La Conspiration des belettes
Argentine, Espagne, 2019
Titre original : El cuento de las comadrejas
Réalisateur : Juan José Campanella
Scénario : Darren Kloomok & Juan José Campanella, d’après une pièce de Augusto Giustozzi & José Martinez Suarez
Acteurs : Graciela Borges, Oscar Martinez, Luis Brandoni et Marcos Mundstock
Distributeur : Eurozoom
Genre : Comédie
Durée : 2h09
Date de sortie : 21 juillet 2021
3/5
Une vieille demeure isolée où habite, tel un fantôme car oubliée de tous, une célébrité de l’âge d’or du cinéma. Quel cinéphile qui se respecte ne pense pas immédiatement au chef-d’œuvre de Billy Wilder en entendant cette prémisse ? Or, avec La Conspiration des belettes, on arpente au moins autant le Boulevard du crépuscule qu’on goûte à l’Arsenic et vieilles dentelles de Frank Capra. En effet, ce film argentin récupère astucieusement la nostalgie morbide du premier et le fol humour macabre, ainsi qu’un certain sens de la théâtralité, du deuxième pour en faire un divertissement de haut vol. Cela fait un bon bout de temps qu’on n’a pas suivi un récit faisant si souverainement abstraction des petits tracas du monde, tout en restant cohérent dans la poursuite de son dessein machiavélique !
Juan José Campanella – un réalisateur qui n’a apparemment le droit de voir l’un de ses films sortir au cinéma en France qu’une fois tous les dix ans – y alimente sans compter tous les ressorts de la comédie loufoque aux forts accents mélodramatiques. La quiétude du quotidien, tout juste ponctuée d’éternelles chamailleries entre vieilles canailles, ne tarde pas à y voler en éclats, au profit d’une guéguerre savoureuse autour de l’affection et de la fortune immobilière de la diva sur le déclin. Chaque nouveau retournement de situation y fait mouche, aussi parce qu’on le voit venir de loin et que, malgré tout, l’ensemble des acteurs sans reproche réussit à nous faire croire aux enjeux dramatiques de cette farce plaisante.
Synopsis : Autrefois, Mara Ordaz était l’actrice la plus admirée du cinéma argentin, lauréate d’un Oscar à Hollywood. A présent, le temps de sa gloire est loin derrière elle. Elle passe ses journées dans une grande maison à la campagne, en compagnie de son mari Pedro, également un ancien acteur, et des deux hommes à qui elle devait jadis son succès : son réalisateur Norberto Imbert et son scénariste Martin Saravia. Rien ne semble pouvoir perturber ce climat chargé en vieilles rancunes et autres piques verbales tournant en boucle. Jusqu’au jour où Barbara et Francisco, un couple de jeunes agents immobiliers sans scrupules, entament leur opération de séduction envers Mara.
Une affaire de professionnels
D’emblée, le ton est donné. Pendant que la star d’avant-hier regarde avec beaucoup de mélancolie ses films d’antan et qu’elle termine sa routine matinale avec la pantomime grotesque de son discours de remerciements, une pâle copie de l’Oscar à la main qui trône sinon au centre névralgique de la maison, la gente masculine se complaît à massacrer toutes sortes de rongeurs parasitaires. Dans La Conspiration des belettes, on a certes le droit de rigoler, mais le rire sera jaune dans la plupart des cas. La faute ou plutôt le mérite à l’humour malicieux du scénario. Celui-ci ne perd jamais de vue la tension malsaine qui règne parmi les quatre membres de ce microcosme d’un autre âge, pas encore prêts à passer le relais à la génération des jeunes loups sans âme.
Coupé du monde, ce drôle de ménage à quatre est tout sauf ce long fleuve tranquille à qui Norberto porte un toast au début du film. Il cache bien des mystères, plus sordides les uns que les autres. Le cynisme ambiant est en même temps le signe d’une loyauté à toute épreuve entre ces vieilles loques du cinéma de papa. Puisque elles n’ont plus besoin de faire semblant, ni de faire attention à la sensibilité de leur interlocuteur, elles peuvent cracher en toute liberté le venin de la vanne blessante. Il s’agit d’un univers d’une grande stérilité créative et intellectuelle – malgré les tableaux et les sculptures de Pedro, un misérable artiste reconverti –, dont les couleurs criardes cachent assez mal la gangrène existentielle.
Les grands moyens
Il suffit alors d’un petit grain de sable, afin de dérégler cette mécanique douteuse d’une fin de parcours qui ne l’est pas moins. L’arrivée du couple de requins immobiliers ne fait qu’exacerber le cercle vicieux dans lequel Mara et son harem, peuplé d’hommes émasculés, se complaisent depuis si longtemps. Les intrus pratiquent, eux aussi, à la perfection l’art de la déception. Que leur victime tout désignée y succombe à une telle vitesse en dit plus long sur le charme de Nicolas Francella en bellâtre un peu trop sûr de lui que sur l’habileté du scénario. Et tant mieux, puisque c’est finalement le personnage qui évoluera le moins au fil de l’intrigue rocambolesque.
Les autres gagnent en épaisseur, au fur et à mesure que leurs intentions malhonnêtes apparaissent au grand jour. C’est avant tout le trio de vieux profiteurs qui se distingue par ses interprétations jubilatoires. Oscar Martinez en metteur en scène n’ayant jamais désappris à tirer en coulisses les ficelles du grand-guignol qui se joue chaque jour à nouveau chez lui. Marcos Mundstock en scénariste avec une obsession pour la tournure parfaite des mots, qui serait agaçante si elle n’était pas incarnée d’une manière aussi crédible. Et Luis Brandoni, à l’emploi le plus ingrat d’entre eux, qui sait néanmoins conférer à ce tâcheron dans tous ses champs d’activité une noblesse guère utile. Sans exception, ils font preuve d’un sens du timing imparable pour nous faire avaler certaines énormités du scénario.
Quant aux rôles féminins, ils s’avèrent encore plus ambigus. Derrière ses grands airs narcissiques, Graciela Borges crée le portrait d’une femme écrasée sous le poids de la célébrité éphémère, qui n’a jamais su comment se relever, une fois qu’il ne pesait plus sur ses frêles épaules. Et Clara Lago campe une femme fatale du XXIème siècle des plus fascinantes, à la fois fauve et pion sur l’échiquier de la méprise permanente.
Conclusion
Plus de dix ans après Dans ses yeux, Oscar du Meilleur Film étranger en 2010, Juan José Campanella nous revient avec un sujet infiniment plus léger que l’intrigue policière du film avec Ricardo Darin. Pourtant, l’aspect survolté de La Conspiration des belettes ne prend jamais tout à fait le dessus sur le fond lugubre de l’histoire. Cette dernière vit principalement grâce aux acteurs et parfois malgré la narration, un peu trop prévisible de la part d’un réalisateur, dont on n’est guère étonné d’apprendre qu’il travaille davantage à la télévision que pour le cinéma. (Permettez-nous ce vestige du snobisme cinématographique, qui colle après tout très bien avec l’univers rétro de cette comédie aux personnages joyeusement mal intentionnés !)