Critique : La Troisième guerre

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La Troisième guerre

France, 2020

Titre original : –

Réalisateur : Giovanni Aloï

Scénario : Dominique Baumard & Giovanni Aloï

Acteurs : Anthony Bajon, Karim Leklou, Leïla Bekhti et Arthur Verret

Distributeur : Capricci

Genre : Drame militaire

Durée : 1h31

Date de sortie : 22 septembre 2021

3/5

Le troisième confinement, on y a échappé de justesse la semaine dernière. Cependant, tout porte à croire qu’on devra passer par là avant la sortie du premier long-métrage de Giovanni Aloï, prévue fin mars ou ultérieurement. Et la troisième guerre, on y serait déjà ? En effet, le film du même titre ne relève pas du récit d’anticipation, où l’état policier aurait pris le dessus et où nos libertés citoyennes et notre confort de vie relatif seraient définitivement passés à la trappe. Non, le conflit larvé évoqué dans La Troisième guerre, on le vit déjà chaque jour. Sauf que la focalisation médiatique sur les questions liées à la pandémie du coronavirus et la routine de voir des militaires armés jusqu’aux dents patrouiller dans les rues de Paris et d’ailleurs nous l’ont fait un peu oublier. Tant mieux alors que le regard extérieur, d’un réalisateur d’origine italienne, nous le rappelle, sans alarmisme, mais avec une sensibilité accrue et fortement appréciable quant à la réalité de vie des soldats déployés en mission Vigipirate !

La conclusion moins convaincante de l’intrigue mise à part, quand les rares enjeux dramatiques sont condensés d’une manière un peu trop forcée, la narration s’emploie à dresser un état des lieux nullement glorieux de nos hommes en uniforme. Mais attention, nullement démagogique ou condescendant non plus ! Giovanni Aloï préfère le point de vue de l’observateur quasiment neutre, quoique très bien placé pour ausculter le quotidien assez terne d’une patrouille de surveillance, à la fois sur le terrain et à la caserne. Ces deux hommes sous l’ordre d’une femme, avec un troisième coéquipier qui fait surtout figure de boulet, nous paraissent tristement représentatifs de ce qu’est l’armée française en ce début d’un XXIème siècle guère héroïque. A savoir une bande de têtes brûlées, en quête d’ordre et de discipline, si elles ne se sont pas tout bêtement engagées afin d’assouvir un plan de carrière bancal ou de se rassurer en termes de rôle à jouer dans ce monde qui les dépasse.

© 2020 Alex Pixelle / Bien ou Bien Productions / Capricci Tous droits réservés

Synopsis : Nouvelle recrue dans le régiment chargé d’assurer la sécurité à Paris dans le cadre de la mission Sentinelle, Léo Corvard a avant tout choisi ce métier pour quitter sa province natale sinistre. En compagnie du plus expérimenté Hicham et sous les ordres de la sergente Yasmine, il arpente jour après jour les rues de la capitale à l’affût d’une menace qui tarde à se concrétiser.

© 2020 Alex Pixelle / Bien ou Bien Productions / Capricci Tous droits réservés

Servir à quelque chose

On a un peu de mal à décider si Anthony Bajon est l’exemple parfait du jeune espoir du cinéma français en train de réussir brillamment son début de carrière grâce à ses choix de rôles éclectiques ou bien si, au contraire, en s’exposant presque à outrance – une fois que les salles ouvriront, il sera sans cesse à l’affiche – il ne dilapide pas précocement son talent et l’envie du public de le voir évoluer. Toujours est-il que dans La Troisième guerre, il nous gratifie d’une interprétation à fleur de peau, simultanément attachante et inquiétante. En rupture avec son passé familial déprimant à La Roche-sur-Yon, ce petit jeune symbolise magistralement le malaise de toute une génération, hélas appelé à s’accentuer encore au fil des conséquences économiques et sociales de la crise sanitaire. Vaguement idéaliste, Léo défend un code d’honneur rafistolé de toutes pièces, qui n’avait en fait pas plus cours hier qu’il n’est pertinent aujourd’hui.

Pourtant, la mise en scène sait transformer ce personnage impulsif, voire fanatique, en un être filmique aux fêlures intrigantes. L’écart entre ses traits encore enfantins et son comportement qui cherche à projeter une forme de sagesse pour laquelle il est de toute évidence trop jeune, le scénario ne cherche guère à l’amoindrir artificiellement. Ses actions restent toujours un brin prévisible. Comme lorsqu’il prend sa conquête d’un soir de permission en photo, histoire de pouvoir frimer avec elle devant ses camarades à la virilité débordante. Mais au fond, il ne se rapproche jamais réellement de l’image d’Épinal du héros de guerre, droit dans ses bottes et dépourvu de quelque pensée déviante que ce soit. Les supports de ses différents écarts à la conduite exemplaire d’un soldat ont beau ne pas briller par leur originalité. Ils sont néanmoins remplis d’un souffle de vie troublant, grâce à l’interprétation remarquable de Anthony Bajon.

© 2020 Alex Pixelle / Bien ou Bien Productions / Capricci Tous droits réservés

La guerre, c’est pour les durs

Or, ce débutant aussi maladroit que bien intentionné dans la profession d’homme de guerre n’est que la pointe de l’iceberg des troubles au sein d’un corps de métier situé malgré lui en marge de la société. Contrairement à ce que l’on peut voir dans la plupart des films de guerre au sens large, les soldats dans La Troisième guerre font preuve d’une cohésion sociale sans le moindre subterfuge romantique. En effet, ils sont tous logés à la même enseigne d’origines modestes et du discours personnel qui va avec. Ainsi, certains expriment des opinions plus délirantes que d’autres et leur camaraderie passe plus par des passe-temps communs que par un hypothétique lien prolétaire indéfectible. Mais on cherchera en vain parmi eux des voix de la raison ou des points d’une identification faussement aisée. Car le monologue de Léo en guise de voix off relève du même délire d’invention d’une raison d’être que les récits risibles de ses frères d’armes sur des exploits guerriers au Mali, a priori inventés de toutes pièces.

Cette crise de sens n’est toutefois nullement plus criante que lors des missions dans les rues de Paris et de sa proche banlieue. D’une absurdité consternante, elles ont presque tendance à créer une menace là où il n’y en a pas. On ne va pas rentrer en détail dans ces nombreuses fausses alertes qui se terminent plus ou moins bien, selon la loi tacite de la routine d’un ennui mortel. Heureusement, le point de vue de Giovanni Aloï s’avère assez saisissant pour captiver la tension qui pèse sur chacune de ces interventions. Ces dernières ne font qu’ajouter à la frustration grandissante des membres de l’armée, pris entre les deux fronts du crime soi-disant banal d’un côté et de la population qui ignore son impuissance légale de l’autre. Et Leïla Bekhti en supérieure très avare en instinct protecteur, et Karim Leklou en grande gueule inoffensive gèrent ce stress permanent avec une efficacité discutable, là où il fait carrément l’effet d’une cocotte minute psychologique sur leur jeune compagnon de mésaventures.

© 2020 Alex Pixelle / Bien ou Bien Productions / Capricci Tous droits réservés

Conclusion

Même si l’on ne partage pas nécessairement la supposition de Giovanni Aloï qu’on serait d’ores et déjà pris dans l’engrenage d’une troisième guerre, par déduction mondiale, on ne peut qu’apprécier l’attention qu’il porte dans son premier film à un aspect du paysage urbain qu’on ne regarde même plus. Notre manque d’intérêt à l’égard de ces hommes et de ces femmes en uniforme ne signifie pourtant pas que ceux-ci ne doivent plus remplir leur mission, vaille que vaille. Grâce aux interprétations intenses de Anthony Bajon et, dans une moindre mesure, de Leïla Bekhti et Karim Leklou, La Troisième guerre donne de façon filmique corps à ce dilemme. A travers un discours qui ne se veut presque jamais complaisant, le réalisateur y pose les bonnes questions : sur la nature profonde de l’armée française à l’heure actuelle et sur l’utilité d’une mission rendue désormais encore un peu plus problématique par temps de pandémie.

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