De sang-froid
États-Unis : 1967
Titre original : In cold blood
Réalisation : Richard Brooks
Scénario : Richard Brooks
Acteurs : Robert Blake, Scott Wilson, John Forsythe
Éditeur : Wild Side Vidéo
Durée : 2h14
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 20 mars 1968
Date de sortie DVD/BR : 28 avril 2021
Le 14 novembre 1959. Une journée ordinaire pour les Clutter. Herb, un agriculteur qui a prospéré à force de travail et de volonté, sa femme Bonnie, à la santé fragile, et leurs enfants, Nancy et Kenyon, 16 et 15 ans, forment une famille aimée et respectée de tous à Holcomb, Kansas. À quelques heures de route, Perry Smith, la trentaine, des velléités artistiques mais déjà cabossé par la vie, tout juste sorti de prison, va retrouver un ancien codétenu, Dick Hickock, qu’il admire pour son charme et son bagout. Cette nuit-là, le destin de ces six êtres sera inéluctablement lié et scellé car les deux complices s’apprêtent à commettre le plus odieux des crimes. Et rien ne sera plus jamais comme avant…
Le film
[5/5]
Avant De sang-froid, le film de Richard Brooks, il y avait De sang-froid, le livre de Truman Capote – l’auteur au patronyme qui fait pouffer les ados en France depuis plus de 50 ans. Publié en 1966, le roman deviendra rapidement un classique incontesté de la littérature américaine du XXème siècle, s’écoulant à plus de huit millions d’exemplaires à travers le monde, et valant à Truman Capote une immense gloire.
Deux ans à peine après la pré-publication de l’ouvrage, sous forme de feuilleton, dans The New Yorker, Richard Brooks décide donc de se frotter à ce monument du « True crime » – De sang-froid relate en effet le meurtre brutal et bien réel d’une famille dans leur ferme de Holcomb, au Kansas, par deux tueurs qui seraient exécutés en 1965. Difficile donc pour Richard Brooks d’être en lien plus direct avec son temps. De la même façon que l’ouvrage de Capote, le film fut immédiatement considéré comme un chef d’œuvre, et obtint quatre nominations aux Oscars.
Il faut dire aussi que le cinéaste a bénéficié du soutien de Capote durant le tournage. Le rythme et la construction du récit sont respectés, jusque dans les effets de « miroir » que suggérait le livre (concernant la relation au père notamment), ainsi que dans la tension homo-érotique qui se dessine, au fil des séquences, entre les deux tueurs – celle-ci est mise en avant par de nombreux dialogues, ainsi que par une poignée de procédés propres au genre cinématographique. Ainsi, De sang-froid multiplie les associations d’idées dans l’esprit du spectateur, créées par l’image, et tend à ce niveau-là à dépasser légèrement le bouquin, qui se bornait à une enquête factuelle, sans jugement ni prise de position.
Pour autant, le film s’avère également très fidèle au récit d’origine, répondant au goût de Capote pour le réalisme. Il nous propose ainsi une reconstitution littéralement saisissante du fait divers – d’abord caché au spectateur, mais qui lui sera révélé après l’arrestation des deux criminels – ainsi que du travail de la police. L’attachement de Richard Brooks au réalisme de l’ensemble est tel que certaines scènes seront tournées sur les lieux du crime, dans la maison même des Clutter où la famille a été assassinée. Idem pour le décor de la salle du tribunal où s’est déroulé le procès de 1960. Encouragé par l’obsession de Capote pour ce fait-divers qui marquerait à jamais son existence, Brooks pousse le vice jusqu’à intégrer dans son film certains protagonistes « réels » du drame, qui y incarnent leurs propres personnages (jurés, commerçants…).
On notera quand même deux différences notables entre le roman et la version cinéma de De sang-froid. S’il ne s’agit que d’un détail minime, le réalisateur Richard Brooks ajoute au déroulement des événements une relation d’estime se nouant peu à peu entre Alvin Dewey, le policier chargé de l’enquête (John Forsythe) et un journaliste nommé Jensens, incarné par Paul Stewart. Ce dernier est en fait l’image de Truman Capote lui-même, même si physiquement, il en est fort éloigné – Paul Stewart n’est en effet en rien le reflet du romancier, différent en âge, en physionomie et en taille de Capote.
Le film prend également une autre liberté avec la réalité dans son dernier acte. Au moment où le criminel incarné par Robert Blake, voit passer à la fenêtre la silhouette de son complice marchant en direction du gibet, son monologue semble suggérer une prise de position de Richard Brooks contre la peine de mort, alors même que le livre s’achevait de façon beaucoup plus sèche sur la mort des deux criminels. Il semble néanmoins qu’il ne s’agisse pas ici d’une mise en boite de Capote de la part du cinéaste, mais simplement d’un moyen d’exprimer sa sensibilité sur le sujet délicat de la peine de mort.
Les deux tueurs, Perry Smith et Dick Hickock, sont incarnés à l’écran par Robert Blake et Scott Wilson. Le choix de Brooks est excellent, les deux acteurs sont extraordinaires et donnent littéralement vie aux deux personnages. Dès les premières séquences, lorsque les hommes se rencontrent et que la caméra commence à les suivre, Richard Brooks instaure une espèce de tension sourde à son récit, tant il est évident que ces deux-là – et en particulier Hickox, qui s’impose comme un vrai personnage de vicieux – ont l’intention de faire quelque-chose de terrible. Ainsi, l’énergie négative qui les entoure rend douloureusement évident que les choses finiront mal.
Au fil des plans d’introduction, et alors que filent les kilomètres qui les séparent du lieu du crime, Richard Brooks parvient à créer une atmosphère délétère, teintée d’une intense frustration sexuelle. La relation entre les deux hommes, à la fois teintée de peur et bizarrement très intime se voit ainsi alliée à l’utilisation d’un noir et blanc extrêmement marqué. Cette idée habile permet au cinéaste de faire émerger du noir une constante présence de la mort flottant au-dessus des deux criminels, qui semblent à tout moment prêts à relâcher leurs pulsions les plus animales.
C’est dans ce mélange de rigueur réaliste et d’artifices / de trouvailles de mise en scène pure que réside la plus grande force de De sang-froid. Le film place le spectateur littéralement aux côtés des deux personnages, qui finissent par en devenir attachants, jusque dans leurs fêlures, en partie grâce au fait que l’on ignorera tout ou presque de leurs actes sur les lieux du crime jusqu’au dernier acte du récit. Le dernier tiers du film en revanche se concentre sur l’interrogatoire des deux tueurs, leur confession (qui sera illustrée par les événements ayant pris place dans la maison des Clutter). Suivront ensuite leur condamnation, ainsi que leur attente de la mort dans leur cellule de prison. Durant le dernier acte du film, diverses procédures, règles et rituels prenant place dans le « couloir de la mort » sont décrits et analysés, ce qui tend à renforcer l’impact de la dernière séquence. Ces choix de construction, ainsi que le soin apporté par Brooks afin de dessiner le portrait psychologique des tueurs de la façon la plus neutre possible, permet au film de conserver en grande partie le recul pris par Truman Capote dans son roman.
Le coffret Mediabook (Blu-ray + DVD + Livret)
[5/5]
Débarquant en Blu-ray sous les couleurs de Wild Side Vidéo, De sang-froid bénéficie grâce à l’éditeur d’une superbe édition Blu-ray + DVD + livret inédit de 80 pages, le tout prenant la forme d’un élégant Mediabook nous proposant une affiche noir et blanc signée Thierry Couquard, et donnant réellement à l’objet une classe folle. Si Wild Side espace de plus en plus ses sorties depuis quelques années, sa riche collection de Blu-ray « Prestige » est parvenue à se faire une place de tout premier ordre dans le cœur des cinéphiles français, et chaque nouvelle sortie s’impose comme un petit événement. S’imposant comme de véritables références en terme de qualité de transfert et de suppléments, les titres de la collection se suivent et ne se ressemblent pas… Et c’est tant mieux !
Côté Blu-ray, l’image est propre et stable, le grain argentique a été soigneusement préservé ; le piqué est précis, les contrastes sont remarquables et renforcent l’impact du noir et blanc imaginé par Richard Brooks et assuré par son directeur photo Conrad Hall – les blancs tranchent carrément dans le vif et les noirs sont profonds sans être bouchés. L’encodage est sans souci, les gros plans sont vraiment de toute beauté, et on ne trouvera aucune trace visible d’un passage de l’image au DNR ou réducteur de bruit. Côté son, l’éditeur nous propose deux pistes audio en DTS-HD Master Audio 2.0, propres, sans souffle, proposant une immersion parfaite au cœur de cet étrange film. Pour les curieux, le film est également proposé en Vf et VO en DTS-HD Master Audio 5.1, avec une spatialisation discrète respectant globalement le rendu acoustique d’origine, mais renforçant l’immersion par une habile restitution des ambiances.
Rayon suppléments, Wild Side nous propose tout d’abord de nous plonger dans une présentation du film par Patrick Brion (39 minutes), qui nous livre ici un boulot d’analyse autrement plus complet que sur les modules qu’il nous propose régulièrement pour la collection « Westerns de légende » de Sidonis Calysta. Il y reviendra donc sur la genèse de De sang-froid, sur les thématiques développées par le film, ainsi que sur ses influences et la place qu’il occupe dans la carrière de Richard Brooks. On notera par ailleurs qu’il prend bien soin de prononcer le nom du romancier à l’origine du film « Capoti », histoire bien sûr de ne pas faire pouffer les ados. On continuera avec un entretien avec Richard Brooks (19 minutes), accordé en 1988 à l’émission Cinéma Cinémas. Le cinéaste y évoquera ses multiples rencontres avec Truman Capote, sa décision de tourner en noir et blanc, les différents endroits qu’il a visités au cours du processus de pré-production, le casting de Robert Blake et Scott Wilson, etc. Très intéressant ! On terminera ensuite le tour des bonus vidéo avec un entretien avec Stéphane Lerouge, qui évoquera la musique originale de Quincy Jones (30 minutes). Il reviendra sur les structures harmoniques et rythmiques, sur la façon dont la musique s’intègre à l’image, ainsi que, d’une façon plus globale, dans le montage du film en général. Il évoquera également la carrière du musicien et son rapport au cinéma.
On terminera enfin le tour des suppléments avec le livret inédit de 80 pages, intégré au boîtier, et écrit par Philippe Garnier. Illustré de nombreuses photos d’archives, ce livret nous propose un court texte d’une vingtaine de pages se concentrant essentiellement sur l’œuvre de Truman Capote et du sordide fait divers qui l’a inspiré.