Critique : Bac Nord

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Bac Nord

France, 2020

Titre original : –

Réalisateur : Cédric Jimenez

Scénario : Cédric Jimenez & Audrey Diwan

Acteurs : Gilles Lellouche, Karim Leklou, François Civil et Adèle Exarchopoulos

Distributeur : Studiocanal

Genre : Policier

Durée : 1h44

Date de sortie : 18 août 2021

3/5

Les Français et leur police, c’est un lien complexe qui puise bien plus profondément dans les phobies de la conscience collective que le rythme hélas régulier des faits d’actualité voudrait nous le faire croire. On n’ira certes pas jusqu’à dire que c’est une obsession nationale. Toujours est-il que ce corps de métier, cette branche du pouvoir en première ligne de l’attention publique est la cible d’un curieux acharnement. Que ce dernier soit justifié ou pas, c’est aujourd’hui plus que jamais l’appartenance politique de chacun qui le décide, au lieu d’une quelconque objectivité légale.

Même s’il est actuellement un peu mis en veille, le cinéma participe activement à ce débat qui relève presque de la cacophonie d’opinions. Les événements regrettables se succèdent en effet à une telle vitesse des deux côtés de cette ligne de plus en plus ténue entre la pègre et les représentants de la loi, que le moment de l’impact social grave risque de survenir plus tôt que tard. Dans un tel contexte de surchauffe policière, Les Misérables de Ladj Ly avait en quelque sorte raflé la mise, comme le prouvent son plébiscite de la part de spectateurs venus de tous horizons et son sacre à la dernière cérémonie des César.

Plus d’un an après la sortie de ce film remarquable, il n’est guère sûr que Bac Nord ait réussi à réinventer de la même sorte la donne du genre. Et après tout, ce n’était peut-être pas l’ambition du film de Cédric Jimenez. Car on y est davantage sur le terrain du récit voué au dur quotidien des flics en civil, de surcroît dans une ville aux tensions permanentes comme Marseille. La visée idéologique pratiquement exclusive du film consiste ainsi à interroger le bien-fondé d’une action, qui ne sert à rien. Son seul et unique but serait de faire plaisir au préfet et aux médias, pris au piège du réflexe de la réponse irréfléchie, là où une politique sociale ambitieuse aurait éventuellement pu sauver les cités du puits sans fond du crime organisé.


© 2020 Jérôme Macé / Chi-fou-mi Productions / Studiocanal / France 2 Cinéma Tous droits réservés

Synopsis : Officier d’une équipe d’intervention de la BAC Nord à Marseille en 2012, Greg n’en peut plus de se faire insulter à longueur de journée par de petits criminels, face à qui il se sent impuissant. Ses co-équipiers Yass, futur père de famille, et Antoine, très habile dans la récupération d’informations auprès de ses sources féminines, ne voient pas encore leur métier avec le même degré de frustration. Assez mal vus dans leur service à cause de leurs méthodes musclées, ils espèrent pouvoir se racheter une conduite, grâce au grand coup de filet que leurs supérieurs leur demandent à la suite de la publication d’une vidéo de justice punitive dans les cités. Sauf que pour tirer quelque chose de fiable de l’indicatrice d’Antoine, il faudra qu’ils se procurent cinq kilos de cannabis en guise de monnaie d’échange.

© 2020 Jérôme Macé / Chi-fou-mi Productions / Studiocanal / France 2 Cinéma Tous droits réservés

Les Affranchis de la corniche

Le genre policier est un tel terrain miné en termes idéologiques, que chaque nouveau film y négocie son positionnement d’une manière plus ou moins frileuse. Qui tient le rôle du méchant ? Et sur qui peut-on compter, afin de rétablir un peu de justice dans un monde qui semble en être dépourvu depuis longtemps ? Tels sont les enjeux récurrents pour les récits ne souhaitant pas passer complètement à côté de la vitalité tendue, que ce sujet brûlant inspire sur la place publique, virtuelle ou plus traditionnelle. Dans Bac Nord, on assiste à un déséquilibre pas toujours satisfaisant des forces. Nul doute que les héros sont les trois membres de l’équipe de la brigade, plus désabusés les uns que les autres dans l’exercice de leur travail qu’ils effectuent sans trop d’idéalisme.

Il y a Gilles Lellouche en tête brûlée, le fonctionnaire vieux et aigri avant l’heure, qui n’a pas réussi à prendre le virage de la responsabilité administrative derrière un bureau quand il était encore temps. Il peut compter en toute circonstance sur ses deux hommes, Karim Leklou en élément sage qui veille sur l’équilibre des tempéraments au sein de l’équipe, et François Civil, le beau gosse un peu sur les nerfs, futur célibataire endurci qui ne fait pas la cuisine, mais qui sait parfaitement jouer de son charme sur la gente féminine pour en tirer des informations précieuses. Un microcosme professionnel des plus ordinaires en somme, qui préfère jouer aux cowboys urbains plutôt que de s’encombrer avec de la paperasse pour un scooter volé et par ailleurs laborieusement récupéré.

Or, ce qui les réunit en plus de leur loyauté infaillible sur le champ de bataille d’une ville de plus en plus aux mains de la pègre, c’est la conscience aiguë que, quoiqu’ils fassent, leur action ne produira de bénéfices pour personne.


© 2020 Jérôme Macé / Chi-fou-mi Productions / Studiocanal / France 2 Cinéma Tous droits réservés

Flic et voyou ?

Car qui sont les antagonistes dans cette affaire cinématographique plus efficace qu’originale ? Pendant les deux premiers grands mouvements du scénario, ce sont les maîtres de la cité. Une force plus abstraite que clairement identifiable, avec cette absence assez préjudiciable de personnages, qui donneraient un visage à cette organisation de l’ombre, millimétrée au cri d’alarme près pour préserver l’enceinte du fort des temps modernes contre l’intrusion de la police. La seule exception est Kenza Fortas dans le rôle de l’indic, la seule à vouloir tirer son épingle du jeu en agissant sur les deux tableaux. Avec des conséquences néfastes pour tout le monde, en parfaite cohérence filmique avec le fait qu’on la voit soit s’entretenir en cachette avec Antoine dans les ruines d’une politique caduque de constructions en bord de mer, soit tristement seule lors de sa dernière apparition à l’écran.

Et puis, tout bascule avec le troisième et dernier chapitre du récit. Alors qu’on a pu apprécier la modération du manichéisme jusque là, la transposition de l’intrigue en milieu carcéral le fait resurgir de plus beau. Avant même ce dispositif des plus ennuyeux qui indique au spectateur à la fin du film par voie de texte ce que sont devenus les personnages, ces derniers perdent à la fois leurs repères et leur poigne dramatique. A présent, ils ne se battent plus pour se rassurer eux-mêmes sur leur utilité sociale. Non, désormais il est exclusivement question de prouver leur innocence et la pureté de leurs motifs dans ce léger écart à la loi, ayant conduit malgré tout à cette victoire très éphémère sur les voyous de la drogue.

Leur ennemi a désormais un nom : c’est le vilain système du calcul politique, la lâcheté de la hiérarchie qui retire ses jetons dès que l’opinion publique risque de s’offusquer. Sans aucun doute, on a déjà entendu des morales plus téméraires dans la riche tradition du cinéma policier en France !

© 2020 Jérôme Macé / Chi-fou-mi Productions / Studiocanal / France 2 Cinéma Tous droits réservés

Conclusion

Qui sait à quel endroit la discussion interminable sur la vocation de la police dans notre cher pays se trouvera, quand Bac Nord aura enfin le privilège de sortir sur les écrans de cinéma ? Finalement, peu importe, puisque le quatrième long-métrage de Cédric Jimenez alimente avant tout des philosophies de l’ordre et de la loi qui demeurent pérennes chez nous. Il le fait certes en flirtant parfois d’un peu trop près avec les clichés du genre. Mais dans l’ensemble, le récit reste plutôt solide, porté par des interprétations elles aussi sans faux pas notable. Y compris celle de Adèle Exarchopoulos, qu’on est content de retrouver avec un timbre de voix plus posé que celui dans son film précédent chez Quentin Dupieux.

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