Godspeed
Taïwan : 2016
Titre original : Yi Lu Shun Feng
Réalisation : Chung Mong-hong
Scénario : Chung Mong-hong
Acteurs : Michael Hui, Na-Dou Lin, Leon Dai
Éditeur : Spectrum Films
Durée : 1h41
Genre : Comédie, Action
Date de sortie DVD/BR : 18 février 2020
Na-Dow gagne sa vie de petits larcins pour le compte du chef mafieux, Da-Bao. Lors d’un voyage, il engage Old Xu, un chauffeur de taxi expatrié de Hong Kong pour le conduire de Taipei au sud de Taiwan, afin de livrer la drogue. Ces deux gentils vauriens vont se retrouver au milieu de bandes de gangsters rivaux et corrompus…
Le film
[4/5]
Au milieu des années 90, sous les impulsions croisées de Quentin Tarantino (Pulp fiction) et des frères Coen (Fargo) était né un genre de polar un peu à part, que l’on pourrait appeler polar « de pieds nickelés ». Mettant en scène, le plus souvent sur une intrigue assez complexe et foisonnante de personnages, des truands improbables – voire franchement idiots – embarqués dans des histoires qui les dépassent complètement, et ayant des réactions parfois franchement irrationnelles, le polar « de pieds nickelés » a immédiatement engendré une vague de films du même genre. Parmi les cinéastes ayant contribué à donner au genre ses lettres de noblesse, derrière les frères Coen qui s’en sont fait une véritable marque de fabrique, on pourra naturellement citer quelques noms prestigieux tels que Guy Ritchie, Danny Boyle ou encore Joe Carnahan. Néanmoins, depuis le tournant des années 2010, les fiers représentants du polar de pieds nickelés se sont d’avantage espacés dans le temps.
Le polar de pieds nickelés a néanmoins refait son apparition courant 2016 à Taïwan avec Godspeed, le quatrième film de Chung Mong-hong, dont on avait suivi avec le plus vif intérêt les débuts fracassants avec la comédie noire Parking (2008), réalisée près de dix ans auparavant. Dans Godspeed, un voleur à la petite semaine devenu passeur de drogue et un vieux chauffeur de taxi abimé par la vie se retrouvent donc impliqués malgré eux dans une série de règlements de compte entre trafiquants.
Habilement découpé autour de plusieurs personnages, Godspeed expose dans un premier temps les relations entre Da-Bao (Leon Dai) et frère Tou (Tou Chung-hua), deux trafiquants et néanmoins amis. La première séquence s’articule ainsi sur les relations de business entre Taïwan et un groupe de thaïlandais adeptes de la violence. Le récit s’ouvre donc sur un flashback / hommage appuyé à Only god forgives, sentiment encore renforcé par une apparition de Vithaya Pansringarm, « Ange de la Vengeance » du film de Nicolas Winding Refn. Ce flashback sera suivi de discussions plus légères, dénotant du soin extrême apporté par Chung Mong-hong à ses dialogues, qui le rapprochent de l’esprit d’un Quentin Tarantino. Au bout d’une quinzaine de minutes en revanche, le cinéaste abandonnera ses truands magnifiques pour suivre la trajectoire de deux pieds nickelés, l’un faisant la mule avec une nervosité farfelue (Na-Dow) et l’autre offrant ses prestations de taxi au black (Xu).
Road-movie étrange, quasi-initiatique, Godspeed confronte le personnage incarné par Na-Dou Lin à deux figures paternelles radicalement opposées : le tueur charismatique et sans pitié d’un côté, l’homme affable et méprisé de l’autre. Le film est par ailleurs rythmé soit par les séquences comiques (la veillée funèbre), soit par des passages à la violence extrêmement accentuée et surprenante (la torture des deux truands aux casques). Chung Mong-hong convoque également largement la nature au cœur de son récit, les superbes paysages du sud de Taïwan étant ici vraiment mis en valeur de façon à illustrer le « voyage spirituel » de Xu et Na-Dow (le titre chinois du film signifie d’ailleurs « Bon voyage »). La photographie signée Chung Mong-hong lui-même – sous son pseudonyme japonais habituel, Nakashima Nagao – est d’ailleurs tout simplement superbe, proposant des compositions de plans sublimes se payant de plus le luxe de s’avérer efficaces et signifiantes d’un point de vue dramatique.
Car contrairement aux héros du Film Noir américain, qui apparaissent souvent comme étouffés par une architecture urbaine déshumanisante, les personnages de Godspeed évoluent quant à eux dans un paysage taïwanais ouvert, d’une beauté saisissante. Les prises de vue aériennes et grand angle se multiplient au cours du film afin de capturer ce paysage bucolique dans ce qu’il a de plus pur et de plus majestueux. Les personnages de Chung Mong-hong sont ainsi montrés comme insignifiants face à la marche du monde, et parfois réduits au statut de fourmis dans un cadre beaucoup plus grand qu’eux. Une jolie façon de mettre en valeur la trajectoire commune de Xu et Na-Dow, et la façon dont ils renonceront finalement à leurs rêves d’argent et de pouvoir pour embrasser des valeurs de compréhension et de respect de l’autre.
Du côté des acteurs, Chung Mong-hong se la joue plus que jamais en mode « Tarantino asiatique », puisqu’après avoir été rechercher la légende des arts martiaux Jimmy Wang Yu (Un seul bras les tua tous, Le bras de la vengeance) pour son film Soul en 2013, il fait appel pour Godspeed à une autre icône du cinéma populaire Hongkongais… On veut bien sûr parler du mythique acteur, réalisateur, scénariste et producteur Michael Hui, qui a presque à lui seul redéfini la comédie cantonaise dans les années 70/80. Agé de 74 ans au moment de la réalisation du film, il livre ici une performance à la fois drôle et émouvante dans la peau de Xu (son vrai nom), chauffeur de taxi passablement obsédé par l’argent.
Le Blu-ray
[4,5/5]
Godspeed est donc arrivé cette année en France au format Blu-ray, sous les couleurs de Spectrum Films, et on doit reconnaître que comme à son habitude, l’éditeur français s’est fendu d’un bien beau travail technique : encodage 1080p, définition exemplaire, piqué précis, couleurs éclatantes, noirs d’une belle densité… Le rendu est impeccable, homogène, en tous points parfait, et même assez sublime pour être honnête quand il s’agit d’admirer les magnifiques plans composés par Chung Mong-hong. Côté audio, la VO est proposée dans un mixage DTS-HD Master Audio 5.1 et propose un rendu acoustique essentiellement basé sur les voix, avec de légères touches d’ambiance, à la finesse néanmoins remarquable. Le tout explose littéralement à nos oreilles durant quelques scènes plus spectaculaires, bluffantes et puissamment immersives.
Du côté des suppléments, on trouvera tout d’abord une présentation du film par Wafa Ghermani (14 minutes), au cœur de laquelle la spécialiste du cinéma taïwanais reviendra sur la place de Godspeed au sein de la carrière de Chung Mong-hong. On continuera ensuite avec une autre présentation du film et du cinéaste par Panos Kotzathanasis (8 minutes), cette fois en anglais – un peu moins analytique et plus générale, elle fera office de piqûre de rappel si vous êtes peu familier avec la filmographie de Chung Mong-hong. On poursuivra avec un passionnant entretien avec Michael Hui (25 minutes), réalisé pour cette édition par les équipes de Spectrum Films. Après un rapide retour sur sa carrière à la télé et dans le cinéma comique, il abordera ses souvenirs du tournage de Godspeed avec modestie et sincérité. Il évoquera notamment son intérêt pour le projet ainsi que les méthodes de travail du cinéaste. Mais ce n’est pas tout, puisqu’outre la traditionnelle bande-annonce du film, l’éditeur nous a également dégotté un passionnant making of (59 minutes) nous donnant l’occasion de découvrir l’envers du décor et de saisir au vol l’ambiance sur le plateau. Enfin, on terminera avec une demi-heure de scènes coupées, qui prolongeront assurément le plaisir si vous avez aimé le film – en fait, il s’agit d’une version « longue » de la scène d’ouverture (avec le récit de Leon Dai de son voyage en Thaïlande) et d’une version alternative de la rencontre entre Xu et Na-Dow.