Critique : Sœurs

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Sœurs

France : 2020
Titre original : –
Réalisation : Yamina Benguigui
Scénario : Yamina Benguigui, Sylvain Saada, Farah Benguigui
Interprètes : Isabelle Adjani, Rachida Brakni, Maïwenn
Distribution : jour2fête
Durée : 1h35
Genre : Drame
Date de sortie : 30 juin 2021

3.5/5

Française d’origine algérienne, Yamina Benguigui est tout à la fois autrice, femme politique et réalisatrice de cinéma et de télévision. Celle adjointe à la Mairie de Paris, en charge des Droits de l’Homme et de la Lutte contre les discriminations de 2008 à 2012, puis Ministre déléguée à la Francophonie auprès du ministre des Affaires étrangères Laurent Fabius de juin 2012 à mars 2014Sœurs n’est que son deuxième long métrage de fiction. Le scénario de Sœurs a été écrit par Yamina Benguigui  en collaboration avec sa fille Farah  et Sylvain Saada.

Synopsis : Depuis trente ans, trois sœurs franco-algériennes, Zorah, Nohra et Djamila vivent dans l’espoir de retrouver leur frère Rheda, enlevé par leur père et caché en Algérie. Alors qu’elles apprennent que ce père est mourant, elles décident de partir toutes les trois le retrouver en Algérie dans l’espoir qu’il leur révèle où est leur frère. Commence alors pour Zorah et ses sœurs une course contre la montre dans une Algérie où se lève le vent de la révolution.

Une mère et ses 3 filles

C’est d’abord à Saint-Quentin que nous entraine Sœurs, dans une famille française aux origines algériennes. Une famille exclusivement féminine autour de Leïla, la mère, de ses 3 filles, Zorah, Djamila et Norah, et de Farah, la fille de Zorah. Il faut dire que Leïla est divorcée de son ex mari Ahmed, un combattant de la cause algérienne qui, lui, vit en Algérie et qui, 29 ans auparavant, avait enlevé Norah ainsi que Rheda, le petit frère. Une expédition d’exfiltration avait permis de ramener Norah, mais, par contre, Leïla et ses filles n’ont plus aucune nouvelle de Rheda et Leïla souffre beaucoup de cette absence. Bien que sœurs, Zorah, Djamila et Norah sont très différentes et l’entente entre elles est loin d’être toujours cordiale. Zorah, l’ainée, écrit des pièces de théâtre qu’elle met en scène au théâtre Jean Vilar de Saint Quentin. Djamila, elle, s’est impliquée dans la politique et elle est devenue la maire de la ville. Quant à Norah, la plus jeune, on apprendra que son côté en apparence désagréable vient du fait qu’elle est schizophrène et qu’elle a tendance à jeter les médicaments plutôt que de les prendre. Alors que Leila et ses filles s’embrouillent au sujet de la dernière production de Zorah, en cours de répétition, une pièce racontant l’histoire de sa famille et que Leïla, Djamila et Norah rejettent dès qu’elles en apprennent l’existence, une cousine d’Alger leur apprend qu’Ahmed vient de faire un AVC et qu’il est au plus mal. N’est-ce pas l’occasion pour les 3 sœurs d’aller le visiter en Algérie et de profiter de sa faiblesse pour qu’il leur apprenne où se trouve Rheda, le petit frère ?

Une construction très habile

C’est grâce à une construction très habile que Sœurs nous apprend petit à petit l’histoire de la famille de Leïla, d’Ahmed et de leurs 4 enfants. Cette construction comprend 3 couches de récit : il y a d’abord le présent, avec ce qui se passe à Saint-Quentin entre Leïla et ses filles ainsi que les répétitions de la pièce de Zorah, puis ce qui se passe en Algérie. Il y a ensuite tout ce qui concerne le passé, un passé qu’on visite de deux façons : un passé qu’on qualifiera de « fictif », celui qu’on appréhende au travers de scènes de cette pièce, avec Farah, la fille de Zorah, interprétant le rôle de Leïla, sa mère, avec 3 jeunes comédiennes interprétant les 3 sœurs et un comédien interprétant Ahmed, le père ; un récit du passé « réel » qui prend la forme de flashbacks venant tout droit des efforts de Zorah pour aller chercher dans sa mémoire la matière utilisable dans sa pièce et dans lesquels les protagonistes sont interprétés par les comédiens et les comédiennes du théâtre.

Avec la richesse que peut apporter l’observation de 3 générations de femmes aux origines algériennes et vivant en France, Sœurs est un film sur leurs places respectives tant dans la société française d’aujourd’hui que dans la société algérienne contemporaine. Leïla a connu le combat pour l’indépendance, elle s’est battue pour sa propre émancipation mais, finalement, elle a dû succomber au pouvoir écrasant des hommes. Certes, elle a eu la force de divorcer de façon à protéger ses enfants mais, du fait de ce choix, elle a subi le sort de ces femmes qui ont vu un ou plusieurs de leurs enfants kidnappés par leur père, profitant des failles entre la législation française et la législation algérienne. Les 3 sœurs sont nées en France et, pour parler vulgairement, elles y ont fait leur trou. Sauf que le périple qu’elles vont faire en Algérie va leur rappeler la situation difficile qui est la leur, partagée entre un pays, la France, dans lequel elles ont grandi mais qui est trop souvent loin de les avoir totalement acceptées et un autre pays, l’Algérie, qui ne les reconnait plus vraiment comme siennes. Une Algérie qu’elles vont découvrir en pleine ébullition, une grande partie de ses habitants se retournant de façon pacifique contre la dérive à base de corruption et d’absence de démocratie de la part de ses dirigeants. Les 3 sœurs vont alors se retrouver au milieu de manifestations dirigées contre les pères fondateurs de l’Algérie, c’est-à-dire en quelque sorte contre leur père.

L’interprétation

Pour interpréter les 3 sœurs, il était difficile de trouver meilleur trio que celui constitué par Isabelle Adjani (Zohra), Rachida Brakni (Djamila) et Maïwenn (Norah).  Concernant Isabelle Adjani, on ne l’avait pas revue au cinéma depuis Le monde est à toi, un abominable navet de Romain Gavras, sorti il y a 3 ans, et dans lequel il était impossible de donner un avis pertinent sur la qualité de son jeu tellement le film se noyait dans une affligeante bêtise. Sœurs permet de nous rassurer : Isabelle Adjani est toujours une excellent comédienne. Partagée entre le théâtre et le cinéma, Rachida Brakni n’envahit pas les écrans par sa présence. Par contre, elle n’oublie jamais d’être remarquable dans les films qu’elle honore de sa présence. Quant à Maïwenn, le caractère imprévisible de Norah faisait a priori de son rôle le plus difficile des trois à interpréter : reçue avec mention ! A noter que  Sœurs a été tourné avant ADN, un film réalisé par Maïwenn, et que ce n’est pas faire preuve de mauvais esprit que de trouver une certaine parenté entre les 2 films. Aux côtés des 3 sœurs, Hafsia Herzi, l’interprète de Farah est une représentante d’une autre génération de femmes aux origines algériennes, des femmes plus jeunes dont on se félicite que leurs qualités leur permettent de tracer de plus en plus facilement leur chemin dans le cinéma français, mais pour lesquelles, trop souvent, dans la vraie vie, l’intégration n’est toujours pas facile dans notre pays. Dans ce film consacré aux femmes, le seul rôle masculin important est celui du comédien chargé d’interpréter le rôle d’Ahmed, le père, dans la pièce de Zohra. On retrouve Rachid Djaïdani dans ce rôle, le talentueux réalisateur de Rengaine et de Tour de France.

Conclusion

Sœurs nous entraine auprès d’une mère d’origine algérienne et de ses 3 filles. Depuis près de 30 ans, cette mère vit un drame partagé par de nombreuses femmes ayant une situation similaire à la sienne : l’enlèvement d’un ou de plusieurs enfants par un ex-mari vivant en Algérie. L’espoir de retrouver leur frère va entrainer les 3 sœurs en Algérie au moment où le pays se retourne contre les pères de la nation. Très bien interprété et très habilement construit, Sœurs est une sorte d’exception dans le cinéma français : un film qui, pour une fois, s’intéresse aux problèmes particuliers des mères et des filles, de toutes les femmes issues de l’immigration.

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