ADN
France, 2020
Titre original : –
Réalisatrice : Maïwenn
Scénario : Maïwenn & Mathieu Demy
Acteurs : Maïwenn, Fanny Ardant, Louis Garrel et Dylan Robert
Distributeur : Le Pacte
Genre : Drame familial
Durée : 1h31
Date de sortie : 28 octobre 2020
3,5/5
Faire le deuil d’un proche n’est jamais facile. Ce n’est pas une chose qui se gère. Et si ces fameuses phases psychologiques que tout le monde connaît existent, c’est avant tout pour donner à l’individu endeuillé l’espoir que demain, après-demain, voire un jour lointain, ça ira mieux. Dans son cinquième long-métrage, Maïwenn s’approprie ce sujet délicat avec beaucoup de candeur. Elle n’en fait pas tout un drame. Son approche se distingue néanmoins par la part considérable de sensibilité à fleur de peau que l’on peut éprouver en regardant ADN. Il s’agit d’un film de personnages écorchés à vif, éprouvés jusqu’au dégoût par la complexité de leurs liens familiaux et pourtant capables de continuer à vivre.
Ce qui ne veut pas non plus dire que le fait de tourner la page de la génération des grands-parents se solde ici par le processus d’une ample libération des chaînes qui nous lient, chacun personnellement, à notre passé. Pour cela, le scénario co-écrit par la réalisatrice et Mathieu Demy – un homme de cinéma qu’on n’attendait pas forcément dans l’univers de Maïwenn, mais dont la présence fait finalement sens par rapport à la disparition de sa mère il y a un an et demi – évolue trop dans la digression transversale. En effet, le fil narratif n’ambitionne point de fournir des réponses définitives au dilemme existentiel du personnage principal. Il s’emploie davantage à accompagner sans aucun préjugé la quête identitaire à l’issue ouverte de cette femme aux multiples facettes, touchée au plus profond d’elle-même par la disparition de son grand-père algérien.
Synopsis : Le vieux Emir Fellah est le pilier de sa famille. Même s’il est désormais en maison de retraite et atteint de la maladie d’Alzheimer, ses proches adorent lui rendre visite. Quand il meurt, le délicat équilibre affectif au sein de sa famille se défait sans tarder. Sa petite-fille Neige, divorcée et mère de trois enfants, n’en peut plus de l’état d’esprit toxique de sa mère Caroline et de son père, séparés depuis longtemps. Elle veut en savoir plus sur le pays d’origine de ses ancêtres, quitte à effectuer un test ADN et même à faire les démarches nécessaires à l’ambassade d’Algérie.
Le passeport de ma mère
Soyez prévenus, on pleure beaucoup dans ADN. Et comment pourrait-il en être autrement, pour un film qui tient compte d’une façon à la fois si pudique et viscérale de la mort ? Le spectateur est inclus avec une grande adresse cinématographique dans le désarroi de cette famille, prête à s’entre-déchirer si ce n’était pour ce vieillard quasiment muet, autrefois l’exemple brillant d’une volonté d’intégration sincère en France. Les premières fissures apparaissent très tôt, dès que les retrouvailles autour de la publication en petit comité des mémoires du patriarche risquent de tourner au pugilat verbal généralisé. Eh oui, on est chez les tempéraments de feu ici, où la moindre étincelle, la moindre remarque de travers peut déclencher une nouvelle catastrophe. Nouvelle, parce que le bagage émotionnel de cette famille aux branches multiples n’en est plus à son premier différent majeur près.
Le semblant de connivence vole donc en éclats, suite à la mort paisible du vieux monsieur en plein mois d’août. Les membres de sa famille y réagissent certes différemment. Mais ce qui paraît surtout intéresser la mise en scène à ce moment-là du récit, ce sont les tentatives plus ou moins maladroites de faire perdurer l’édifice familial. Ce n’est alors sans doute pas par hasard que le membre le plus jeune et impulsif du clan, Dylan Robert dans son premier rôle de cinéma depuis son César du Meilleur espoir masculin pour Shéhérazade de Jean-Bernard Marlin en 2019, disparaît progressivement de la scène. Il n’a pas encore eu le temps d’accumuler les morceaux d’amour brisé que les autres personnages trainent derrière eux. Pour ceux-là commence dès lors un long processus de reconstruction, finalement sensiblement moins morbide, toutes proportions gardées, qu’on aurait pu le craindre.
La salive de mon père
Car rassurez-vous, ADN est aussi un film où l’on rit. Certes pas à pleins poumons, le sujet sombre s’y refuse malgré tout. Mais grâce à une acuité très appréciable de la part de Maïwenn pour le côté absurde de certaines situations. Le vecteur majeur de cette mise en perspective qui a tout du recul espiègle est le personnage interprété avec un humour caustique par Louis Garrel. Or, une fois la période la plus déprimante du deuil passée, Neige et les autres tentent de remonter à la surface de leur moral en berne en faisant appel à toutes sortes de bouées de sauvetage, aussi improbables soient-elles. Heureusement, ce travail sur soi ne suit aucune trajectoire établie d’avance. A l’image du personnage principal, il se fait par à-coups, selon l’inspiration du jour oserait-on écrire, si l’on n’était pas profondément convaincu du talent de conteuse humaniste de la réalisatrice.
A en croire ce film poignant, l’humanité selon Maïwenn, ce serait quelque chose d’intense en toute circonstance, mais également une forme de sagesse. Celle-ci ne manque pas d’indiquer le côté parfois presque ridicule de la démarche entreprise par le personnage principal, absorbé dans sa boulimie d’informations sur les événements de la guerre d’Algérie et pourtant plus réceptif à l’arrivée de la notification de son examen génétique. En somme, le film souffle le chaud et le froid, entre les extrêmes de la séquence bouleversante près du cimetière lors des aveux cruels à la mère – Fanny Ardant magistrale dans un rôle qui aurait facilement pu devenir agaçant – et de celle du déjeuner aux serpents. Il le fait par contre avec une telle empathie pour ses personnages, sans exception marqués par des biographies qu’on soupçonne chahutées, qu’on ne peut en ressortir que revigoré !
Conclusion
ADN fait partie de ces films tombés victimes au bout de deux jours à l’affiche de la fermeture des salles de cinéma en France pour cause de deuxième vague de coronavirus. Il sera de nouveau visible dès leur réouverture. A l’approche des fêtes, où l’on se retrouvera plus ou moins nombreux autour du sapin, nous ne pouvons que vous inciter chaudement à aller voir ce drame familial, filmé sans la moindre complaisance ! Ne serait-ce que pour mieux apprécier nos propres familles respectives, certainement imparfaites, mais aussi faites pour ne pas durer éternellement.