Test Blu-ray : Laurin

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Laurin

Allemagne, Hongrie : 1989
Titre original : –
Réalisateur : Robert Sigl
Scénario : Ádám Rozgonyi, Robert Sigl
Acteurs : Dóra Szinetár, Brigitte Karner, Károly Eperjes
Éditeur : Le chat qui fume
Durée : 1h24
Genre : Fantastique
Date de sortie DVD/BR : 21 avril 2020

Mars 1901, dans un village portuaire allemand, Laurin, âgée d’une douzaine d’années, entend l’appel au secours, à la nuit tombée, d’un petit garçon qu’elle voit, depuis sa fenêtre, se faire enlever par un adulte. Au cours de la même nuit, Flora, la mère de Laurin, aperçoit sur un pont le corps inerte du garçonnet et le visage de son assassin ; on la retrouve morte au matin, son corps gisant au bas du pont. Le père de Laurin, marin, étant souvent absent, la fillette, en proie à d’étranges visions, est désormais confiée à sa grand-mère. Elle se lie bientôt d’amitié avec un camarade de classe, Stefan, qui disparaît à son tour. Un tueur d’enfants rôde dans les alentours, et la curiosité de Laurin la met en grand danger…

Une audace éditoriale à saluer bien bas

Avec la sortie de Laurin dans un sublime Combo Blu-ray + DVD, Le chat qui fume confirme tout le bien que l’on pensait de lui, et continue, malgré le temps et les impondérables, à redorer le blason du métier d’éditeur vidéo, qui retrouve grâce à lui sa véritable nature. En effet, le fait de voir débarquer dans une édition aussi complète et luxueuse un OVNI totalement inconnu comme le film de Robert Sigl rappellera aux cinéphiles français à quel point ce métier, instable et sur le déclin d’un point de vue économique, nécessite au fond de toujours conserver une réelle passion du cinéma, doublée d’un vrai désir de partage et de transmission.

En effet, dans le cas d’un film totalement inconnu chez nous tel que Laurin, une partie du boulot éditorial effectué ici par Le chat qui fume consiste dans le fait de porter notre regard vers une œuvre inconnue – et assez grandiose il faut l’avouer – dans le but de la faire découvrir au plus grand nombre, dans toute son originalité. Combien de personnes en France auraient-elles vu Laurin si l’éditeur n’avait pas braqué ses projecteurs sur cette œuvre ? Une cinquantaine d’amateurs de bizarreries venues d’Allemagne peut-être ? Grâce aux équipes du Chat, ce sont 1000 cinéphiles qui auront potentiellement la chance de voir le film et de se plonger dans le rêve éveillé que constitue sa narration.

Laurin est donc disponible dans la boutique du Chat qui fume dans un Combo Blu-ray + DVD techniquement parfait, blindé de bonus et dans un packaging toujours aussi classe. En dépit d’un marché de la vidéo plus que chancelant en France depuis quelques années. Malgré le fait que le consommateur français voudrait que tous les films, même les plus obscurs, se voient édités en Blu-ray – voire même en 4K – dans des éditions blindées de bonus, et de préférence à moins de 15 euros. Malgré la présence de la Garde de nuit également, celle tapie dans l’ombre qui vous tombe dessus avec ses cris d’Orfraies sur les réseaux et sur quelques sites spécialisés (dans l’enculage de mouches) au moindre faux-pas, au plus petit pixel mal dégrossi ou la moindre petite pétouille sonore.

Et cette audace éditoriale – qui représente quoi qu’on puisse en penser un risque financier bien réel, d’autant que l’éditeur ne quadrille pas le Web de publicités et d’annonces en tous genres – sera tout particulièrement remarquable dans le cas d’un film comme Laurin : il s’agit d’un film quasiment inconnu, mis en scène par un réalisateur ne s’étant pas réellement fait remarquer depuis, même si son site officiel annonce plusieurs films en préparation. Bravo donc Le chat qui fume. Bravo de continuer à fumer à une heure où la quasi-totalité de vos confrères ont suivi le sens du vent et se sont mis à vapoter.

Le film

[5/5]

Quand Laurin sort sur les écrans allemands en 1989, son réalisateur Robert Sigl n’a que 27 ans, et il ignorait probablement à l’époque qu’il tournerait assurément là le film de sa vie. Diamant noir et romantique, visuellement époustouflant, le film préfigure même une partie des délires visuels d’Hélène Cattet et Bruno Forzani sur Amer, qui serait pourtant tourné rien que vingt ans plus tard. Film maudit, devenu culte en Allemagne avec les années, Laurin s’offre néanmoins aujourd’hui une redécouverte / reconnaissance tardive : tout le monde s’accordera à célébrer un film absolument unique en son genre, très éloigné de ce qu’on pouvait connaître du cinéma allemand des années 80/90, et qui se résumait souvent aux seuls noms de Werner Herzog et de Wim Wenders (et parfois de Wolfgang Petersen et Roland Emmerich).

Comme vous l’avez peut-être lu dans le résumé de l’intrigue, l’histoire de Laurin tourne autour de la jeune fille du même nom, obligée de faire face à la mort de sa mère et à l’absence de son père alors qu’un tueur d’enfants – supposément pédophile – sévit dans son voisinage proche. Le deuil arrivant avec son lot de cauchemars, le film de Robert Sigl déroule une grande partie de sa narration selon une logique de rêve, tournant occasionnellement au cauchemar. La photographie, soignée et aux accents gothiques à la Hammer (voire même à la Mario Bava période Les trois visages de la peur), multiplie les éclairages surréalistes et colorés, qui confèrent à l’image un côté baroque, presque grotesque par moments. Les nombreuses scènes de rêves développent une atmosphère trouble d’une exceptionnelle densité, qui rappellera bien sûr d’autres films tournés approximativement à la même époque, tels que La compagnie des loups (Neil Jordan, 1984). Le parallèle avec le film de Jordan est d’ailleurs amplifié par le fait que l’héroïne du film soit une pré-adolescente.

Laurin prend dès lors des atours de conte initiatique ou de récit de coming of age. Le cinéma fantastique et les récits de « coming of age » font souvent bon ménage. Les exemples sont nombreux, de Carrie à Créatures célestes en passant par Ginger snaps, Mysterious skin ou Donnie Darko… Le fameux passage à l’âge adulte, la découverte de la sexualité et la notion d’acceptation de soi demeurent, pour tout un chacun, forcément toujours un peu nimbés de mystères en tous genres, et le fait de les illustrer au cinéma en ayant recours à des symboles allant chercher du côté du surnaturel est une idée non seulement habile, mais également pleine de poésie. Robert Sigl utilise cette idée dans Laurin avec un talent certain. Ainsi, symboliquement, la jeune Laurin abandonnera d’ailleurs à la mort de sa mère le lit de bébé à barreaux dans lequel elle dormait durant les premières séquences – et qu’elle aurait dû, étant donné sa taille et son âge, quitter depuis longtemps – pour passer à un « vrai » lit d’adulte durant le reste du film. Sans dévoiler la nature du final du film, la dernière séquence, durant laquelle l’héroïne se débarrasse – tout aussi symboliquement – des derniers oripeaux de son innocence, est également absolument remarquable.

Laurin emmène donc le spectateur au cœur d’un univers étrange, teinté de sensualité noire, qui ne sera pas non plus sans rappeler au spectateur les grandes heures du giallo, et en particulier de son plus fier et brillant artisan, Dario Argento. La photo de Nyika Jancsó, constamment à la lisière entre rêve et cauchemar, se voit d’ailleurs sublimée par la bande originale entêtante du film, signée Hans Jansen et Jacques Zwart. Côté réalisation, le jeune Robert Sigl met à profit ses études de cinéma pour se lancer dans Laurin avec une fougue impressionnante. Inspirée et pleine de créativité, sa mise en scène demeure fine, habile, suggestive, donnant l’impression d’avoir été réglée comme du papier à musique. Développant une sombre fascination pour les ténèbres et la mort, la mise en images s’accorde parfaitement avec une direction d’acteurs sensible, qui n’en fait jamais trop malgré le fait qu’aucun des acteurs ne s’exprimait dans sa langue maternelle.

Car Laurin est un film allemand, d’accord. Mais un film allemand tourné en langue anglaise et en Hongrie, avec un casting presque exclusivement hongrois. Mais ce choix de tourner dans une langue et un pays étrangers a finalement sans doute eu pour d’accentuer encore l’étrangeté du film, dans le sens où les personnages s’expriment parfois d’une façon assez peu naturelle, comme s’ils « récitaient » soigneusement leur texte. Cette étrangeté tonale, vaguement artificielle, que l’on retrouve également par exemple dans le cinéma de Jean Rollin, renforce encore l’atmosphère onirique dans laquelle baigne le film, et sa dimension de « conte » moderne. C’est aussi probablement ce qui tend à le rendre intemporel : même 30 ans après sa sortie, le film n’a rien perdu de sa beauté immaculée, à la fois élégante et raffinée, à la croisée des chemins entre l’horreur et la poésie.

Le Combo Blu-ray + DVD

[5/5]

Laurin a donc rejoint les rangs des éditions Combo Blu-ray + DVD du label de prestige français Le chat qui fume. Le film de Robert Sigl intègre de fait une collection s’étant rapidement imposée comme indispensable, composée de titres rares proposés dans des éditions redonnant tout leur sens au mot « Collector ». Comme d’habitude avec l’éditeur, cette édition de Laurin s’imposera d’entrée de jeu au cinéphile déviant comme un objet de grande classe, prenant la forme d’un Digipack 3 volets glissé dans un sur-étui cartonné. Le tout a été conçu par Frédéric Domont, graphiste talentueux s’il en est, et collaborateur régulier du Chat qui fume. Un « bel objet » en plus d’être une belle édition donc, dans un tirage limité à 1000 exemplaires.

Côté master, Laurin bénéficie vraiment d’une présentation Haute-Définition impressionnante. Le grain d’origine est bien là, le piqué est d’une belle précision, et les couleurs – et dieu sait s’il y en a dans les rêves de l’héroïne – sont tantôt naturelles soit extrêmement saturées. Le rendu est assez époustouflant, et rend un bel hommage à la photo du film signée Nyika Jancsó . Bref, on est en présence d’un très beau Blu-ray, même si on pourra constater un léger bruit vidéo durant les scènes en basse lumière. Côté son, c’est la classe également : le mixage DTS-HD Master Audio 2.0 mono d’origine (VO uniquement, en anglais) se révèle particulièrement satisfaisant, stable, étonnamment clair et dynamique, il nous propose une immersion optimale au cœur du film.

Au rayon des bonus, Le chat qui fume a mis les petits plats dans les grands puisque l’éditeur nous propose tout d’abord un entretien avec le réalisateur Robert Sigl (40 minutes). Le cinéaste y reviendra sur sa passion du cinéma, sur son « enfance compliquée » liée à plusieurs décès consécutifs, ainsi que sur sa carrière en général. Il embrayera par la suite avec le récit de la production de Laurin : d’excellents souvenirs pour le cinéaste, qui avait à l’époque eu l’opportunité de tourner son film en 43 jours, et n’avait eu aucun souci majeur pour rassembler les fonds destinés à la production. Il reviendra également sur la présence de traducteurs afin de faciliter la communication entre les acteurs (hongrois) et le cinéaste (allemand), sachant bien sûr que tout ce petit monde tournait en anglais. Il évoquera également sur ses choix esthétiques, en se défendant longuement des comparaisons faites entre Laurin et le cinéma de Dario Argento et Mario Bava. D’une façon très étonnante, il déclare en effet s’être inspiré d’Inferno sur une scène en particulier, mais affirme qu’avant le tournage de Laurin, il n’avait vu aucun film de Bava, et un seul film d’Argento. C’est là l’occasion pour lui de justifier son utilisation des couleurs – le bleu et le rouge – en les rattachant à la narration du film, et plus précisément à la boite à musique offerte par le père de Laurin à son épouse. Très intéressant !

On continuera ensuite avec un entretien avec l’actrice Dóra Szinetár (18 minutes), au cœur duquel l’interprète hongroise de l’héroïne du film nous apprend qu’elle s’est reconvertie dans la musique pop et les comédies musicales. Interrogée par Robert Sigl lui-même, elle évoquera ses souvenirs du tournage, notamment à travers une série d’anecdotes amusantes. Elle reviendra donc sur le fait qu’elle ait été « préservée » de l’ambiance morbide du film durant le tournage, ou encore sur la scène de sa fuite à travers les bois, s’étant éternisée plus que de raison pour la simple et bonne raison qu’elle n’avait pas entendu le réalisateur dire « coupez ». Plus surprenant encore, elle raconte avoir été interpellée par deux fans du film alors qu’elle était en voyage en Allemagne, vingt ans après sa sortie : ceux-ci adoraient Laurin et l’avaient reconnue. Honnêtement, les deux jeunes gens devaient être extrêmement physionomistes. On enchaînera ensuite avec un entretien avec l’acteur Barnabás Tóth (10 minutes), interprète du petit Stefan – le petit sosie d’Harry Potter – qui commencera son intervention en expliquant qu’il se faisait tuer à l’écran dans tous les films dans lesquels il a joué enfant. Il reviendra sur le tournage en anglais, ainsi que sur les maquillages et effets spéciaux, qui l’ont profondément marqué. Enfin, on terminera le tour des interviews de l’équipe avec un entretien avec le chef opérateur Nyika Jancsó (15 minutes), qui se remémorera sa rencontre avec Robert Sigl et les différents défis que représentait le fait de tourner un film d’horreur gothique. Il reviendra naturellement sur les lumières et les couleurs du film, et les ambiances qu’il avait voulu créer en collaboration avec le réalisateur.

Mais ce n’est pas tout, puisque l’éditeur nous propose de découvrir plusieurs documents d’archives présentés en définition standard et probablement issus d’antiques VHS : on commencera avec un making of d’époque (10 minutes), sans doute produit pour la télé allemande. On y découvrira une jolie sélection de moments volés sur le tournage, ainsi qu’une poignée d’interventions de Robert Sigl, alors jeune et fringant. On terminera ensuite avec rien de moins que 19 minutes de scènes coupées ou alternatives, pour la plupart extrêmement visuelles et poétiques. C’est d’ailleurs tellement flagrant que l’on a un peu de mal à s’expliquer le fait de les avoir écartées du montage final.

On aura également droit à la présentation de Laurin à l’Etrange Festival de Paris en 2019 (16 minutes), assurée par Philippe Lux et Robert Sigl, qui commencera par s’exprimer en français pour embrayer avec l’anglais. Il reviendra sur les origines du film, le tout est mené avec rythme, dans la joie et la bonne humeur. Il en rajoutera par ailleurs une louche sur le fait qu’il n’avait pas vu les films de Dario Argento avant le tournage de Laurin.

Last but not least, on terminera avec le court-métrage Der Weihnachtsbaum (Le sapin de Noël), réalisé par Robert Sigl en 1983 (19 minutes). Réalisé dans le cadre de ses études de cinéma, ce court en noir et blanc s’inscrit dans une veine proche de celle du David Lynch des débuts. Sous couvert de l’analyse d’une relation père-fils, le film permet surtout à Sigl de développer un humour très noir dans le troisième acte de son court récit. Expérimentant volontiers sur l’image et le son, le cinéaste en herbe multipliant les angles de caméra obliques afin de proposer au spectateur des perspectives bizarres et surréalistes, le malaise étant encore amplifié par des gestes ambigus, que Sigl réintégrerait d’ailleurs en partie dans Laurin, mais dans un contexte de coming of age et de conte de fées un peu moins malsain. Un exercice de style intéressant donc ! On terminera le tour des bonus avec la traditionnelle bande-annonce.

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