Le couteau sous la gorge
France : 1986
Titre original : –
Réalisation : Claude Mulot
Scénario : Claude Mulot
Acteurs : Florence Guérin, Brigitte Lahaie, Alexandre Sterling
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h21
Genre : Thriller
Date de sortie cinéma : 18 juin 1986
Date de sortie Blu-ray : 20 novembre 2020
Mannequin pour une agence spécialisée dans la photo de charme, Catherine débarque un soir dans un commissariat de Paris, en proie à une peur panique. Elle prétend avoir subi un viol. Cependant, le commissaire l’éconduit gentiment, Catherine ayant une réputation de mythomane — victime de cauchemars récurrents, la jeune femme a fini peu à peu par confondre rêve et réalité. Aussi, quand un maniaque se met à décimer son entourage proche et à la harceler, personne ne la croit, pas même la police. Seul Nicolas, son voisin, est en mesure de lui apporter un peu de réconfort. Mais, à son tour, il est agressé…
Le film
[3,5/5]
En 2019, Le chat qui fume décide de braquer son gros projecteur turgescent sur la carrière de Claude Mulot. Cet éclairage nouveau et bien mérité a donc permis à une joyeuse poignée de cinéphiles de découvrir le plus gros de son œuvre, jusqu’ici invisible. Le travail de « mémoire » effectué ici par l’éditeur français est vraiment à souligner, dans le sens où il a permis de redécouvrir une poignée d’œuvres majeures, telles que La rose écorchée, La saignée et Les charnelles. Si Le chat sera probablement trop modeste pour l’admettre, son boulot est sans doute encore plus remarquable dans le sens où il est parvenu à amener une petite communauté de cinéphiles qui ignoraient tout de Mulot et de ses films à découvrir une poignée de chefs d’œuvres oubliés.
Car avant Le chat qui fume, pour les cinéphiles, la carrière de Claude Mulot se résumait le plus souvent à une poignée de films X réalisés sous le pseudonyme de Frédéric Lansac (Le sexe qui parle, La femme-objet) ainsi qu’à un film ayant écumé en DVD les bacs à soldes de France et de Navarre ces quinze dernières années : Le couteau sous la gorge. Un temps couplé avec L’exécutrice au cœur d’un bi-pack DVD dédié à Brigitte Lahaie, le film de Mulot fait partie, avec Police des mœurs par exemple, de ces DVD techniquement tout pourraves qui pullulaient littéralement à bas prix au début des années 2000. LCJ, Opening, Tiffany, DVDY, Prism, Global Pictures, Fravidis, Bach Films… De nombreux éditeurs peu regardants sur les masters ou la qualité technique sévissaient à l’époque – et certains sévissent d’ailleurs encore aujourd’hui !
Hommage appuyé au giallo, Le couteau sous la gorge n’est certes pas le meilleur film de Claude Mulot, mais il s’avère tout de même un bon petit représentant d’un cinéma de genre à la Française 80’s faisant littéralement de la résistance. En effet, en 1986, rares étaient les français osant se lancer dans le genre, et les maigres budgets alloués aux courageux limitaient la plupart du temps leur ambition. Cela dit, Le couteau sous la gorge n’a rien du nanar auquel on aurait pu s’attendre : le film de Claude Mulot bénéficie en effet d’une vraie photographie, d’un montage soigné et d’une musique d’Alain Guélis très présente, qui contribuent finalement à lui donner un cachet de série B de luxe, bien éloigné de la série Z au cœur de laquelle se vautrait occasionnellement le genre en Europe au début des années 80.
De plus, on notera que si l’influence du giallo est extrêmement présente d’un point de vue formel, le récit imaginé par Claude Mulot pour Le couteau sous la gorge s’écarte dans un premier temps volontairement du schéma narratif habituel du genre en nous montrant le tueur à visage découvert se jeter sous un camion, pris de remords après avoir cédé à l’appel du meurtre. Une façon habile de brouiller les pistes avant de réintégrer plutôt habilement les rails du whodunit. Bien sûr, la révélation finale ne sera pas forcément de première fraicheur, mais l’ensemble est bien torché et la mise en scène de la scène révélant l’identité du tueur sera mise en scène avec une telle fougue et une telle folie giallesque que le plaisir sera forcément de la partie pour le spectateur.
Le plaisir n’en sera que d’autant plus grand que quelques scènes demeurent encore de nos jours extrêmement efficaces, telles que la scène du cimetière, portée par la grosse musique au synthé d’Alain Guélis le rapprochant du slasher américain. On pense aussi à la grande mobilité de la caméra de Mulot, qui nous propose également de superbes plans steadicamés dans des couloirs inquiétants n’étant pas sans rappeler un film comme Shining, tandis que le motif récurrent de l’ascenseur métallique rappellera forcément le cinéma de Brian De Palma. Les dialogues sont plutôt bien écrits, et du côté de l’interprétation, Brigitte Lahaie et Alexandre Sterling (La boum) tiennent le haut du pavé, s’en sortant plutôt bien grâce à un jeu très naturel, n’apparaissant jamais forcé ou excessif. On ne pourra pas en dire de même du jeu de Florence Guérin, qui balade ses grands yeux de cartoon triste tout le long du film avec un Art de l’exagération qui, finalement, colle plutôt au personnage de mythomane complètement perdue qu’elle incarne dans Le couteau sous la gorge et ne gêneront en rien le spectateur. On sera également ravis de retrouver Francis Lemonnier dans le rôle du commissaire de police : déjà présent dans La saignée ainsi que dans Les charnelles, il prouvait une nouvelle fois ici sa fidélité à Claude Mulot, qui s’éteindrait malheureusement quelques mois après la sortie du film.
Le Blu-ray
[5/5]
Est-il seulement nécessaire de préciser, après notre entrée en matière quelques lignes ci-dessus, à quel point cette édition Blu-ray du Couteau sous la gorge estampillée Le chat qui fume s’avère supérieure à l’antique édition DVD éditée par LCJ Éditions ? L’upgrade et l’apport Haute-Définition dont nous permettent de bénéficier ce nouveau Blu-ray est visible comme le menton au milieu de la figure des Bogdanov. Ne serait-ce qu’avant d’insérer la galette du film dans votre lecteur, vous ne pourrez que saluer le travail de l’éditeur et de son graphiste Frédéric Domont. Oubliez la jaquette LCJ composée par un stagiaire sous acides, et régalez-vous du visuel absolument superbe proposé par Le chat. Régalez-vous également de la classe intégrale de ce digipack à trois volets surmonté d’un étui cartonné. Et dépêchez-vous de l’acheter sur le site de l’éditeur, cette édition est limitée à 1000 exemplaires.
Côté Blu-ray, c’est vraiment une totale redécouverte que nous propose Le chat qui fume avec sa restauration du Couteau sous la gorge. L’image est proposée au format, et nous propose un gain sensible de précision côté image ; la photo du film est lumineuse, et le piqué est très satisfaisant, le tout est proposé dans un master stable, avec de belles couleurs vives et surtout un grain argentique parfaitement préservé. Côté son, la version française est proposée en mono d’origine et mixée en DTS-HD Master Audio 2.0. La restitution des dialogues est de la plus parfaite clarté, et l’omniprésente musique d’Alain Guélis bénéficie d’une belle mise en avant.
Du côté des suppléments, on commencera avec un entretien avec Florence Guérin (24 minutes). L’actrice y reviendra sur ses débuts dans le cinéma, puis sur ses souvenirs des films qu’elle a tournés aux côtés de Claude Mulot, à savoir Black venus et Le couteau sous la gorge. Elle reviendra ainsi sans langue de bois sur un tournage difficile, et abordera également sa riche carrière en Italie dans les années 80/90 – on se souvient notamment de sa prestation dans le très sulfureux film de Salvatore Samperi intitulé La bonne, un peu oublié en France de nos jours. Elle évoquera aussi les différents drames qui ont marqué sa vie personnelle (alcoolisme, mort de son fils) et l’ont tenue écartée des plateaux de cinéma.
On continuera ensuite avec un entretien avec Brigitte Lahaie (10 minutes), qui se remémorera son expérience d’actrice aux côtés de Claude Mulot. Elle se souvient d’un cinéaste qui, même sur les tournages de films porno, semblait beaucoup plus intéressé par leur côté « cinématographique » que par leur côté purement « sexuel », qui semblait ne pas réellement l’intéresser. Concernant Le couteau sous la gorge, elle est convaincue d’avoir été imposée par René Château (producteur) plutôt que d’avoir été réellement « choisie » par Claude Mulot. Et quand elle se prend à comparer Claude Mulot et Jean Rollin, elle déclare que cela revient à comparer une poule et un aigle : « Je ne dirai pas qui est la poule et qui est l’aigle… (…) Deux êtres qui n’ont absolument aucun point commun ».
Last but not least : Le chat qui fume nous propose également de découvrir, au format Haute-Définition, l’avant-dernier film de Claude Mulot, Black venus, sorti sur les écrans français en 1983. Il s’agit d’un film érotique en costumes, adapté de Balzac par le prestigieux Harry Alan Towers (Le masque de Fu Manchu, Le cirque de la peur…). Black venus est une production élégante, en partie financée par Playboy et présentée dans sa version intégrale de 95 minutes (en VF / VO et DTS-HD Master Audio 2.0, mais sans sous-titres).
Si on ne tarit pas d’éloges concernant la mise en scène de Claude Mulot, la superbe photographie de Jacques Assuérus et le faste des décors et des costumes en général, on déplore en revanche un peu le faible investissement des acteurs et surtout des actrices du film, qui le tirent clairement vers le bas en jouant comme des truffes. Cela dit, si vous parvenez à faire abstraction de cela, l’ensemble s’avère absolument divertissant dans son genre – une curiosité très méconnue mais intéressante de la carrière de Claude Mulot, cinéaste décidément plein de surprises.