Critique : Ema

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Ema

Chili : 2019
Titre original : –
Réalisation : Pablo Larrain
Scénario : Guillermo Calderón, Alejandro Moreno, Pablo Larrain
Interprètes : Mariana Di Girólamo, Gael García Bernal, Paola Giannini
Distribution : Potemkine Films
Durée : 1h42
Genre : Drame, Romance
Date de sortie : 2 septembre 2020

3/5

Parmi l’importante cohorte de réalisateurs sud-américains qui, au 21ème siècle, a petit à petit trouvé sa place  sur les écrans du monde entier, le chilien Pablo Larrain est à coup sûr un des plus connus : sa trilogie sur la dictature chilienne, commencé en 2008 avec Tony Manero et terminée en 2012 avec No, son pamphlet anticlérical El Club en 2015, son pseudo-biopic Neruda en 2016 lui ont même ouvert les portes du cinéma des Etats-Unis avec la réalisation de Jackie, autre pseudo-biopic, consacré cette fois à Jackie Kennedy. Ema marque un retour au pays, provisoire semble-t-il.

Synopsis : Ema, jeune danseuse mariée à un chorégraphe de renom, est hantée par les conséquences d’une adoption qui a mal tourné. Elle décide de transformer sa vie.

Les problèmes d’un couple

Ema est l’élément féminin d’un couple qui a beaucoup de mal à se remettre d’une adoption ratée. Polo, cet enfant de 10 ans venu de Colombie, s’est révélé incontrôlable, au point d’avoir commis un acte entrainant de sévères brulures au visage de la sœur d’Ema. Le résultat d’un manque d’amour ? Toujours est-il que Ema et Gastón, son mari, ont fini par rendre l’enfant lequel a, ensuite, été adopté par une nouvelle famille. Depuis, Ema et Gastón ne cessent de s’invectiver, de se renvoyer l’un l’autre la responsabilité de cet échec : qui a appris à Polo à mettre le feu ? la stérilité de Gastón n’est-elle pas la cause principale ? Etc. Une situation d’autant plus difficile à vivre que Ema est danseuse dans une compagnie de danse contemporaine dont Gastón est le chorégraphe. En plus, se greffe un conflit de génération sur cette source de désamour, Gastón étant sensiblement plus âgé qu’Ema. Alors qu’Ema et d’autres danseuses de la compagnie aiment se produire dans la rue ou sur des places en pratiquant le reggaeton, Gastón est vent debout contre cette pratique qu’il considère comme étant d’une grande vulgarité. En retour, les jeunes éléments de sa troupe ont tendance à voir en lui un véritable « has been ». Toutefois Ema, toujours déterminée à ne faire que ce qu’elle désire et dont la bisexualité devient de plus en plus apparente, n’aurait-elle pas une idée derrière la tête pour reconstruire quelque chose ?

Une histoire faussement limpide

La lecture de ce qui précède peut donner l’impression que Ema raconte une histoire très limpide. Sachez qu’il n’en est rien ! Il arrive même par moment que le spectateur moyen se retrouve complètement perdu, au point même, de ressentir une certaine gêne. Il est très probable que, parmi les spectateurs, certains ne manqueront pas de taxer Pablo Larrain de délire prétentieux. Qu’apporte cette accumulation de scènes d’incendies volontaires : feux de signalisation, voitures, bâtiments ? De très belles images cinématographiques : c’est vrai ! La rencontre, sans doute préméditée, avec un pompier qui s’avère être le nouveau père de Polo ? Tout aussi vrai. Une sorte de plaisir un brin pervers chez le réalisateur ? On en est presque sûr ! Il n’empêche : il y a des moments de grâce dans Ema, tel ce montage parallèle qui fait alterner de très belles scènes de danse contemporaine et une visite à l’hôpital au chevet de la sœur d’Ema. Telle l’utilisation d’un autre personnage important : la conurbation de Valparaiso, avec de magnifiques images nocturnes de Valparaiso et diurnes de la station balnéaire toute proche de Viña del Mar. Et puis, il y a ce thème de l’adoption qui, après les films argentins L’histoire officielle, Notre enfant et Joël, une enfance en Patagonie, semble hanter les réalisateurs de part et d’autre de la Cordillère des Andes. Peut-être faut-il y voir l’effet sur l’inconscient collectif des vols d’enfants suivis d’adoption sous les dictatures de Videla et de Pinochet !

Une très belle photographie

Même si le comédien le plus connu parmi les interprètes de Ema est le mexicain Gael Garcia Bernal, un habitué des films de Pablo Larrain, la véritable vedette s’appelle Mariana Di Girólamo et elle est surtout connue comme actrice de telenovelas. Un peu comme si Fabienne Carat, actrice de Plus belle la vie, devenait l’actrice principale d’un film de Jacques Audiard. Présente dans pratiquement tous les plans, elle dégage beaucoup d’énergie mais manque parfois d’expressivité dans les scènes plus intimes. A noter que la préparation de son rôle a nécessité pour elle le suivi de cours de danse et de pilate, destinés à lui apprendre les gestes et les postures d’une danseuse professionnelle. Curieusement, à ses côtés, Gael Garcia Bernal donne le plus souvent l’impression de sous-jouer, sauf quand il s’emporte contre le reggaeton, l’apathie se transformant alors en une grande virulence. Finalement, c’est quand même dans la photographie de Sergio Armstrong que réside le gros point fort du film : lumière, cadrages, couleurs, tout est parfait chez ce Directeur de la photographie qui n’en était pas à sa première collaboration avec Pablo Larrain. Une autre collaboration importante : celle du chorégraphe chilien José Vidal, bien connu en Europe, pour les scènes de danse contemporaine.

Conclusion

C’est peut-être injuste : d’un réalisateur comme Pablo Larrain, on attend une grande réussite de chacun de ses films et on en arrive à considérer comme n’étant qu’une demi-réussite un film auquel on ne trouverait peut-être que des qualités chez un réalisateur débutant. Soyons juste : des qualités, il y en a dans Ema, la photographie, tout particulièrement, des jeux de montage très intelligents, l’utilisation très réussie de la ville de Valparaiso, mais, à côté, on regrette un scénario trop alambiqué et une réalisation certes ambitieuse mais qui flirte parfois un peu trop avec une certaine prétention.

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