Revu sur OCS : Des vents contraires

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© 2011 WY Productions / Artémis Productions / Direct Cinema / Universal Pictures International France Tous droits réservés

Un an à peine après le fiasco commercial de Le Dindon, on ne sait pas vraiment quelle direction la carrière de Jalil Lespert en tant que réalisateur va prendre. Dans l’actualité en ce moment pour des raisons extra-professionnelles – merci les indiscrétions de Laeticia Hallyday ! – , Lespert dispose pourtant d’une filmographie derrière la caméra des plus solides. En guise de preuve, on a revu avec beaucoup de plaisir son deuxième long-métrage, encore disponible pendant quelques heures sur OCS, mais également visible chez d’autres fournisseurs de vidéo en ligne. Des vents contraires est un drame familial poignant, qui explore avec sobriété la grande solitude du personnage principal. Benoît Magimel y est en effet remarquable en père de deux enfants, mis devant le fait accompli de la disparition inexpliquée de son épouse. Dès lors, il devra tenter de se reconstruire, entouré de personnages secondaires eux aussi saisissants de justesse humaine.

Bien plus proche des affres de la défaite conjugale à la Kramer contre Kramer de Robert Benton que d’un policier aux multiples rebondissements, Des vents contraires reste fidèle au regard nuancé qu’il porte d’emblée sur son intrigue. L’idylle familiale au moment du petit-déjeuner ne tarde ainsi pas de voler en éclats. Le couple que forment Paul et Sarah depuis des années, enrichi par des enfants en bas âge et éprouvé par un processus de maturité à vitesse inégale, est sur le point de s’écrouler. Comme ce sera le cas ultérieurement dans le récit pour les autres épreuves à traverser, ce cap difficile sera franchi avec beaucoup de douleur intériorisée et par conséquent sans la moindre exagération formelle. Très tôt, la mise en scène de Jalil Lespert se distingue par son économie bluffante des moyens. Encore un peu brute au début du film, elle devient de plus en plus convaincante, au fur et à mesure que ce mari abandonné à lui-même sans préavis tente de tirer un trait sur ce chapitre de sa vie.

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Or, les occasions ne manquent pas pour lui rappeler sa tragédie intime. Cette dernière s’apparente surtout à un fait divers curieux pour ceux et celles, qui n’ont que des paroles aussi superficielles que vaguement encourageantes à lui offrir. Les autres, ces personnages incroyablement beaux et touchants qui gravitent autour de lui tout en se battant contre leurs propres démons, n’ont pas besoin de tant d’effusion de compassion affectée. Ils s’approchent au contraire de la qualité, si précieuse dans le cadre de la fiction, d’être des hommes et des femmes imparfaits, à l’image du protagoniste. Ce qui les rend hautement accessibles. Initialement, on les aperçoit à peine, puisqu’ils traversent l’univers sombre et instable du personnage principal tel des comètes lumineuses. Ensuite, leur place et leur rôle s’affirment progressivement, à notre grand soulagement sans le moindre surpoids édifiant.

Tandis que certains acteurs sont dirigés ici avec une telle finesse que leurs brèves apparitions suffisent pour laisser une impression, comme Daniel Duval en éditeur bienveillant et Lubna Azabal en mère elle aussi meurtrie par la disparition de son fils, la plupart des interprétations s’imposent de la plus subtile des façons au fil de l’histoire. Cette régularité périodique s’articule avant tout par le biais du dispositif des leçons de conduite. Au lieu de leur faire apprendre comment obtenir le permis, la narration conçoit les élèves comme des variations sur la fragilité humaine, qui accable Paul de plein fouet. Il y a Bouli Lanners, qui a su garder à peu près le moral en dépit de toutes les tuiles qui lui sont arrivées. Et la sublime Aurore Clément passe de même par le siège du conducteur apprenti dans le but de montrer ce qu’est la générosité à son professeur dissipé, voire sinistre.

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En effet, le ton du film se démarque par le naturel avec lequel il amène des situations d’une gravité indiscutable. Derrière leur apparence de déménageur, de commissaire de police ou bien de frère aîné rancunier, les personnages préservent une face cachée, tôt ou tard dévoilée sans le moindre opportunisme grandiloquent. A l’époque tout juste sorti de son emploi comique de grand bouffon, Ramzy Bedia nous avait alors surpris et nous touche toujours autant dans son rôle de père au moins aussi désespéré et maladroit que Paul. Isabelle Carré trouve le juste équilibre entre le côté officiel de son travail de flic et la sincérité de son empathie, face aux drames humains qu’elle doit gérer à longueur de journée. Et Antoine Duléry casse très vite l’image passablement agaçante du tonton cabotin, afin de laisser apparaître des fêlures affectives infiniment plus fascinantes.

Quant à la gestion de la présence fantomatique de l’épouse disparue sans donner des nouvelles, la mise en scène s’en acquitte là aussi avec une assurance à toute épreuve. Audrey Tautou plane comme un esprit bénéfique sur le récit, l’explication finale du destin de son personnage n’apportant après tout pas grand-chose à l’impact du film. Car auparavant, tout le malheur de cette famille soudainement disloquée avait déjà imprégné l’intrigue. Sans misérabilisme, ni grandes scènes tragiques, juste à travers une perte de repères irrémédiable. La réponse de chacun à ce trou noir intime, filmée avec une franchise désarmante, est ce qui rend ce film si redoutable.

Malgré ses déconvenues récentes au box-office, on a bon espoir pour la future carrière de Jalil Lespert. Grâce à nos retrouvailles avec Des vents contraires, il ne nous semble guère exagéré de le considérer comme l’un des réalisateurs les plus fiables du cinéma français de ces dix dernières années ! Croisons donc les doigts que son travail derrière la caméra perdure, dans le cas présent un travail d’orfèvre sur la figure de la disparition, jamais plus évidente que lors du dernier plan du film sur le pont Alexandre III à Paris.

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