Test Blu-ray : La bête tue de sang froid

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La bête tue de sang froid

Italie, Allemagne de l’Ouest, Autriche : 1975
Titre original : L’ultimo treno della notte
Réalisation : Aldo Lado
Scénario : Aldo Lado, Renato Izzo
Acteurs : Flavio Bucci, Macha Méril, Gianfranco De Grassi
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h32
Genre : Horreur
Date de sortie cinéma : 30 août 1978
Date de sortie DVD/BR : 13 août 2020

Lisa Stradi et sa cousine Margaret Hoffenbach, âgées de seize ans, s’apprêtent à passer les fêtes de Noël à Vérone chez les parents de Lisa. Dans le train parti de Munich, elles croisent deux voyous en cavale et une bourgeoise nymphomane qui sèment le désordre. Lorsque le train est immobilisé de nuit dans une petite gare autrichienne, suite à une alerte à la bombe, les deux jeunes filles décident de changer de train et de fuir les importuns. Hélas, le trio maléfique croise à nouveau leur route. Isolées dans un wagon, Lisa et Margaret vont subir un véritable calvaire…

Le film

[4/5]

S’il n’est plus un secret pour personne que Wes Craven est un imposteur n’ayant pu accéder au panthéon des prestigieux « masters of horror » que suite à une série de concours de circonstances, il faut tout de même lui reconnaître d’avoir su créer des concepts forts, dont l’impact dans l’imaginaire de ses contemporains aura donné naissance à de purs morceaux de celluloïd après lui. Quand il signe le très moyen [mais séminal] La dernière maison sur la gauche en 1972, Craven n’imagine sans doute pas le succès qui l’attend au tournant, pas plus que la flopée de films que son « rape and revenge » originel allait inspirer dans la décennie qui suivrait. Le « rape and revenge », kezako, pour les cancres du fond ? Il s’agit, comme son nom l’indique, d’un film mettant en scène un ou plusieurs viols de la part d’une bande de crapules dégénérées (ça c’est pour la partie « rape »), et le retour de bâton pour les tortionnaires, subissant de plein fouet la loi du talion (ça c’est pour la partie « revenge »).

Même s’il s’agit d’un genre souvent considéré comme « réactionnaire » de la part de tous ceux qui pensent que le public n’a aucun libre arbitre et n’est pas foutu de réfléchir sur ce qui lui est montré (ne riez pas, il y en a qui le pensent vraiment), c’est surtout l’occasion pour les cinéastes abordant le genre de repousser les limites de l’acceptable, voire même de l’obscène, tout en signant la plupart du temps des œuvres extrêmement immersives, au cœur desquelles le spectateur pourra se plonger corps et âme durant quatre-vingt-dix minutes et vibrer aux côtés des personnages qu’il suit à l’écran.

L’énorme succès populaire et commercial de La dernière maison sur la gauche impliquera une réaction en chaine transalpine quasi-immédiate, les ritals se mettant à mouliner du « rape and revenge » à toutes les sauces : napolitaine, bolognaise, milanaise… Mon dieu, suis-je drôle. Parmi ces films d’exploitation plus ou moins réussis, on retiendra surtout La bête tue de sang froid d’Aldo Lado (1975), qui vient juste de débarque au format Blu-ray chez ces francs-tireurs du Chat qui fume. Pour la petite histoire, le film de Lado est également connu sous le titre Le dernier train de la nuit, qui s’avère une traduction littérale de son titre original, et qui marque encore d’avantage la filiation entre le film d’Aldo Lado et celui de Wes Craven qui l’a inspiré.

Cependant, si on ne peut nier que La bête tue de sang froid est une variation sur le thème du film de Craven, on a également le droit de le préférer à son modèle, et ce pour un certain nombre de raisons. Car plutôt que de se borner à souligner la bestialité de l’être humain en général, le film d’Aldo Lado développe, comme beaucoup de films estampillés « bis » en Italie à l’époque, développe une forte défiance vis-à-vis des principes de la sacro-sainte Eglise catholique, ainsi qu’une véritable « conscience de classe » qui transparait via le personnage incarné par Macha Méril, vraie bourgeoise et surtout vraie salope – elle interprète en effet un personnage de garce manipulatrice comme on n’oserait probablement plus en mettre en scène aujourd’hui de peur de se voir écartelé en place publique par les lobbies féministes du monde entier.

Car derrière la complaisance typique du « rape and revenge », dans laquelle se vautre avec délice Aldo Lado à l’occasion de deux/trois scènes pas piquées des hannetons, on trouvera bel et bien une ébauche de discours social qui s’intégrera d’ailleurs assez habilement à une trame pour l’essentiel repompée sur le film de Craven. Deux étudiantes prennent le train de nuit, et rencontrent à bord deux voyous typiques de la période post-68 – deux espèces de vagabonds à moitié hippies vivant de rackets, d’agressions et autres petits larcins. Deux personnages antipathiques mais dans l’air du temps, puisqu’ils ne seront pas sans rappeler les personnages incarnés de notre côté des Alpes par Gérard Depardieu et Patrick Dewaere dans Les valseuses (Bertrand Blier, 1974), la bonne humeur en moins. Sous l’emprise d’une bourgeoise d’apparence bien sous tous rapports – mais en fait carrément nympho tendance perverse et sadique (Macha Méril) – les deux saligauds finiront par agresser et violer nos gentilles étudiantes dans une espèce de jeu de domination qui se terminera littéralement dans le sang. Bien sûr, comme dans le film de Craven, les parents finiront par retrouver les agresseurs afin de leur infliger une punition bien méritée – d’où le titre français La bête tue de sang froid, qui malgré ce qu’on aurait pu penser ne fait pas ici référence aux deux loubards violeurs mais au patriarche de la famille, qui leur collera son gros fusil dans le cul…

En apparence, La bête tue de sang froid, semble donc être un pur produit d’exploitation italienne dont la raison d’être est d’engranger un maximum de bénéfices en un minimum de temps. Cependant, le film d’Aldo Lado mérite que le spectateur prenne la peine de creuser un peu, et d’aller au-delà de l’aspect extrêmement binaire et manichéen de l’histoire. Il faut également dépasser la complaisance du film, qui nous offre une série de séquences au cœur desquelles la violence et l’indécence sont tellement excessives qu’elles paraissent volontairement poussées jusqu’au grotesque.

Ainsi, le réalisateur de Je suis vivant fait sciemment le choix de déshumaniser ses personnages, qui n’apparaissent finalement que comme des marionnettes, des pièces interchangeables, des coquilles vides au service d’une histoire qui prendra rapidement des allures de Grand Guignol. Avec un compartiment étouffant en guise de scène, désespérément fixe, immobile, empêchant volontairement au spectateur de détourner le regard, le rendant presque claustrophobe alors même que dès qu’il quitte les deux étudiantes, le film nous propose de grands espaces, de vastes maisons lumineuses, autrement dit de l’air afin de reprendre notre souffle. Toute l’habileté de cinéaste d’Aldo Lado est là, et si son film fonctionne toujours aussi bien plus de quarante ans après sa sortie, c’est parce qu’il parvient à imposer un vrai style à La bête tue de sang froid, probablement d’une façon beaucoup plus nette que Wes Craven sur sa Dernière maison sur la gauche.

Le film d’Aldo Lado développe en effet une ambiance sombre et désespérée qui ne lâche littéralement pas le spectateur. Malgré une exposition trop longue et des personnages « fonctions » aux psychologies trop peu développées, La bête tue de sang froid parvient à faire naître et à entretenir un réel sentiment d’appréhension mêlé de dégoût qui renforce l’impact des scènes les plus dures du film, le spectateur se sentant alors complètement impuissant et dépassé par les événements. L’autre point fort de la mise en scène de Lado, qui apparaît de plus en plus clairement dès lors que les personnages se retrouvent tous dans le même lieu clos, c’est d’avoir calqué le rythme de son métrage sur le roulis et le bruit, monotone et entêtant, du train en marche. Un bruit sourd qui pourra non seulement être ressenti par le spectateur comme celui d’un cœur qui bat et qui pourrait à tout moment s’emballer, mais peut également rajouter au sentiment d’inéluctabilité des événements, qui ne laisse par conséquent aucune lueur d’espoir quant au destin de nos deux pauvres étudiantes.

Le sens esthétique dont fait preuve Aldo Lado permet au final à La bête tue de sang froid de revêtir une réelle dimension supplémentaire, qui lui permettra sans doute de bien mieux supporter la révision que le film de Wes Craven dont il s’inspire. On saluera par ailleurs la prestation extraordinaire de Macha Méril, parfaite dans la peau d’une bourgeoise plus-perverse-tu-meurs.

Le Blu-ray

[5/5]

Depuis qu’il s’est lancé – à corps perdu – dans la grande aventure du Blu-ray, Le chat qui fume a su, avec une belle régularité, nous prendre à revers, nous cueillir et finalement nous retourner comme Rocco retourne les trottoirs de Budapest. Bon, je sais pas si vous saisissez l’image, la, hum, licence poétique dirons-nous, mais le fait que l’on se laisse toujours surprendre par le soin – sans cesse renouvelé – apporté par ce sacré félin à ses éditions Haute-Définition. Des éditions grand luxe qui se suivent de façon maintenant assez régulière, pour notre plus grand plaisir.

Comme d’hab avec Le chat qui fume, le Blu-ray de La bête tue de sang froid est donc présenté dans un superbe digipack trois volets, décoré de photogrammes du film et graphiquement composé par le talentueux Bandini alias Frédéric Domont (à moins que cela ne soit l’inverse). Bref, avant même de mettre le Blu-ray dans le lecteur, on est content d’avoir entre les mains ce bel objet de collection, qui deviendra à coup sûr une de ces belles éditions que vous serez fier de voir trôner sur vos étagères.

On ne va pas faire durer le suspense : aussi bien côté image que côté son, le master HD de La bête tue de sang froid proposé par l’éditeur français est d’excellente tenue, et surpasse mais genre à l’aiiiiiiiise les doigts dans le blase la précédente édition DVD du film, celle sortie en France chez Néo Publishing en 2007, une époque lointaine et reculée que personne s’en souvient plus tellement qu’elle est loin. Le film est bien sûr proposé au format 1.66 respecté, encodé en 1080p et en version intégrale non censurée, comportant donc quelques passages non doublés en français. L’ensemble impose une image stable et propre, aux couleurs ravivées et au piqué précis. La granulation d’origine, assez forte en mode « roots » tendance grindhouse, a été parfaitement préservée et colle parfaitement à l’ambiance poisseuse du film. Côté son, les pistes audio sont proposées en DTS-HD Master 2.0 et mono d’origine, au rendu acoustique propre et clair (clair comme deux lots de roches me souffle un ami spéléologue). Comme souvent avec ce genre de péloches bis ayant marqué notre adolescence, on avouera avoir un faible pour la VF d’origine ; le doublage est certes désuet mais vraiment sympathique.

Du côté des suppléments, on commencera tout d’abord avec un entretien avec Irene Miracle (16 minutes), au cœur duquel l’actrice principale du film reviendra sur sa carrière, sa rencontre avec Pasolini et Antonioni, et bien sûr son rôle dans La bête tue de sang froid, le tournage de la scène de viol, etc. Intéressant et bien mené. On continuera ensuite avec un long entretien avec Aldo Lado (1h17 !), qui reviendra, avec calme et humour, sur l’ensemble de sa carrière et plus précisément sur le tournage de La bête tue de sang froid, remettant le film dans son contexte de tournage, commercial et historique. De l’écriture au tournage (parfois sans autorisation) en passant par ses rapports avec les acteurs, et sa critique féroce de la bourgeoisie de l’époque. Il reviendra également sur la chanson-titre du film, interprétée par Demis Roussos et composée par le maestro Ennio Morricone. On terminera enfin avec la bande-annonce du film. Pour vous procurer cette édition indispensable, rendez-vous sur le site de l’éditeur Le chat qui fume !

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