francisco, 9 ans, et sa cousine Jacinta, 7 ans. Inlassablement, cette belle jeune femme demande aux 3 enfants de transmettre autour d’eux la nécessité de prier et de faire des sacrifices afin, entre autre, de mettre fin à la guerre. Dans le village, tout le monde est vite au courant : pas grand monde pour croire à cette histoire, ni Maria Rosa, la mère de Lucia, une femme pourtant très pieuse, ni le père Ferreira, le curé du village, ni l’évêque local, ni, bien sûr, Arturo, le maire du village, un libre penseur, celui qui, régulièrement, est chargé d’égrener face à ses concitoyens les noms des enfants du village morts au combat. Pas grand monde pour croire à l’histoire sans cesse répétée par les 3 enfants, mais, chaque 13 du mois, pendant 6 mois, de plus en plus de monde se presse pour assister aux rendez-vous de ceux-ci avec cette apparition, qui voulant qu’un enfant paralysé soit guéri, qui voulant voir son fils revenir vivant de la guerre.

 

Deux écueils évités

Ne pensez vous pas qu’il faut une certaine dose d’inconscience pour se lancer dans un film racontant des évènements de type apparitions mariales accompagnées de miracles ? En effet, vous risquez deux types d’accusation : d’un côté, l’accusation d’avoir réalisé un gros pudding débordant de bondieuserie, de l’autre côté, l’accusation d’avoir réalisé une œuvre sacrilège, ou, au minimum, instillant le doute face à ces apparitions et à ces miracles. Eh bien, force est de reconnaitre que Marco Pontecorvo et ses deux coscénaristes, Valerio D’Annunzio et Barbara Nicolosi, ont réussi à éviter ces 2 écueils, même si la seule vision de la bande-annonce est très trompeuse à ce sujet. En effet, ce qu’ils racontent, ce sont, après tout, des évènements historiques, c’est-à-dire 3 enfants qui prétendent assister à des apparitions de la Vierge Marie au milieu d’une foule qui ne voit ni n’entend rien de spécial, 3 enfants très pieux, qui prient et qui ne cessent de clamer que ce qu’ils racontent est la stricte vérité. Et que montre le film ? D’un côté, ce que les enfants prétendent voir et entendre, de l’autre, des plans des enfants et de la foule autour d’eux, sans présence d’une belle jeune femme conversant avec les enfants.

Résultat : celles et ceux qui ont la foi se concentreront sur ce que les enfants prétendent voir et entendre alors que celles et ceux qui n’ont pas la foi se concentreront sur le fait, montré par les images, que l’apparition n’est réservée qu’aux seuls enfants et est donc sujette à caution. Quant à la vision donnée par le film de ce qu’on a appelé le « Miracle du soleil », phénomène qui, plus de 100 après, continue de diviser les scientifiques et les croyants, phénomène qui n’a même jamais été officiellement qualifié de miracle par l’église catholique, elle est telle qu’il est impossible de trancher dans un sens ou dans l’autre. Et les discussions entre le professeur Nichols et Sœur Lucia, finissent-elles par faire pencher la balance d’un côté ou de l’autre, me direz vous ? Eh bien, non, figurez vous. Par ailleurs, le personnage d’Arturo, le libre-penseur maire du village, est montré comme étant un homme qui souffre de voir ses concitoyens s’écarter de la rationalité pour tomber dans ce qui, pour lui, s’apparente à de la superstition. Qui souffre d’autant plus que son épouse vient renforcer le camp adverse !

Un casting international qui dialogue en anglais au Portugal

Fatima n’étant ni un gros pudding débordant de bondieuserie ne pouvant être apprécié que par de purs dévots, ni une œuvre sacrilège, ou, au minimum, instillant le doute face à des apparitions et à des phénomènes miraculeux, ce film est-il pour autant une belle réussite ? Pas si vite ! Tout d’abord, il y a quelques scènes dans lesquelles le pathos règne un peu trop en maître, impression que devraient ressentir aussi bien celles et ceux qui croient aux apparitions que les autres. Et puis, dès le début du film, on ne peut que se montrer choqué par la langue employée par ces très jeunes enfants, par leurs parents, par leur entourage, et même par la belle dame des apparitions : l’anglais ! La présence des Etat-Unis dans la production y est sans doute pour beaucoup : ce pays n’a toujours pas compris qu’il y a, un peu partout dans le monde, d’autres langues que celle qui se pratique chez eux (pas toujours très bien, par ailleurs !). Dans ce film réalisé au Portugal par un italien et (bien) photographié par Vincenzo Carpineta, un Directeur de la photographie également italien, on a donc droit à une distribution très internationale, avec une jeune espagnole, Stephanie Gil, interprétant le rôle de Lucia enfant, une comédienne brésilienne, Sônia Braga prenant la relève, lorsque, beaucoup plus tard, elle est devenue Sœur Lucia, un comédien américain, Harvey Keitel, dans le rôle du professeur Nichols, une comédienne portugaise, Lúcia Moniz, dans celui de Maria Rosa, la mère de Lucia, un acteur américain d’origine croate, Goran Visnjic, interprétant Arturo, le maire du village, et un acteur portugais, Joaquim de Almeida, interprétant le père Ferreira, le curé du village. Miracle du cinéma : on ne ressent pas une absence de cohésion dans cette équipe très internationale !

 

Conclusion

Placé au départ dans une position difficile, Marco Pontecorvo évite les dérapages, la bondieuserie d’un côté, l’œuvre sacrilège de l’autre. Par contre, il n’arrive pas à éviter le pathos dans un certain nombre de scènes et, surtout, il fait perdre beaucoup de crédit au film en utilisant l’anglais plutôt que le portugais.

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