Critique : Le Péché suédois

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Le Péché suédois

Suède, 1963

Titre original : Barnvagnen

Réalisateur : Bo Widerberg

Scénario : Bo Widerberg

Acteurs : Inger Taube, Thommy Berggren, Lars Passgard, Ulla Akselson

Distributeur : Malavida

Genre : Drame

Durée : 1h36

Date de sortie : 24 juin 2020 (Reprise)

3/5

Le péché suédois, c’est le nom que les générations futures donneront dans le cadre d’une uchronie apocalyptique à la stratégie de gestion de la pandémie du coronavirus par les autorités de la Suède, ayant conduit le continent européen à sa perte. Plus sérieusement ou, au contraire, avec moins de pessimisme sinistre, Le Péché suédois est le premier long-métrage du réalisateur Bo Widerberg, qui fait en quelque sorte office de porte d’entrée à la filmographie d’un cinéaste toujours tristement méconnu en France. Depuis plus de six ans, le distributeur Malavida Films tente vaillamment d’y remédier, y compris par le biais d’une grande rétrospective en deux parties, regroupant la dizaine de films de Widerberg déjà sortis en France, dont le premier volet accompagne la réouverture des salles obscures après le confinement.

Ce rôle symbolique de porteur d’un nouvel espoir de normalité, Le Péché suédois le remplit plutôt convenablement. Fortement imprégné d’un point de vue formel de l’esprit aventurier de la Nouvelle Vague, le film reste néanmoins assez sobre dans l’évocation du sort guère extraordinaire d’une jeune femme, tombée enceinte sans compagnon fiable à l’horizon. Par son thème et le traitement de celui-ci, il se situe avec une certaine assurance quelque part entre la gravité du cinéma de Ingmar Bergman, qui avait tourné la même année le sublimement poisseux Le Silence, et la frivolité licencieuse d’une production suédoise plus populaire, toujours prête à faire scandale dans le contexte d’une pudibonderie européenne de rigueur avant le bouleversement des mœurs après mai ’68.

© 1963 Europa Film / Malavida Films Tous droits réservés

Synopsis : La jeune ouvrière Britt Larsson vit au jour le jour, en fonction de ses rencontres avec des garçons plus ou moins sérieux. L’attitude désinvolte de Björn, fils de bonne famille, l’intrigue, mais leur brève rencontre ne connaîtra pas de lendemain. Les manœuvres de séduction plus rodées du musicien Robban font davantage chavirer le cœur de Britt. Mais quand elle tombe involontairement enceinte de lui, elle doute que ce soit avec lui qu’elle voudra fonder une famille.

© 1963 Europa Film / Malavida Films Tous droits réservés

Jazz et Vivaldi

Le noir et blanc rugueux de la photographie assurée par le futur réalisateur Jan Troell, le montage à forte valeur elliptique, qui condense en quelques plans brefs pendant le générique tout l’état d’esprit précocement désabusé du personnage principal : il n’y a pas de doute à avoir, Le Péché suédois est bel et bien un film qui vit essentiellement par l’assimilation des règles narratives et esthétiques de la Nouvelle Vague. De ce fait, les débuts de Bo Widerberg retiennent à la fois une modernité formelle indéniable et, paradoxalement, un lien direct avec cette parenthèse historique à partir de laquelle le langage du cinéma n’a plus cessé d’évoluer.

La même chose est vraie pour l’habillage musical du récit. Son aspect passablement hétéroclite se manifeste au gré des fréquentations de Britt. Cette dernière paraît s’identifier encore le mieux aux tonalités dissonantes du jazz, puisque elle n’éprouve aucun attrait particulier ni pour le rythme du rock de Robban, ni pour écouter de la musique classique en tête-à-tête avec Björn à la bibliothèque municipale.

© 1963 Europa Film / Malavida Films Tous droits réservés

Du chewing-gum dans la serrure

Car cette jeune adulte, interprétée avec une part de candeur pas sans charme par Inger Taube, navigue quasiment à vue dans son quotidien heureusement avare en misère exacerbée. Elle ne se soumet à aucune morale préétablie. Et elle ne fait pas non plus preuve d’une ambition artificielle pour s’affranchir de sa condition sociale d’une médiocrité consternante. Il y a certes de rares sursauts de révolte douce, comme lorsque Britt décroche discrètement le lustre scintillant – le seul élément vaguement prestigieux dans une décoration intérieure aussi terne que les nouvelles cités suédoises – , alors que le reste de la famille regarde comme hébété la télévision. Mais pour l’essentiel, elle sait préserver un niveau de pragmatisme qui aura au mieux besoin d’une visite au zoo de temps en temps, afin de se remonter le moral en observant la physionomie ridicule du pélican.

Ses pendants masculins se démarquent par contre par des lacunes de maturité plus flagrantes. Tandis que Robban a tout du beau parleur, nullement disposé à assumer réellement les responsabilités de son action irréfléchie, Björn affiche presque outrancièrement les stigmates psychologiques d’une éducation bohémienne sans amour. Ce n’est que grâce à l’interprétation assez fine de Thommy Berggren, un acteur encore à l’affiche dans quatre autres films de la rétrospective, que ce personnage tourmenté dépasse le stade d’un amant au fond vénéneux, pour devenir le symbole de toute une génération sacrifiée sur l’autel de la redondance terrible de l’oisiveté.

© 1963 Europa Film / Malavida Films Tous droits réservés

Conclusion

Notre premier contact avec l’œuvre de Bo Widerberg nous a laissés modérément désireux d’en voir plus. Loin d’être une première œuvre fulgurante, Le Péché suédois nous paraît en effet tel une première étape, d’ores et déjà riche en promesses, sur le chemin vers un florilège de thèmes qui s’affinera au fil des films. A ce sujet, rien que le fait que le réalisateur ne se laisse point submerger par les emprunts stylistiques à la Nouvelle Vague, qu’il sait les faire siens pour mieux les mettre au service d’une intrigue sans emphase excessive, n’augure en tout cas que du bon pour la suite !

1 COMMENTAIRE

  1. La stratégie suédoise est en passe de réussir, Viderberg meilleur que le pessimiste Bergman qui psychanalyse pour un rien.
    Merci pour cette critique actualisée. Souvenons-nous de ce beau film naturel et revigorant comme comme un fjord, en particulier de deux scènes qui ne doivent rien aux autres réalisations de la nouvelle vague, les prismes du lustre décrochée du salon familial et la mère au landau éblouie par les reflets du soleil dans les fenêtres qui s’ouvrent sur son passage.

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